samedi 11 avril 2015

France: lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, le rapport 2014 de la CNCDH

 Rapport annuel sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie

Une France trop tolérante avec le racisme

Par Sylvain MOUILLARD et Marie PIQUEMAL, Libération.fr 9 avril 2015


DÉCRYPTAGE:

L’enquête annuelle évaluant la xénophobie révèle un pays tiraillé par ses crispations identitaires, où 7 personnes sur 10 estiment qu’il y a trop d’immigrés.

C’est un portrait plutôt déprimant de la France de 2014. Depuis vingt-cinq ans, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dresse un état des lieux annuel sur le rapport des Français au racisme, à la xénophobie et à l’antisémitisme. Son rapport fait référence. Réalisée à partir d’entretiens en face à face et au domicile des sondés, l’étude permet de comparer, année après année, l’évolution d’indicateurs clés, tels que la relation aux immigrés, aux religions, ou encore à certaines minorités.


En 2009, les Français n’avaient jamais été aussi tolérants. Cinq ans plus tard, le portrait s’assombrit : 70% des Français estiment que le pays compte trop d’immigrés. 45% ont une opinion négative de l’islam et certains vieux préjugés antisémites atteignent des niveaux élevés. D’autres indicateurs vont dans le même sens. «Les actes antimusulmans recensés pendant le seul mois de janvier 2015 ont été aussi nombreux que pendant toute l’année 2014», note par exemple Christine Lazerges, la présidente de la commission.

Le sondage «flash» réalisé en mars pour mesurer les effets des attentats de janvier sur l’opinion, montre une demande de fermeté accrue. «Le projet de loi renseignement fait aujourd’hui consensus, illustre Lazerges. Les atteintes à leur vie privée ne font ni chaud ni froid aux Français.» 41% des personnes interrogées le mois dernier se disaient favorables au rétablissement de la peine de mort (+2,8 points en quatre mois). 44% ont le sentiment que les tribunaux ne sont pas assez sévères (+ 9). Plus rassurant en revanche, le sondage post-attentats montre que les attaques des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly et les manifestations de solidarité dans la foulée ont renforcé «l’acceptation et le respect des minorités». La CNCDH explique que l’opinion «n’a pas cédé à la tentation de l’amalgame avec les auteurs de ces actes».

Ainsi, la tolérance à l’égard des musulmans et des Maghrébins a progressé de 1,6 point entre novembre 2014 et mars 2015, et de 3,7 points pour les juifs. Mais il est trop tôt pour parler d’effet durable. Les données que Libération présente dans une perspective de plus long terme dévoilent plutôt une société française tiraillée entre crispations identitaires et ouverture relative.

Tolérance, léger mieux après une longue chute

L'indice de tolérance
C’est l’une des données les plus intéressantes du rapport : l’indice de tolérance, agrégat de différents indicateurs, permet de mesurer l’évolution de l’opinion à l’égard de la diversité sur le long terme. On apprend d’abord que les préjugés évoluent au fil du temps et que plusieurs facteurs conjoncturels entrent en jeu. Par exemple, la Coupe du monde de 1998 a eu un réel impact (voir courbe) : les Français sont devenus d’un coup beaucoup plus ouverts à la diversité. Est-ce qu’à l’inverse, après des événements tragiques, la courbe de l’intolérance repart à la hausse ? «Non, pas toujours, explique Vincent Tiberj, chercheur à Sciences Po. Ce ne sont pas les actes en eux-mêmes qui entraînent des crispations, mais plutôt la manière dont on en parle.» Les attentats de 1995 ou le 11 Septembre n’avaient pas entraîné de tension identitaire significative. En revanche, les émeutes de 2005, si. La société française a atteint son pic de tolérance en 2009, avant de dégringoler. Pourquoi ? La crise économique a joué (quand l’emploi manque, le rejet de l’étranger est plus fort), les discours publics aussi. «Il est clair que des Zemmour ou des Philippe Tesson, en tenant publiquement certains propos, libèrent la parole», assure Vincent Tiberj. Petite note positive : la courbe de tolérance repart à la hausse depuis un an, et les attentats de janvier ne semblent pas avoir changé la donne. La CNCDH se demande si l’indice n’a pas atteint un niveau plancher : plus de la moitié des Français résisterait aux messages xénophobes, quelles que soient les circonstances.

