jeudi 1 février 2018

15 propositions pour changer les rapports entre la police et les habitants des quartiers populaires

Dominique Sopo: "Ce matin, en présence de Dany Terbèche, cousin de Malik Oussekine, de Mickaël Luhaka, frère de Théo Luhaka et de maître Calvin Job, nous avons dévoilé les propositions sur lesquelles nous avons travaillé avec des associations et des citoyens autour de la question des violences policières. A la veille des 1 an de l'affaire Théo, notre pays doit avoir la maturité d'affronter cette question et cesser de faire la politique de l'autruche. Les populations des quartiers populaires, issues de l'immigration et ultramarines ont le droit - élémentaire - d'être considérées à égale dignité.

C'est pourquoi l'Etat doit prendre ses responsabilités et cesser de répondre par la délégitimation des acteurs associatifs, par la négation du problème ou par l'idée qu'il ne s'agirait que d'une collection de faits isolés relevant de la déviance individuelle.

Formation des policiers aux stéréotypes et aux préjugés, instauration d'un récépissé de contrôle (idée que nous avions introduite dans le débat français en 2006), affectation des policiers, présence de magistrats et de membres de la société civile au sein de l'IGPN et de l'IGGN... Autant de pistes sur lesquelles nous interpellons le Gouvernement."

Rien à rajouter!
 
Joël Didier Engo, Président de NOUS PAS BOUGER
 


 

 
 15 propositions pour changer les rapports entre la police et les habitants des quartiers populaires
 
Nous partageons les sentiments d'humiliation et d'abandon d'une partie trop importante des habitants de quartiers populaires.

Nous rappelons que les habitants de ces quartiers sont les premières victimes de la violence qui se déploie dans une partie de ces territoires.

Nous déplorons les contrôles d'identité trop souvent basés sur la couleur de la peau ou l'origine supposée des contrôlés.

Nous n'occultons pas la complexité et la dangerosité du métier de policier sur des territoires empreints de difficultés.

Nous sommes déterminés à faire cesser le cercle vicieux de la dégradation des rapports entre la police et les populations des quartiers populaires.
Nous souhaitons que les tensions récurrentes entre la police et la population s'apaisent.

Alors qu'aujourd'hui les rapports entretenus par la police envers la population se concentrent trop souvent sur la répression et la méfiance sans exclure les provocations en tout genre, il est urgent de modifier radicalement la doctrine de la sécurité publique qui est en grande partie responsable de cet état de fait, si ce n'est de cet état de droit.

L'Etat appelle souvent au dialogue entre la police et la population. Qu'il en crée donc les conditions!

C'est pourquoi l'Etat, garant des valeurs républicaines, doit prendre ses responsabilités puisque la police n'agit pas hors de tout cadre. Elle le fait soit en vertu des consignes de l'Etat, soit en raison de la perception que peuvent avoir les membres des forces de l'ordre quant à la volonté de l'Etat de tout mettre en œuvre pour que chaque habitant des quartiers populaires soit traité comme n'importe quel autre citoyen.

C'est pourquoi il est urgent de sortir des logiques de confrontation. Nul n'ignore leur caractère stérile en matière de sécurité publique, tout autant que l'injustice qu'elles recèlent en elles puisqu'elles découlent d'une vision négative des habitants des quartiers populaires.

C'est pourquoi il est fondamental de retrouver une police tout entière traversée par l'impératif de la protection des citoyens.

C'est pourquoi il est urgent que le respect dû à chaque instant aux habitants des quartiers populaires, et en particulier aux plus jeunes d'entre eux, soit remis au centre des exigences auxquelles les pouvoirs publics sont astreints.

C'est pourquoi les pouvoirs publics doivent créer les conditions d'engagement de la jeunesse et plus généralement des habitants des quartiers populaires en contribuant à redonner de la vigueur à un tissu associatif trop souvent anémié ou vassalisé.

Propositions

1. La responsabilité de l'Etat

L'Etat doit sortir de la politique de l'autruche et des phrases toutes faites lorsque des violences policières se déploient. L'Etat doit enfin prendre les mesures dont la pertinence est reconnue et qui lui ont été soumises sans réel répondant depuis de nombreuses années:

- La remise en place de la police de proximité

Chacun a pu mesurer la dégradation des relations entre les forces de l'ordre et les habitants des quartiers populaires depuis la fin de la police de proximité. Et pour cause: la fin de cette forme de police est le fruit d'une vision agressive de la sécurité publique, pensée comme devant se faire contre les citoyens des quartiers populaires et non à leur service. C'est pourquoi, dans le cadre de l'instauration de la Police de Sécurité du Quotidien, c'est une véritable police de proximité qui doit être remise sur pied.

