samedi 29 août 2020

Migrants: sur la Méditerranée, une situation «intenable» et «mortelle»

 

Des migrants de Tunisie et de Libye arrivent à bord d'un bateau des garde-côtes sur l'île italienne de Lampedusa, le 1er août 2020.
Des migrants de Tunisie et de Libye arrivent à bord d'un bateau des garde-côtes sur l'île italienne de Lampedusa, le 1er août 2020. Alberto PIZZOLI / AFP
Texte par : Romain Philip
 
 Sur fond d’inquiétudes et de lutte contre le Covid-19, les pays du pourtour méditerranéen se désengagent de plus en plus de la Méditerranée et de la gestion des traversées clandestines, voire même durcissent leur politique migratoire.
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Arrivé au large de la Libye le 22 juillet, le SeaWatch 4, un navire d’une soixantaine de mètres battant pavillon allemand n’a pas eu à ratisser les flots pour commencer ses opérations en mer. Mercredi 26 juillet, après 3 sauvetages en 3 jours, plus de 200 personnes – dont des dizaines de mineurs - sont à bord du navire affrété par l’ONG homonyme et Médecins sans frontières (MSF).

Une situation qui rappelle « à quel point la route est dangereuse, mortelle et à quel point les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile continuent d’arriver en Europe en traversant la Méditerranée », estime Hassiba Hadj Sahraoui, chargée des questions humanitaires chez MSF. Depuis le début de l’année, « plus de 17 000 personnes sont arrivées en Italie et à Malte » en provenance des côtes libyennes et tunisiennes, soit trois fois plus qu’en 2019, selon le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR).

Mais ces chiffres rappellent surtout le danger mortel que représente cette traversée. Au moins 303 migrants ont péri sur la route migratoire de la Méditerranée centrale, estime l’agence onusienne. Le 19 août dernier, 45 personnes, dont 5 enfants, ont perdu la vie dans le naufrage le plus meurtrier de 2020. Entassées avec 37 autres migrants – ceux qui ont pu être secourus – sur un bateau pneumatique précaire, elles sont décédées après l’explosion du moteur de l’embarcation au large de Zwara, en Libye.

Entrave au travail des ONG

« Le nombre estimé actuel de décès est probablement beaucoup plus élevé », alerte le HCR et l’IOM (Organisation internationale pour les migrations) qui appellent à « une action urgente » des États méditerranéens. Sauf que depuis fin juin, avant l’arrivée du Sea Watch 4 dans la zone il y a quelques jours, plus aucun bateau de secours n’était présent pour les opérations de sauvetage. Tous étaient en détention administrative dans des ports italiens. Par exemple, l’Ocean Viking, navire de l’ONG SOS Méditerranée est bloqué en Sicile depuis plus d’un mois, tout comme trois autres navires.

« Un certain nombre d’États européens restent très frileux sur la possibilité de laisser les ONG opérer un service de sauvetage en mer qu’ils n’assurent eux-mêmes plus en Méditerranée centrale », explique à RFI Vincent Cochetel, envoyé spécial du HCR pour la Méditerranée. Laissant ainsi le sauvetage aux gardes-côtes libyens, qui débarquent les réfugiés dans ce pays où ils risquent d’être enfermés, livrés à des trafiquants ou même tués. De ce fait, « deux migrants d’origine soudanaise ont été tués et trois autres blessés dans une fusillade au point de débarquement de Khums en Libye » en tentant de s’échapper après avoir été ramenés en Libye par les gardes-côtes, fin juillet, rapporte l’IOM qui, comme la totalité des ONG, tient à rappeler que la Libye n’est pas un pays sûr.

La situation pour les ONG est devenue « intenable », estime la responsable de MSF. Les inquiétudes d’une résurgence de l’épidémie de Covid-19 ont mis en branle l’accord de Malte, le mécanisme de répartition des migrants adopté entre la France, l’Allemagne, l’Italie, la Finlance et Malte. En effet, les fermetures de frontières et craintes d’apport du Covid-19 à travers les flux migratoires ont poussé les pays à réduire l'accueil des migrants. « Les États européens, pas que l’Italie et Malte, essayent de se désengager complétement de la Méditerranée. Et l’obligation de porter secours aux personnes en détresse en mer est de plus en plus érodée par les États », regrette la représentante de MSF.

« La situation pandémique a exacerbé ces tensions »

« Ce qu'il n’était pas possible de faire avec des motifs de lutte contre les migrations illégales devient maintenant possible au motif de la lutte contre la pandémie », regrette Hassiba Hadj Sahraoui. Phénomène constaté depuis quelques semaines maintenant, l’augmentation des cas de coronavirus au sein des groupes de migrants arrivant sur les côtes européennes a d’autant plus accentué le durcissement de la politique migratoire des pays d’accueil, poussé par les inquiétudes de la population locale.

En Sicile par exemple, le président de la région a indiqué dimanche 23 août vouloir fermer tous les centres d’accueil pour migrants, accusés de favoriser la propagation du virus. Un défi directement lancé au gouvernement italien qui a balayé la décision d'un revers de main, arguant qu'il s'agissait d'une compétence de l'État, et non de la région.

De telles tensions sont palpables en Grèce. « Il y avait déjà des tensions très fortes entre la population locale et le gouvernement à cause des camps surpeuplés et la situation pandémique a exacerbé ces tensions », explique à RFI Philippe Leclerc, représentant du HCR e

Une entrave au travail des ONG qui a aussi pour conséquence de rendre difficiles les actions de sauvetage réalisées par les bateaux commerciaux qui arpentent la Méditerranée. De peur d'être mis en quarantaine ou de ne pas pouvoir débarquer les migrants secourus, les bateaux commerciaux ne s’arrêtent plus apporter leur aide aux embarcations. Certains offrent tout de même eau et nourriture aux personnes qui tentent la traversée mais sans les faire monter à bord, selon de nombreux témoignages.

Le Covid-19 est également responsable du départ non-prévu de centaines de personnes sur les routes migratoires. Pour le seul cas de la Tunisie, la hausse est de 462% par rapport à l’année dernière, selon le HCR. Poussé par les difficultés économiques engendrées par la crise sanitaire, ils sont nombreux à quitter l’Afrique du Nord pour tenter leur chance en Europe.

« Beaucoup n’avaient pas du tout l’intention de (traverser la mer) précédemment », mais avec la crise, les réfugiés des pays comme la Tunisie, durement touchée économiquement, « ont perdu leur travail dans leur pays de premier asile et se sont retrouvés sans emploi et sans logement », justifie Vincent Cochetel.

Même si la pandémie a fait bondir le nombre de personnes sur les routes migratoires de la Méditerranée centrale, la situation est loin des chiffres des années les plus fortes de la crise migratoire qui a débutée en 2015. « Les situations sont gérables », assure l’envoyé spécial du HCR. À condition qu’au niveau européen, et ce malgré la pandémie, il y ait une plus forte solidarité « dans la répartition des réfugiés » et ne plus laisser seul l'Italie et Malte face à l'afflux de demandeurs d'asile. « Il ne faut plus des négociations à l’arrivée de chaque bateau .». Mais pour cela, faut-il déjà qu’ils naviguent.

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