Par Maryline Baumard, Le Monde.fr
La France est officiellement opposée à l’instauration de « quotas de migrants » au niveau européen, mais plaide pour une répartition « plus équitable » des réfugiés dans l’Union. C’est la position défendue par le premier ministre, Manuel Valls, samedi 16 mai, à deux jours de la reprise au Sénat de la discussion sur la loi asile.
Cette
dialectique est d’autant plus difficile à comprendre que l’Union
européenne propose justement des quotas pour parvenir à une répartition
équitable entre les pays.
En matière d’accueil des réfugiés, deux
données diffèrent largement. D’une part, le nombre de demandeurs,
d’autre part le taux d’octroi de ce statut. Selon les statistiques 2014
du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), la France n’est que le 6e pays
le plus demandé au monde. Son attrait s’est largement terni ces
dernières années puisqu’elle a perdu trois places et est un des rares
Etats à observer une décroissance (très légère) de ces demandes quand
elles flambent partout ailleurs.
Sur les 34 pays les plus
industrialisés, l’Allemagne est devenue la destination la plus
attrayante pour les personnes en quête d’une protection. Elle est suivie
par les Etats-Unis, la Turquie, la Suède et l’Italie. De grands pays de
l’Union europénne, comme la Pologne, ne prennent qu’une part très
réduite de l’afflux migratoire.
Taux de refus en France élevé
Si l’on
s’intéresse cette fois au pourcentage de demandes qui reçoivent une
réponse positive, la France n’est pas généreuse. Elle se classe même
loin derrière la moyenne de l’Union européenne. Selon les données
Eurostat, établies sur l’année 2014, 45 % des demandeurs obtiennent un
statut de réfugié dans l’Union lors de leur demande initiale, contre un
taux deux fois moins élevé en France (22 %).
Inutile de préciser
que ce large pourcentage de refus contribue à la perte d’attractivité du
pays en la matière. Ainsi, les Erythréens qui sont refusés dans 85 %
des cas par la France, trouvent ailleurs une reconnaissance de leur
statut de personne persécutée. Les trois quarts des 14 600 Erythréens
qui sont arrivés en Europe en 2014 ont été accueillis par la Suède
(5 700), les Pays-Bas (3 600) et le Royaume-Uni (2 300). La France,
elle, n’en a accepté que 183 et s’étonne ensuite qu’ils campent à Calais
dans l’attente d’une traversée de la Manche.
Ces données montrent
bien que chaque pays de l’Union accueille comme il l’entend ses
réfugiés. Ils sont logés ou laissés à la rue, ils perçoivent ou non une
indemnité de survie durant l’instruction de leur dossier. Et, bien que
les Etats se basent sur le même texte de la convention de Genève, ils ne
l’interprètent pas de la même manière.
La Commission propose une répartition chiffrée
L’accueil
des demandes individuelles est donc une prérogative étatique que
Bruxelles n’a pas l’intention de toucher. En revanche, c’est en cas
d’afflux massif d’arrivants que la Commission propose une répartition
chiffrée « des personnes qui ont besoin d’une protection et non des migrants économiques »,
tient à préciser Philippe Leclerc, le correspond du HCR auprès de la
France. Il ne s’agit évidemment pas d’obliger un Etat à accueillir de
migrants économiques ; même si certains profitent de ce débat pour jeter
le flou sur ce point crucial.
Le 13 mai, la Commission européenne
a avancé l’idée qu’une répartition pensée globalement obligerait la
France à augmenter le nombre de ses propres demandeurs d’asile de 14 % ;
l’Allemagne, de 18 % ; et l’Italie, de 11 %. « Il s’agit d’une mesure d’urgence, pour une situation précise [l’afflux en Méditerranée].
Je précise que chaque Etat pourra continuer à déterminer s’il accorde,
ou non, l’asile à la personne concernée. Nous n’imposerons rien », a précisé au Monde le même jour le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans.
La
mise en place d’un tel système nécessiterait à un premier accueil
international permettant de définir qui au sein de ces arrivées massives
a besoin de ce statut. « Nous sommes favorables à cette idée et en
discuterons aussi bien avec les Etats qu’avec l’Europe afin d’être le
plus efficace possible en matière de délivrance d’une protection
internationale », ajoute Philippe Leclerc.
Grande-Bretagne, Hongrie, Pologne et France opposés aux quotas
Les
quotas, auxquels s’opposent déjà la Grande-Bretagne, la Hongrie, la
Pologne et désormais la France, s’appuient en même temps sur un autre
levier. En effet, en parallèle à ces demandeurs qui déposent
individuellement leur dossier, le Haut-Commissariat pour les réfugiés
(HCR) a repéré des personnes nécessitant une sortie urgente des camps et
une réinstallation dans un pays tiers. C’est une des missions du HCR.