- La formation des membres des forces de l'ordre aux préjugés envers les populations d'origine étrangère, ultramarines et des quartiers populaires.
Aujourd'hui, cette formation est indigente contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays. Elle est laissée généralement au bon vouloir des territoires ou des écoles de formation alors qu'elle devrait être obligatoire.

- L'affectation des membres des forces de l'ordre les plus compétents dans les zones les plus difficiles.

Par un système de bonification (salaire, retraite), l'Etat doit s'assurer que les personnes les plus expérimentées soient affectées dans les zones les plus difficiles. Sinon, nous continuerons à avoir des jeunes policiers sans expérience qui confondent autorité et humiliation, comme l'a montré le cas de Théo.

- L'existence d'une parole publique qui rappelle des règles de comportement:
Via le rappel des règles déontologiques (condamnation du tutoiement, des coups, des insultes, des humiliations).

Via le rappel que le fait d'être dépositaire de la force publique constitue une circonstance aggravante d'un délit, et non une circonstance atténuante.
- L'instauration d'un récépissé de contrôle

Les citoyens ont le droit de savoir pourquoi ils sont contrôlés, sur quelle base légale et quels sont leurs recours. Aujourd'hui, il existe de fait une quasi ineffectivité du droit au recours en matière de contrôles d'identité qui, parfois répétitifs, sont trop souvent utilisés à des fins étrangères à leur existence ou vécus comme une injustice.

- La réforme des techniques d'interpellation

Plusieurs techniques d'interpellation actuellement utilisées par les forces de l'ordre sont potentiellement létales. A l'instar d'autres pays, la France doit les proscrire.

- La nomination ou l'élection de civils référents et formés à la déontologie auprès des commissariats, des gendarmeries et des préfectures.

Les dérapages et les tensions qui se déploient entre les policiers et les habitants des quartiers populaires pourraient être combattus par la présence d'un œil extérieur à l'institution policière et ayant la confiance des habitants.

- Le déploiement de personnels civils au sein des commissariats.

Le fort corporatisme qui règne au sein de la Police nationale est de nature à entraîner une logique dysfonctionnelle. C'est pourquoi, afin de limiter ledit corporatisme, des personnels civils doivent être déployés au sein des commissariats afin d'y effectuer notamment les tâches de support et les tâches administratives.

Une réforme de l'IGPN et de l'IGGN afin que les enquêtes soient menées par un corps mêlant policiers (ou gendarmes), magistrats et représentants de la société civile.

Cette mesure se justifie par le fort corporatisme qui existe au sein des forces de l'ordre et par la confiance érodée à l'endroit de l'IGPN et de l'IGGN.

- La création d'une juridiction spécialisée pour juger les policiers et les gendarmes soupçonnés de violences verbales ou physiques envers les citoyens.
Les magistrats ne peuvent pas sereinement juger des membres des forces de l'ordre dans leur juridiction car, en parallèle, ils ont besoin de ces personnels pour mener leurs enquêtes.

- La protection des fonctionnaires qui feraient remonter des agissements contraires à la déontologie.

Le constat (sur la base de témoignages de fonctionnaires) est qu'il existe une omerta dont il est nécessaire de sortir. Les membres des forces de l'ordre qui ont le courage de dénoncer les agissements contraires à la déontologie de la part de leurs collègues finissent généralement par subir d'importantes pressions et ne sont quasiment jamais protégés par leur hiérarchie. Au contraire, ils sont souvent "mis au placard".

- La publication de chiffres officiels des violences policières.

Pour mettre fin aux fantasmes et faire œuvre de transparence, des chiffres officiels des violences policières doivent, comme cela se fait dans d'autres pays, être publiés, comme le sont les chiffres des violences subies par les policiers.

2. La responsabilité des membres des forces de l'ordre

Les membres des forces de l'ordre ont le devoir déontologique et citoyen de questionner leur profession quant aux comportements racistes et aux provocations à l'encontre des jeunes de quartiers populaires. Est-il nécessaire de rappeler que la loi condamne le racisme et les discriminations?
Même si l'Etat venait à être défaillant, les membres des forces de l'ordre, qui sont également des citoyens, ont donc un effort sur eux-mêmes à réaliser.

Un effort sur les mentalités en premier lieu

Nul ne vit dans un vase clos qui le rendrait inapte à questionner individuellement ses propres préjugés, ses propres conceptions tronquées, ses propres stéréotypes. Chaque citoyen, et a fortiori chaque membre des forces de l'ordre, doit faire l'effort d'une interrogation permanente sur son rapport aux Autres.