Islam, mieux accepté en théorie qu’en pratique

Ce que pensent les Français de l'islam
L’attitude des personnes interrogées à l’égard de l’islam est ambivalente. Près de la moitié voient les musulmans comme «un groupe à part dans la société», contre 6% pour les catholiques, 8% pour les protestants et 28% pour les juifs. Dans le même temps, 67%des Français estiment que leurs concitoyens musulmans doivent «pouvoir exercer leur religion dans de bonnes conditions». En théorie, la pratique de l’islam semble plutôt acceptée, mais l’exercice du culte, même dans la sphère privée, heurte. 46 % considèrent que la prière «peut poser problème à la vie en société». 40 % jugent potentiellement gênante l’interdiction religieuse de boire de l’alcool, ou de manger du porc. Ces chiffres ont explosé depuis 2003, puisque ces pratiques ne dérangeaient que 23 et 13 % des sondés. La statistique frise 93% pour le voile intégral. Les débats récurrents autour du voile depuis 2003 et les travaux de la commission Stasi n’ont rien arrangé. Le port d’un simple foulard est aujourd’hui déploré par 79% des sondés, au même niveau qu’il y a dix ans. Pour Vincent Tiberj, ces crispations sur les signes visibles d’une pratique de l’islam montrent que le «racisme biologique est aujourd’hui minoritaire». Il est devenu surtout culturel. «Il y a une logique de transformation des préjugés dans le temps. Aujourd’hui, il existe un racisme subtil, qui consiste à se cacher derrière de bons arguments pour masquer ses préjugés. Par exemple, s’opposer au voile intégral en disant qu’il s’agit d’un acte de soumission des femmes… La vraie raison est le rejet de l’islam en bloc.»

Immigration, des opinions hostiles et paradoxales

Ce que pensent les Français des immigrés
Plus de 7 Français sur 10 (72,1%) considèrent qu’il y a aujourd’hui «trop d’immigrés» dans le pays. Un chiffre qui a bondi de manière spectaculaire depuis qu’il a été mesuré pour la première fois par la CNCDH en 2009 (47,4%). L’indicateur marque toutefois un léger recul par rapport à 2013. Les trois quarts des sondés affirment que les immigrés rejoignent l’Hexagone pour bénéficier de la protection sociale. Dans la même veine, 59% estiment qu’on a plus de chances d’accéder aux aides quand on n’est pas Français. Et plus d’un tiers des citoyens juge qu’un «enfant d’immigrés né en France n’est pas vraiment Français». Ces préjugés ne sont pourtant pas exempts de contradictions. Ainsi, près de 70% des personnes interrogées considèrent que «les travailleurs immigrés doivent être considérés ici comme chez eux puisqu’ils contribuent à l’économie française». Ils sont 63% à penser qu’ils sont une source «d’enrichissement culturel». Ces deux indicateurs ont toutefois nettement chuté depuis 2008 : à l’époque ils étaient respectivement de 81% et 73%.

Près de 6 Français sur 10 ont aussi conscience qu’on a «plus de difficultés à accéder à un emploi lorsqu’on est d’origine étrangère ou immigrée». Rien n’est figé : l’opinion publique est sensible au débat politique. Le droit de vote des étrangers aux élections locales est un bon exemple. En 1984, 1 Français sur 5 y était favorable. En 2011, quelques mois avant la présidentielle, les deux tiers des personnes interrogées approuvaient cette promesse de campagne de François Hollande.

Roms, un rejet généralisé

Ce que pensent les Français des Roms
Personne n’aime les Roms, et les gens interrogés l’admettent très volontiers. «Ce regard négatif sur les Roms s’étend jusqu’à l’acceptation de propos racistes à leur égard, tenus en public», note la commission. Près d’un Français sur cinq estime ainsi que traiter une personne de «sale Rom» «ne doit pas être condamné du tout» par la justice (contre 9,4% si l’insulte vise un Français, 13% s’il s’agit d’un juif, 13,7% d’un Noir, 15% d’un Arabe). «Cela montre surtout que la minorité rom n’est pas suffisamment défendue, estime Vincent Tiberj. On voit bien que quand les associatifs, les politiques et les médias condamnent fermement des actes antisémites, par exemple, cela fait reculer les préjugés envers les juifs.» Ce n’est pas le cas pour les Roms, que la classe politique, du FN à Manuel Valls, ne cesse de stigmatiser. Les clichés ne manquent pas : 81% des personnes interrogées considèrent que les Roms «exploitent très souvent leurs enfants». 77% disent également «qu’ils vivent essentiellement de vols et de trafic» et «qu’ils ne veulent pas s’intégrer en France». Des opinions davantage présentes en région parisienne, où vivent un tiers des 15 000 à 20 000 Roms de France.

Judaïsme, la persistance des vieux préjugés

Ce que pensent les Français du judaïsme
L’année 2014, émaillée par l’affaire Dieudonné et les manifestations propalestiennes, a connu une hausse de 100% des actes à caractère antisémite, avec un total de 851 faits délictueux enregistrés par les services de police et de gendarmerie, contre 423 en 2013. Cette augmentation s’avère d’autant plus marquée s’agissant des infractions les plus graves (+130% pour les «actions» et +90% pour les «menaces»). Mais, prévient Vincent Tiberj, «ce n’est pas parce que les passages à l’acte augmentent qu’il faut en déduire que les crispations envers les juifs dans l’opinion publique sont en hausse. Les ponts entre les deux sont hasardeux.»

