mardi 7 avril 2015

Centre de rétention: une incertitude insupportable

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Avant, ils menaient leur vie. Maintenant, ils tuent le temps, suspendus au renvoi dans un pays qui n’est parfois qu’un souvenir. Dans le centre de rétention administrative (CRA) n° 2 du Mesnil-Amelot, juste derrière l’aéroport de Roissy, en Seine-et-Marne, les jours sont scandés par les présentations aux juges.

Si les statistiques 2014 du lieu se vérifient sur la cohorte présente le 23 mars, les deux tiers des 65 « retenus » sortiront libres. Les juges en libéreront 40 %, la préfecture 18 %. Tous passeront un beau matin chercher leur sac à la consigne et reprendront leur vie de clandestin en tentant d’oublier les jours passés dans le plus grand CRA de France.

En 2014, 45 000 étrangers ont été enfermés en France, jusqu’à 45 jours, en vue de leur renvoi. La moitié est effectivement repartie. L’unité numéro 2 du Mesnil en a vu, elle, passer 2 068, dont 18 mineurs. Alors que François Hollande avait, lors de sa campagne présidentielle, promis la fin de l’enfermement d’enfants. Une majorité des sans-papiers est arrivée là après un contrôle policier. En l’absence de titre de séjour, ils ont été conduits dans ce lieu étrange, entre des champs, une caserne de CRS et quelques entreprises.


Lounda (qui n’a pas communiqué son nom de famille), Cap-Verdienne de 46 ans, est assise sur le banc dans la cour des femmes et des familles. Elle pleure doucement de se retrouver là après vingt-trois ans de vie parisienne. Elle qui avait fini par se croire française, à force de travailler comme nourrice ou femme de ménage, de payer son loyer, se voit tout à coup rappelée à son statut de clandestine. « En 2005, j’avais demandé un titre, mais ça n’a pas abouti, alors j’ai laissé tomber », regrette-t-elle. Son consulat ne la reconnaissant pas, elle ne pourra pas être renvoyée et a toutes les chances de reprendre sous quelques jours sa vie d’avant.

Loïc, lui, est étudiant en master à l’American business school de Paris et ivoirien. « En partant vers Lille en voiture, samedi 20, j’ai été contrôlé et amené là. Je suis père d’une fillette française, mais, comme on se sépare avec sa mère, on me refuse le renouvellement de mon titre de séjour. » Pour éviter un renvoi, il va devoir prouver en urgence qu’il subvient bien aux besoins de son enfant née ici de mère française.

Les cinq associations présentes dans les centres de rétention déplorent en effet les renvois en catimini. En 2013, 54 % des « éloignés » l’ont été avant que le juge judiciaire ait pu contrôler que leurs droits étaient respectés. « Ça se passe souvent le week-endet les Roms sont les premiers visés. Le cas typique est une arrestation pour trouble à l’ordre public lors d’un démantèlement de camp, suivi d’une réexpédition par le premier avion…, explique Alice Dupouy, coordinatrice pour la Cimade, association de solidarité œcuménique. Et d’un retour en France, puisque les citoyens roumains sont citoyens de l’Union. » Selon le rapport annuel réalisé par les associations, en 2013, 60 % des expulsions ont été réalisées vers un pays de l’UE. C’est plus facile, plus rapide et satisfaisant pour les statistiques puisque cela permet au ministère de l’intérieur d’afficher des éloignements.

Des codes flous

Tirant le bilan de l’inefficacité relative des CRA, le projet de loi sur l’immigration, prévu pour être discuté l’été prochain, après avoir été beaucoup retardé, prône une réduction des enfermements. En attendant, au seul CRA2, 120 policiers sont affectés pour surveiller et escorter au tribunal les 120 étrangers − 80 hommes, 24 familles et 16 femmes − qui peuvent s’y trouver ensemble, rappelle le directeur départemental de la police de l’air et des frontières (PAF), Pierre Bordereau.

