dimanche 14 septembre 2025

Plaidoyer en faveur d’une plus grande intégration des Jeunes Mineurs Non Accompagnés (MNA)

La situation des mineurs isolés en provenance notamment d'Afrique n'a jamais été aussi préoccupante, au moment où nombre de collectivités locales réduisent drastiquement les budgets affectés à l'accueil et à l'insertion. C'est l'occasion de dire et redire que le suivi des jeunes mineurs non accompagnés (MNA) n'est nullement de la charité et encore moins de l'ordre uniquement de l'aide ou de l'action humanitaire (exercée par les associations en amont), mais véritablement un investissement opéré par la puissance publique à travers l'insertion scolaire et professionnelle de jeunes qui contribuent progressivement au dynamisme et au rayonnement économiques de la France dans des secteurs d'activités parfois délaissés par les Français, ou désespérément en quête du renouvellement de personnels qualifiés. La synergie entre les centres de formations aux différents métiers et les entreprises liées à ces jeunes par des contrats d'apprentissage permet d'atteindre des taux de réussite largement supérieurs à tous les autres dispositifs d'accompagnement à l'insertion, notamment les jeunes en décrochage scolaire dans les quartiers populaires. C'est dire si la France est largement gagnante sur toute la ligne, et doit renforcer de ce mode de partenariat entre les collectivités territoriales et les opérateurs économiques, porteur d'une intégration réussie des étrangers. Joël Didier Engo, Association NOUS PAS BOUGER http://www.nouspasbouger.org
« Comment avouer à ma mère que je dormais sur un trottoir à Paris ? » : les premiers jours en France de Younoussa, venu de Guinée « Exils » (3/30). Younoussa a 17 ans. Mineur isolé, à Paris depuis deux ans, l’adolescent, qui a grandi non loin de Conakry, raconte l’errance des débuts et son point de repère : l’Hôtel de ville. Propos recueillis par Audrey Parmentier Publié le 03 août 2025 Younoussa, devant l’Hôtel de ville de Paris, le 27 avril 2025. C’est ici qu’il a rencontré des « compagnons de galère » qui l’ont aidé à garder le moral. HUGUES LAWSON-BODY POUR « LE MONDE » « Le 20 juillet 2023, j’atterris dans un foyer d’accueil à Briançon [Hautes-Alpes], après avoir traversé la frontière italienne : on nous distribue des vêtements trop grands, de la nourriture et, surtout, un billet de train pour Paris. “Là-bas, la vie est rude… Tu ne veux pas être transféré à Marseille ?”, me demande une bénévole. “Pas question !” A l’époque, la France se résume pour moi à deux choses : le Paris Saint-Germain et la tour Eiffel ! Alors, direction la capitale. Ma première nuit dehors se passe au milieu des courants d’air, à la gare d’Austerlitz. Je suis tout seul, pourtant je n’ai pas peur. Allongé sur le sol, je serre mon sac à dos contre moi, j’écoute le grondement des trains. J’imagine mon futur : je vais apprendre la plomberie à Paris, métier que mon cousin m’a enseigné en Guinée, et, un jour, j’aiderai ma mère restée au pays avec mes trois frères et sœurs. Le lendemain, je rassemble mes affaires et me dirige vers l’accueil des mineurs non accompagnés, à Tolbiac. C’est ici qu’est évaluée la minorité des jeunes exilés qui se présentent au guichet. Pas le choix : sans reconnaissance officielle de ma minorité, pas d’hébergement, pas de protection. Dans le métro, je découvre un tourbillon de mouvements et de bruits : les claquements des talons dans les couloirs, les annonces incompréhensibles, les sonneries bruyantes. Tout cela m’inquiète. Je tends un bout de papier froissé, sur lequel est griffonnée une adresse, à certains passants qui s’arrêtent. Finalement, je monte dans la rame… dans la mauvaise direction. Demi-tour. Quand j’arrive enfin devant le bâtiment, j’ai le cœur qui cogne fort. L’entretien dure une trentaine de minutes : on me pose des questions sur l’âge de mes parents, ma vie en Guinée, mon parcours migratoire… Je ne me souviens plus exactement. Quelques jours plus tard, le verdict tombe : ma minorité est rejetée. Je serre les dents. Là encore, les bénévoles de Briançon m’avaient prévenu : peu de jeunes sont reconnus mineurs du premier coup. « Le même rêve européen » Mon papier de refus entre les mains, je vois un bénévole de l’association Utopia 56 s’approcher : “Toi aussi tu as été refusé ? Viens, on va discuter à Hôtel-de-Ville !” En arrivant, je suis frappé par l’immensité du lieu. L’édifice est