Sa consœur Nonna Mayer abonde : «Les actes antisémites sont en hausse, mais la réprobation de ces actes augmente aussi !» Les études le montrent : la minorité juive est l’une des mieux acceptées en France, devant les Noirs, les Asiatiques ou les Maghrébins. Le sentiment que les juifs sont «des Français comme les autres» est aujourd’hui partagé par 85% des personnes interrogées (contre seulement un tiers en 1946). Les opinions évoluent dans le bon sens, mais certains préjugés anciens restent à des niveaux inquiétants. Depuis deux ans, la CNCDH mesure la persistance de ces clichés. 63% des personnes interrogées pensent, par exemple, que les juifs ont «un rapport particulier à l’argent». 37% qu’ils ont «trop de pouvoir». «Ces stéréotypes ont considérablement baissé après l’attentat de janvier contre l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, comme si la compassion avait pris leur place», souligne Nonna Mayer.

Par ailleurs, depuis 2002, de plus en plus de Français estiment que l’on parle trop de la Shoah (17% à l’époque, 26% aujourd’hui).
 
 
Par Marie PIQUEMAL, Liberation.fr, 9 avril 2015

Il y a un truc sympa avec les chiffres, c’est qu’on peut leur faire dire plein de choses. Quand on passe au peigne fin les enquêtes d’opinion mesurant les préjugés au sein de notre société, comme le fait la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son rapport publié ce jeudi, on en ressort avec le portrait-robot de l’intolérant qui s’assume. Avec, au détour, quelques surprises…

Il vit sous un gouvernement de gauche

Notre niveau de tolérance varie beaucoup en fonction de la couleur politique du gouvernement en place. Cela peut surprendre mais c’est statistiquement implacable  : «Quand la gauche est au pouvoir, l’intolérance a tendance à progresser. Et inversement, sous les gouvernements de droite, les citoyens se montrent plus tolérants», assure Vincent Tiberj, chercheur à Sciences-Po. C’est ce qu’on appelle «la démocratie thermostatique», un concept chipé aux Américains  : la politique menée entraîne une réponse inverse de la part des électeurs. Une sorte de réaction d’opposition, en somme.

Il n’est pas beaucoup allé à l’école

Les moins diplômés sont aussi ceux qui tiennent les discours les plus racistes et antisémites. Par exemple, 73% des personnes sans diplôme assurent qu’«Israël compte plus que la France pour les juifs français», contre 46% de ceux qui ont un niveau supérieur à bac + 2. «L’école contribue à développer un esprit critique, permettant de lutter contre les idées reçues, explique Vincent Tiberj. Les préjugés sont le fonctionnement normal de notre cerveau. Aller contre, les dépasser, n’est pas facile. L’école donne des armes.» Il y a une autre explication que fournit Nonna Mayer, chercheuse au CNRS et à Sciences-Po  : «Les personnes qui ont fait des études savent qu’il ne faut pas tenir des propos racistes, elles ont intériorisé les normes de la démocratie.»

Il n’est pas forcément vieux

Quelle que soit la question posée, à un instant T, les plus âgés expriment davantage de réactions de rejet que les plus jeunes. 75% des plus de 50 ans estiment par exemple qu’il y a trop d’immigrés en France, contre 65% des moins de 30 ans. Est-ce à dire que l’intolérance augmente avec l’âge  ? «Non, pas du tout», répond Vincent Tiberj. Il en rit presque  : «Ce n’est pas le fait de vieillir, et par exemple d’être plus sujet à la peur, qui rend intolérant. C’est parce que cette classe d’âge [les plus de 60 ans, ndlr] a été éduquée dans un monde où le racisme était plus prégnant dans la société.»

Il peut changer

Les préjugés ne sont pas figés dans le temps. Ils peuvent changer, s’aggraver ou, au contraire, diminuer. Selon Vincent Tiberj, chacun de nous a des prédispositions à la tolérance et à l’intolérance. Les unes –  ou les autres  – éclosent en fonction du contexte dans lequel on vit. «Il y a une marge de manœuvre. On peut faire bouger les choses, par les médias, l’éducation, l’exemplarité des élites politiques.» Et faire basculer notre raciste assumé en tolérant exemplaire. Nonna Mayer sourit  : «Rien n’est irréversible.»

 http://www.liberation.fr/societe/2015/04/09/raciste-qui-es-tu_1237914

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