samedi 16 mai 2015

Immigration en Europe: la Libye inopérante, transfert des camps pour migrants au Niger?

Par Guilhem Delteil, Radio France Internationale


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Le ministre français de l'Intérieur Bernard Cazeneuve (g.), et son homologue nigérien Hassoumi Massaoudou, le 14 mai 2015 à Niamey. AFP PHOTO / BOUREIMA HAMA
La Commission européenne a dévoilé, mercredi 13 mai, sa stratégie migratoire : mieux répartir les réfugiés entre les Etats-membres et renforcer les contrôles de ses frontières maritimes. Mais l’UE veut aussi intervenir en amont sur les routes de l’immigration. Une première initiative a été annoncée, ce vendredi à Niamey par le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, et le président nigérien, Mahamadou Issoufou : des centres pour migrants seront créés au Niger. 

Le Sahel est traversé par 50 à 60% des migrants qui arrivent en Libye. Le Niger est donc un important pays de transit et l’Union européenne veut atteindre les migrants en route vers la Méditerranée pour renforcer la protection de ceux qui sont éligibles à l’asile, mais aussi pour construire avec les migrants économiques un projet d’insertion professionnelle les incitant à rentrer dans leur pays.

« Les centres que l’Union européenne se propose de mettre en place dans le cadre d’une démarche conjointe avec le Niger doivent être l’occasion de porter des politiques ambitieuses de développement pour les migrants et pour les Etats ». C’est ce qu’a déclaré Bernard Cazeneuve, le ministre français de l’Intérieur, à Niamey ce vendredi.

Car c’est là le cœur de la politique migratoire européenne, la très grande majorité des migrants traversant la Méditerranée relèvent de l’immigration économique. Il faut donc, aux yeux des Européens, renforcer l’aide au développement, une démarche qui va dans le bon sens, selon le président nigérien Mahamadou Issouffou : «Les gens quittent les pays pauvres parce que tout simplement, leur situation est intenable et c’est pour cela qu’il faut attaquer le mal à sa racine. Et attaquer le mal à sa racine, c’est envisager comment créer les conditions de développement économique et social des pays d’origine. » Le premier de ces centres devrait ouvrir à Agadez d’ici la fin de l’année.

Guilhem Delteil, Radio France Internationale (RFI)

Le mythe de la France généreuse

Jean QUATREMER (à Bruxelles) et Sylvain MOUILLARD
 
Libération 19 mai 2015
DÉCRYPTAGE

Contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, le taux des demandes d’asile qui reçoivent une issue favorable dans l’Hexagone est plus faible que la moyenne européenne.

La matière est hautement inflammable, sujette aux raccourcis et analyses biaisées. La prise en charge des demandeurs d’asile, aujourd’hui du ressort de chaque pays membre de l’Union européenne, pourrait faire l’objet d’une politique commune. La France, loin d’être un eldorado pour les migrants en danger dans leur pays, est justement en train de réformer son droit d’asile.

Que propose la Commission?

Une partie importante des étrangers qui pénètrent illégalement sur le territoire de l’UE, parfois au risque de leur vie, le fait pour fuir des persécutions ou la guerre et non pour chercher du travail. Ce n’est pas un hasard si le nombre de demandes d’asile a explosé en 2014 avec 626 065 dossiers (+ 45% par rapport à 2013), la situation internationale se dégradant. Or, la charge est actuellement supportée pour l’essentiel par les pays frontaliers de l’Union, la Grèce et l’Italie au premier chef. Bruxelles propose donc de répartir le traitement des demandes d’asile entre les pays européens.

Ce mécanisme d’urgence, qui sera finalisé mercredi prochain, ne s’appliquera qu’aux étrangers qui «ont manifestement besoin d’une protection internationale». L’exécutif européen va établir une liste de nationalités qui seront réputées être dans ce cas et dont feront sans doute partie les Syriens, les Erythréens, voire les Somaliens. Dans le pays de premier accueil, des représentants de Frontex (l’agence européenne des migrations), d’Europol (agence de coordination policière) et des autorités nationales chargées d’accorder l’asile procéderont à un premier examen des dossiers pour écarter les demandes manifestement infondées. Ensuite, ces personnes seront réparties entre les Vingt-Huit selon une clé basée sur la démographie, la richesse, les efforts précédents, etc. Ainsi, l’Allemagne devra en accueillir 18,42%, la France 14,17%, l’Italie, 11,84%, etc. Soit, en se basant sur les chiffres de 2014, un «surplus» de 26 000 demandeurs d’asile dans l’Hexagone, et de 7 000 régularisés. Ce sont les autorités nationales qui, au final, accorderont ou non le statut de réfugiés. A charge pour elles, aussi, de reconduire à la frontière les déboutés. En outre, la Commission demande aux Etats d’accueillir 20 000 Syriens qui ont déjà obtenu le statut de réfugié et qui se trouvent actuellement dans des pays tiers (Turquie, Jordanie, Liban).