Les
Syriens, dont on connaît la situation et qui ont sursaturé les pays
voisins (Liban, Turquie, etc.), puisque près de 4 millions y sont
installés, pourraient être plus largement accueillis sur le Vieux
Continent, selon l’agence des Nations unies. En 2014 les Vingt-Huit en
ont accueilli soixante-dix mille. Le HCR a donc demandé à l’Union
européenne d’en accueillir 20 000 au cours des deux prochaines années.
La clé de répartition établie par les instances européennes imposerait à
la France d’en prendre en charge 2 375.
Lorsque Manuel Valls rappelle samedi que «
la France, déjà, a fait beaucoup : ainsi 5 000 réfugiés syriens
et 4 500 Irakiens ont déjà été accueillis en France depuis 2012 »,
il additionne en fait les différents modes d’accueil, qu’ils soient
individuels ou préconisés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux
réfugiés. En fait, la France a accueilli 500 réfugiés Syriens
sélectionnés par le HCR en 2014. Elle est en train d’en accueillir 500
autres, et le chef de l’Etat, François Hollande, a annoncé en accepter
encore quelques centaines (sans chiffrer) lors du dernier sommet
européen, le 23 avril. A titre de comparaison, l’Allemagne a donné son
accord pour 10 000 en 2014… et autant pour 2015.
Quotas calculés en fonction du PIB
Les
quotas que souhaite mettre en œuvre l’Union seraient calculés en
fonction du produit intérieur brut (PIB) du pays, de sa population, de
son taux de chômage et du nombre de réfugiés déjà installés. Or quand le
HCR recalcule le taux d’accueil des réfugiés en fonction du PIB de
chaque pays, la France tombe de deux rangs en matière d’effort consenti,
pour se placer au 8e rang des 34 pays industrialisés (contre une 6e place
si l’on s’en tient à l’accueil en valeur absolue). Ce facteur intégré,
la Turquie est le pays qui consacre le plus fort taux de son PIB sur ce
poste, elle est suivie par l’Allemagne, les Etats-Unis et l’Italie.
Si
l’on fait bouger le curseur pour analyser le nombre de réfugiés
accueillis non plus en fonction de la richesse du pays, mais par millier
d’habitants, là encore la France ne se classe pas au rang des pays les
plus généreux. C’est la Suède qui arrive en tête. Entre 2010 et 2014, le
pays nordique a accepté 24,4 % de réfugiés par millier d’habitants,
Malte le suit avec 17,5 % ; le Luxembourg avec 12,6 %… Avec ce mode de
calcul la France ne figure même pas dans les dix premiers !
Ces
vérités statistiques ne trouvent que peu leur place dans un débat très
politisé et instrumentalisé, où l’on confond volontiers migrant et
demandeur d’asile. Demain 18 mai, le Sénat va reprendre les discussions
sur la proposition de loi censée améliorer l’asile en France. Dans les
semaines à venir et avant que le plan européen ne soit discuté par les
ministres de l’intérieur, le 15 juin à Luxembourg, puis soumis aux
dirigeants lors du sommet de Bruxelles du 30 juin, les discussions vont
aller bon train. Les prises de positions de Manuel Valls montrent de
façon précoce que le texte pourra arriver largement amendé en
discussion.
Maryline Baumard
Journaliste
Journaliste
Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université de Nanterre: «Valls est motivé par les élections à venir»
Pour Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université de Nanterre, le Premier ministre défend sur les migrants une position «assez hypocrite».
Ils sont plus de 9 000, partis de Libye à bord
d’embarcations de fortune, à avoir accosté sur les côtes italiennes en
une semaine. Autant de migrants chassés par les conflits de l’autre côté
de la Méditerranée venus grossir la longue liste des demandeurs d’asile
dans l’UE. En 2014, le Vieux Continent a traité 360 000 demandes, dont
185 000 acceptées. Mais seuls six pays ont assumé l’essentiel de cette
prise en charge. Face à ce déséquilibre, la Commission européenne a
proposé, le 13 mai, d’instaurer des «quotas de réfugiés»
obligatoires par pays, entraînant une levée de boucliers de la part de
plusieurs dirigeants européens. A commencer par le Premier ministre
français, Manuel Valls, qui, après les autorités polonaises, hongroises
et britanniques, s’est déclaré contre ces quotas lors d’un déplacement,
samedi, à la frontière franco-italienne. Une position jugée «hypocrite» par
Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université
Paris-Ouest-Nanterre et membre du réseau Trans Europe Experts, qui
rappelle que la France peut mieux faire en matière d’accueil.
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