Dans ce lieu étrange, les codes sont flous. Les retenus ne sont pas des détenus. Ils peuvent s’enfuir mais ne s’évadent jamais, puisqu’ils ne sont pas en prison. Ils ne sont pas surveillés, mais on veille sur eux. D’ailleurs, l’endroit est conçu autour d’une pièce centrale, baptisée « salle de veille », totalement vitrée et remplie d’ordinateurs où deux fonctionnaires ont en permanence l’œil sur le périmètre d’enceinte et les barbelés. Ils savent en direct chaque point où un ballon de football touche une clôture. La salle d’isolement − une cellule de 9 mètres carrés − reste un lieu où l’on enferme un retenu qui pourrait mettre en danger le reste de la communauté. Les associations déplorent la plus grande opacité sur son usage.

Cette rhétorique n’empêche pas les portes de se verrouiller derrière chaque passage. Les retenus doivent en demander l’ouverture ; dans un certain périmètre puisqu’il est interdit de passer du lieu de vie où l’arrivant est affecté aux deux autres zones – chacune comporte 40 lits.Les portes des chambres ne ferment pas, « pour raisons de sécurité », rappelle la commandante Françoise Ciron, chargée du lieu. La plupart des douches et toilettes des hommes non plus.
La gestion des CRA reste secrète. Les visites de journalistes se font au compte-gouttes et les téléphones avec caméra ou appareil photo sont rigoureusement interdits. Ici le retenu est prié de détruire sa caméra ou de laisser son smartphone à la consigne. « En entrant, il y a la fouille, on laisse ses bagages, son argent », précise Pierre Bordereau.

Sans dire son nom, c’est un dispositif carcéral dans lequel se trouventces hommes et ces femmes enfermés pour un défaut administratif, et non pour un problème judiciaire. Au CRA 2, l’humanité s’insinue pourtant dans les interstices ; ce qui n’est pas forcément le cas dans tous les centres. Devy et Mounir, officiers de la police de l’air et des frontières, travaillent en civil et sans armes dans la zone de vie. « J’ai choisi ce travail qui m’offre une autre facette du métier de policier », confie Mounir, que le tutoiement des migrants ne gêne pas. « Ça peut être un problème pour certains collègues mais, quand on travaille là, on sait que ce n’est pas une incivilité », explique le commissaire divisionnaire. Le commandant Ciron collecte dans son entourage vêtements et chaussures pour les plus démunis.

« Une criminelle »

Mais, « en dépit de l’attitude gentille des policiers, on ne peut pas être bien ici, dit Lounda. C’est comme si j’étais une criminelle… Et l’incertitude sur mon sort est insupportable. » Les effets de l’enfermement ne sont pas anodins. Il y a ceux qui dépriment comme Lounda et ceux qui se révoltent. Ainsi le commissaire divisionnaire s’étonne-t-il d’un homme qui a fui mi-mars, à la veille de sa libération, « laissant là toutes ses affaires alors qu’il aurait été libéré le lendemain ». En 2012, neuf sont partis par les égouts.

Karim, lui, aurait aimé pouvoir fuir. Avant d’arriver. Rencontré dans le bureau de la Cimade, dans le centre, il a encore quelques cicatrices au visage. Le jeune homme raconte s’être fait frapper par les policiers qui l’ont escorté entre Laval (Mayenne), où il a été interpellé, et Paris, le 1er mars. Le médecin du centre a conclu à trois jours d’interruption temporaire de travail. «J’ai demandé à déposer plainte en arrivant mais on m’a dit d’attendre », rapporte-t-il. Sa plainte sera enregistrée onze jours après son arrivée. Le Défenseur des droits a ouvert une enquête.

Trois regards extérieurs tentent de rompre le huis clos entre policiers et migrants. Un service médical de l’hôpital de Meaux, l’Office français de l’immigration et de l’intégration et la Cimade. Le premier n’a pas souhaité nous parler. Le deuxième nous a interdit l’entrée de son local ainsi qu’un entretien avec les agents avant de se raviser quelques jours plus tard. « Nous sommes là pour assurer une mission sociale. Nous prenons les commandes de cigarettes, de cartes de téléphone. Nous récupérons l’argent dû par l’employeur. S’ils repartent dans leur pays, nous pouvons récupérer leurs bagages chez eux », précise un des agents, affecté là depuis l’ouverture en 2011. Ainsi va la vie entre les quatre murs du Mesnil-Amelot.

 

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