majestueux, avec des centaines de fenêtres éclairées. Tout autour, des Parisiens pressés, des touristes avec leur appareil photo et, surtout, des jeunes comme moi. Dans le brouhaha, j’entends parler peul, malinké et soussou. Là, j’intègre un petit groupe de Guinéens, regroupés en cercle. Tous ont quitté leur pays, poussés par le même rêve européen, celui qu’on fantasme sur les réseaux sociaux. Pendant qu’on échange nos premiers ressentis – la tour Eiffel, par exemple, n’est pas aussi belle qu’on l’imaginait –, des bénévoles circulent entre nous. Ils portent des caisses remplies de vêtements et des sacs de chaussures usées. On me tend des couvertures et une tente. Ce soir, je dormirai dans un campement de fortune à deux pas du Centre Pompidou. Mais je ne suis plus seul : j’ai trouvé des nouveaux compagnons de galère! Nos journées sont rythmées par de longs trajets en métro. On y monte parfois sans but, afin de trouver un peu de chaleur. Dès qu’on voit un contrôleur, il faut courir vite. Il y a aussi les cours de français à Belleville, dispensés par des bénévoles. Et puis la Halte humanitaire, refuge d’un après-midi près de Rivoli, où on peut souffler et recharger nos téléphones. C’est pas grand-chose, mais c’est devenu notre routine. Le soir, j’arrive à 17 heures à l’Hôtel de ville, je discute avec les bénévoles de mon recours auprès du tribunal des enfants, puis je me glisse dans une longue file d’attente devant une marmite fumante. Pommes de terre, soupe, couscous… tout passe, sauf le fromage ! Certains grimacent en découvrant son goût, d’autres le recrachent discrètement derrière eux. Moi, j’ai essayé une fois. Plus jamais. Pour le dîner, on s’installe à même le sol, par petits groupes. Malgré le froid, malgré l’inconfort… J’adore faire le pitre. On s’amuse à imiter les Parisiens qui courent partout. Fou rire général. Après le repas, on joue au Ludo sur notre téléphone ou on se regroupe devant un match de Ligue 1. On préfère débattre au sujet de Kylian Mbappé ou de Cristiano Ronaldo plutôt que de ressasser les épreuves du voyage. Moi, j’ai mis trois mois avant d’atteindre la France. Mali, Algérie, Tunisie, Italie… Une route éprouvante par la mer et par la terre. Inutile d’en parler. « Je me bats pour avancer » En Guinée, mes parents n’avaient pas les moyens de m’offrir un avenir. Ma mère, femme au foyer, s’occupait de nous comme elle pouvait, tandis que mon père, cultivateur de riz, mettait de la nourriture sur la table. Il est mort en 2019. Faute d’argent, l’école n’a jamais été une option pour moi. J’ai grandi dans la rue, entre les parties de football improvisées avec mes amis et les journées passées avec mon oncle, chauffeur de profession. C’est lui qui m’a proposé de m’emmener en Europe et de prendre en charge mon trajet. Ma mère a accepté. Je revois son regard inquiet au moment du départ. “Fais attention”, m’a-t-elle murmuré. Une fois arrivé en France, je n’ai pas eu le courage de lui dire la vérité. Comment avouer à ma mère que je dormais sur un trottoir à Paris, après des semaines passées sur la route ? J’ai préféré tout garder pour moi. Younoussa vit désormais dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance mais il revient régulièrement sur le parvis de l’Hôtel de ville, son « refuge ». Comme ici, le 27 avril 2025. Younoussa vit désormais dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance mais il revient régulièrement sur le parvis de l’Hôtel de ville, son « refuge ». Comme ici, le 27 avril 2025. HUGUES LAWSON-BODY POUR « LE MONDE » En avril 2024, j’ai été reconnu mineur et placé dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance. Désormais, je me bats pour avancer. Mon objectif : trouver un patron pour valider mon CAP plomberie. Ma mère est fière de moi. Elle me le répète souvent sur WhatsApp. Le jour où je commencerai à bosser, elle n’aura à s’inquiéter de rien. Quand je n’ai pas cours, j’aime traîner du côté de l’Hôtel de ville. Les bénévoles ne sont pas encore là, mais j’observe la foule, j’écoute le bruit de la capitale et je me perds dans mes souvenirs. Parce que cet endroit, avant d’être une place comme une autre, a été mon refuge. Et, quoi qu’il arrive, on ne tourne jamais le dos aux lieux qui nous ont maintenus debout. » Pour préserver son anonymat, la personne interviewée n’a pas souhaité communiquer son nom de famille. Audrey Parmentier, Le Monde

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