Revoilà donc le «racisme anti-Blancs», concept imposé dans le débat public par l’extrême droite, et repris à leur compte ces dernières années par des personnalités comme Jean-François Copé ou Alain Finkielkraut. Cette fois, c’est l’ancien footballeur Lilian Thuram qui est accusé de l’alimenter, en raison d’une interview parue dans le journal italien Corriere dello Sport. Interrogé sur les insultes racistes qui pleuvent dans les stades sur les joueurs noirs, Thuram explique : «Il faut prendre conscience que le monde du foot n’est pas raciste, mais qu’il y a du racisme dans la culture italienne, française, européenne et plus généralement dans la culture blanche. Il est nécessaire d’avoir le courage de dire que les Blancs pensent être supérieurs et qu’ils croient l’être.»
«Les Blancs»: la formule, généralisante, est visiblement grave au point que la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) croie devoir se fendre d’un communiqué dénonçant les «risques d’une dérive du combat antiraciste» – recevant au passage une accolade du trésorier du Rassemblement nationale (RN, ex-FN). Grave au point que le président du Printemps républicain, association revendiquée de gauche, compare l’ancien footballeur à Robert Ménard, maire d’extrême droite de Béziers. Grave au point qu’il faille en débattre sur les plateaux des chaînes d’information en continu, l’une (LCI) accueillant Jean Messiha, membre du bureau du RN, pour donner des leçons d’antiracisme, l’autre (CNews) recevant Laurent de Bechade, présenté comme «militant antiraciste», et porte-parole d’une obscure «Organisation de lutte contre le racisme anti-Blancs». Celui-ci affirmera au passage que «le racisme anti-Blancs est le racisme le plus fréquent», en s’appuyant sur une étude de l’Ined (Institut national d’études démographiques).

«Rapport social, de pouvoir, d’exploitation»

Il se trouve que Libération avait publié un article sur cette étude en janvier 2016. Celle-ci affirmait en réalité que «le racisme des minoritaires à l’encontre des majoritaires […] ne fait pas système et ne produit pas d’inégalités sociales». Combien de Blancs privés d’études, de logement ou d’emploi en raison de la couleur de leur peau et dans l’indifférence générale ?

«Le vrai problème n’est pas un morceau de phrase de Lilian Thuram. Le problème, c’est que des Noirs soient accueillis par des cris de singe sur des stades dans l’indifférence des autorités», a réagi le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, dans un communiqué tranchant radicalement avec la tonalité de la Licra. Dans l’Obs, Lilian Thuram est revenu ce vendredi sur la polémique : «On me fait dire "les Blancs se pensent supérieurs et croient l’être", mais ce n’est pas mon propos : dans cette phrase, je parle des supporteurs racistes. Pourquoi ces gens se permettent-ils de faire des bruits de singe ? Parce qu’ils ont un complexe de supériorité. Et ce complexe est issu d’une culture raciste dans laquelle ils ont grandi.»

Cette affaire n’a rien d’exceptionnel. La question du «racisme anti-Blancs» revient régulièrement sur la table, avec la complaisance de nombreux médias, plongeant ici un rappeur inconnu dans une tourmente médiatique et judiciaire, menaçant là l’organisation d’un festival antiraciste en non-mixité partielle. Elle révèle, comme les autres polémiques portant sur l’utilisation de mots comme «racisé» ou «blanchité», une incapacité à penser le racisme en tant que système. Si des personnes voient le cours de leur existence profondément altéré en raison de leur assignation à une identité racialisée, alors il y a de l’autre côté des personnes qui en profitent. Et si les victimes sont encore si nombreuses, alors la responsabilité n’en revient pas qu’à quelques illuminés résiduels. D’où la nécessité de penser la question blanche, comme s’y emploient des chercheurs en France et aux Etats-Unis.


Sur Twitter, la militante féministe et antiraciste Mélusine recourt à une comparaison avec le sexisme, dont il est de plus en plus admis qu’il ne peut être combattu efficacement si l’on ne réfléchit pas aux conditions sociales qui le permettent – et, donc, à la place qu’occupent les hommes dans la société. «Il faut comprendre, écrit-elle, que c’est la même démarche politique qui doit être entreprise concernant le racisme : non pas une question individuelle et morale, mais une structure fondamentale où il est question de rapport social, de rapport de pouvoir, d’exploitation. Nommer les Blancs non pas pour que chacun puisse battre sa coulpe, mais pour que chacun puisse prendre conscience de sa place et de sa participation dans la structure raciste de la société.»

Frantz Durupt