Un effort sur les comportements en deuxième lieu

Des comportements, dont certains se sont banalisés, sont à la marge de la loi ou contraires à cette dernière et à la déontologie que chaque membre des forces de l'ordre s'est engagé à respecter. Tutoiements, insultes, contrôles d'identité vexatoires, voire violences. Est-il réellement besoin que l'action de l'Etat rappelle avec fermeté les règles et mette en place toutes les formations nécessaires pour que chacun, en conscience, rompe avec ces pratiques à l'origine de tensions et de dégradation de l'image des forces de l'ordre?

Un effort de transparence enfin

Il y a en effet la nécessité de témoigner lorsque des dérapages de la part de collègues sont constatés ou connus. Comment refuser de s'appliquer à soi-même ce que l'on demande aux citoyens? Le corporatisme qui empêche souvent cette transparence n'aide en rien les policiers sur le terrain puisqu'il contribue à dégrader leurs rapports avec la population. Vus par leur silence ou leur complaisance comme un bloc uniforme qui s'éloignerait des valeurs du pacte républicain, les membres des forces de l'ordre sont entraînés dans une impasse: celle de la défiance d'une partie, de plus en plus grande, de la population des quartiers populaires, frein à l'apaisement des relations entre la police et la population concernée.

3. La nécessité pour les jeunes des quartiers populaires de s'engager

Face à l'injustice, la tentation est grande d'entrer dans une logique de confrontation violente, de se retirer du terrain des revendications ou d'adopter des logiques de repli identitaire. Parce qu'elles sont des impasses, nous récusons chacune de ces voies que nombre de mauvais génies demandent à la jeunesse d'emprunter.

Loin des logiques de violences de représailles, nous affirmons que seule la non-violence est moralement et stratégiquement apte à nous faire sortir d'une situation de confrontation stérile et destructrice.

Loin des logiques d'abattement face à l'adversité, nous affirmons que cet abattement, tout comme l'injustice vécue et la colère ressentie, ne doivent pas nous mener à nous placer hors d'une citoyenneté active. Au contraire, ces faits et ces sentiments doivent être autant d'énergies qui mènent, à travers les associations ou par des actions quotidiennes, à un engagement positif pour nos quartiers et pour une République où doivent partout régner la liberté, l'égalité et la fraternité.

Loin des logiques d'enfermement territorial ou identitaire, nous affirmons que ces pièges mortifères sont à éviter. La fraternité est une valeur qu'il faut faire vivre et l'émancipation constitue une perspective à laquelle la jeunesse a le droit. La ghettoïsation de trop de nos quartiers ne doit pas s'ériger en frontière mentale nous séparant de l'Autre.

Alors, au-delà des revendications spécifiques à l'activité des forces de l'ordre, demandons que les budgets alloués aux associations augmentent. Des associations qui favorisent l'insertion professionnelle, la formation, l'éducation à la citoyenneté, la lutte contre les inégalités... Demandons que les commissions d'attribution de ces financements soient nationales, afin d'éviter le clientélisme, qui rime trop souvent avec de l'enfermement, au lieu de donner des perspectives et d'ouvrir nos quartiers et nos jeunes sur le reste de la société et les opportunités qu'elle offre.

Les signataires de cette tribune:

Associations à Paris et en région parisienne:
- Association des Etudiants Maliens d'Ile-de-France
- The N'Takou
- Join Hands
- Comité des Sans Papiers des Hauts de Seine
- Fédération des Etudiants et Stagiaires Sénégalais de France
- Association des Femmes Africaines de Sarcelles et Environs
- Zy'va
- Egalité Nationale
- CRAN
- NPNS
- Collectif VAN
- CM98
- Quoi ma gueule ?
- FCPE 93
- Collectif Actif Pierrefittois
- COPAREF
- APES
- Mouvement Culturel de la Banlieue
Associations en régions:
- "massiwa" (Nice)
- Association des étudiants guinéens (Nice)
- "main dans la main 06 ( Nice)
- CoEXisT Crew (Marseille)
- Comité Thomas Sankara (Montpellier)
- Le Mans - Maroc (le Mans)
- Association des étudiants sénégalais (SENMANS) (le Mans)
- Association des étudiants chinois du Mans (le Mans)
- Association des Etudiants camerounais du Mans (le Mans)
- LDH (le Mans)
- Alternabia (le Mans)
- CVL (Allones)
- Lusitanos (Allones)

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