vendredi 15 janvier 2016

Contre la haine, résister à l’antisémitisme

 

Par
Le Monde |
Editorial du « Monde » Nous en sommes donc là. Dans la France de ce début de XXIe siècle, des hommes envisagent de ne plus porter un de leurs signes religieux, une kippa, parce qu’il les désigne comme cible. A Marseille et dans d’autres villes, la peur conduit des familles à appréhender leur vie quotidienne comme une survie en milieu hostile, comme une série de précautions pour temps de guerre : guetter, se cacher, dissimuler ce que l’on est. Nous en sommes donc là : être juif, dans notre pays, est redevenu un risque, qui va en s’aggravant.

C’est ce fait, glaçant, que met une nouvelle fois en lumière l’agression d’un enseignant juif, lundi 11 janvier, à Marseille, par un lycéen kurde se réclamant « de Daech ». C’est la haine implacable de cet adolescent, qui n’a exprimé devant les policiers que le regret de n’être pas parvenu à tuer sa victime, qu’il faut considérer. Sans se laisser distraire par la querelle des signes religieux, qui détourne si fréquemment, en France, des dangers majeurs de notre époque.


Le port d’une kippa, dans les rues de France, est une liberté que garantit notre République. De la même manière que le port du voile islamique ne doit évidemment exposer aucune musulmane à une attaque, verbale ou physique – comme cela arrive, malheureusement, de plus en plus souvent. Demander le retrait de ces signes religieux ne peut constituer une solution, quand ces signes respectent la loi interdisant la dissimulation du visage. Retirer sa kippa, comme vient de le recommander le président du consistoire israélite de Marseille, ne peut être envisagé que comme une précaution face à un danger imminent, nullement comme un remède durable au mal qui croît.

Quand le mal ne tue pas, il prend la forme d’agressions récurrentes, physiques ou verbales
 
Ce mal, il frappe en France, plus que partout ailleurs en Europe. A Toulouse, en 2012, il portait les traits de Mohamed Merah et a tué trois élèves et un professeur – parce que juifs. A l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, il y a tout juste un an, il a assassiné, par la main d’Amedy Coulibaly, quatre personnes – parce que juives. Quand il ne tue pas, il prend la forme d’agressions récurrentes, physiques ou verbales. Et quand il ne sévit pas sur notre territoire, il est incarné par un Français : Mehdi Nemmouche, auteur en 2014 de la tuerie du Musée juif de Bruxelles.

Ce mal, il faut le considérer pour ce qu’il est : le produit des noces mortelles entre djihadisme et antisémitisme. Le terrorisme fondamentaliste, dont l’organisation Etat islamique est le dernier avatar, reprend tous les stéréotypes du vieil antisémitisme européen, accommodé à la sauce de l’heure, mélange de théories du complot importées du Moyen-Orient et transportées par Internet. Dans ce fatras idéologique confus, mêlant djihadisme, défense de la cause palestinienne, détestation d’Israël et archétypes racistes, c’est bel et bien la vieille théorie du « complot juif » qui est remise au goût du jour, ce sont les mêmes stéréotypes judéophobes qui finissent par tuer.

Libération d’une parole haineuse

Ce mal, il est aussi l’expression la plus radicale d’un antisémitisme banalisé, normalisé, qui s’exprime prioritairement dans une frange de la population musulmane, mais aussi ailleurs, notamment chez les inspirateurs de l’extrême droite. Il est la manifestation violente de cette libération d’une parole haineuse, d’une montée de la propagande raciste – dont les musulmans sont les autres victimes. Cette banalisation est l’une des sinistres marques de notre époque, irréductible à telle ou telle explication géopolitique.

Comment résister à cette propagation du mal ? L’Etat joue son rôle, en déployant des moyens importants de protection des Français juifs. Mais, au-delà de cette réponse défensive, la riposte la plus efficace est aussi la plus symbolique. Elle concerne l’ensemble de la société, qui doit manifester une solidarité, sans faille et sans réserve, avec nos compatriotes juifs. Qui doit réaffirmer, face aux tentations de départ, que leur place est en France. Il n’y a pas de meilleure manière de s’opposer aux rêves djihadistes de division des communautés et de guerre civile.
 Jérôme Fenoglio (Directeur du "Monde")
Directeur du "Monde"

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