Pour entrer en vigueur, cette réglementation devra être adoptée par une majorité qualifiée d’Etats, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark ne participant pas au vote puisqu’ils bénéficient d’un opt-out (une option de retrait) sur la politique d’immigration.

La France est-elle spécialement généreuse?


A en croire le gouvernement, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve en tête, la France assumerait plus que sa part dans la prise en charge des migrants, notamment ceux relevant de l’asile. «Sur 28 pays de l’UE, 5 seulement accueillent 75% des demandeurs d’asile», a expliqué lundi le ministre de l’Intérieur. En valeur absolue, il n’a pas tort. L’an passé, la France a enregistré 62 735 demandes d’asile selon Eurostat, ce qui la place au quatrième rang européen derrière l’Allemagne, la Suède et l’Italie.

Mais alors que l’UE a enregistré une hausse globale des demandes de 44%, la France, elle, a vu le nombre de dossiers déposés diminuer de 5%. Certes, la tendance est à la hausse quasi continue depuis 2007. Mais les besoins de protection sont moins élevés qu’en 1989 (Turquie, Zaïre) ou en 2003 (ex-Yougoslavie, Algérie, Tchétchénie). «On est incapable de reconnaître que l’asile est phénomène éternel, note Jean-François Dubost, juriste à Amnesty International. Les demandes oscillent de manière récurrente entre 45 000 et 65 000 par an.»

Surtout, quand on rapporte le nombre de requérants à la population du pays d’accueil, on se rend compte que la France est loin d’être «submergée», comme voudrait le faire croire l’extrême droite. En 2014, la France comptait un demandeur pour un millier d’habitants. Très loin de la Suède (8,4 pour 1 000), de la Hongrie (4,3) ou de l’Allemagne (2,5). «Notre pays se targue d’être important sur la scène économique et diplomatique et de défendre l’asile, remarque Eve Shahshahani, responsable du dossier pour l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat). Or, la France n’est pas bonne élève. Elle a été condamnée à près de dix reprises ces dernières années par la Cour européenne des droits de l’homme sur ce dossier.»

Le taux de protection est à cet égard révélateur. En 2013, 18% des dossiers aboutissaient à une issue positive, quand la moyenne européenne s’élevait à 35%, selon l’Acat. Les choses se sont améliorées en 2014, selon Pascal Brice, le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). « L’an passé, le taux de protection global était de 28%.» Au crédit de l’Ofpra, la France reçoit peu de demandes d’asile syriennes (3 154 en 2014), alors que l’Allemagne en a enregistré 41 000 et la Suède 31 000. Or, les Syriens bénéficient d’un taux de protection très élevé, plus de 90%. Mécaniquement, ils font donc monter le niveau du taux de protection. Pour Pascal Brice, c’est autant la situation économique, plus favorable en Allemagne ou en Suède, que les communautés implantées là-bas qui expliquent que ces deux pays soient privilégiés par les Syriens. A contrario, il est indéniable que la France se montre très peu généreuse envers les migrants originaires de la Corne de l’Afrique (Erythrée, Soudan), dont les dossiers sont rejetés dans près de 90% des cas.

 Les demandes d'asile en France et en Europe

Le système d’asile est-il dévoyé ?

C’est devenu un des leitmotivs de la droite et de l’extrême droite : puisqu’un quart des demandeurs d’asile seulement voient leurs demandes aboutir, c’est que les trois quarts seraient des «fraudeurs», des migrants économiques «déguisés». Un rapport provisoire de la Cour des comptes, qui a fuité dans la presse au mois d’avril, avait accrédité cette thèse : «La demande d’asile est utilisée par certaines personnes comme une nouvelle filière d’immigration, notamment économique.» La Cour des comptes pointait aussi le faible nombre de déboutés quittant effectivement le territoire français (1% selon elle, 10% selon le ministère de l’Intérieur). Cette machine à fabriquer des sans papiers coûterait, selon l’institution de la rue Cambon, 2 milliards d’euros par an.

Faux, répond le gouvernement, qui chiffre le budget de l’asile à un peu moins de 600 millions. «Cette rhétorique est trompeuse», dénonce Eve Shahshahani, qui estime que les déboutés sont avant tout des personnes «n’ayant pas eu la chance d’être pleinement entendues». Mylène Stambouli, de la Ligue des droits de l’homme, précise : «Une personne dont la famille a été massacrée peut mettre longtemps avant de réussir à faire le récit de son expérience.» Pascal Brice, le directeur de l’Ofpra, balaie lui aussi cette idée d’un droit d’asile dévoyé : «Penser qu’il y aurait un comportement conscient et massif de détournement, c’est une erreur sur la nature de ce droit.» Un coup d’œil aux nationalités les plus présentes parmi les demandeurs d’asile est instructif : les personnes originaires de zones de conflits (République démocratique du Congo, Russie, Syrie) côtoient celles venues du Bangladesh et d’Albanie.

Comment la droite s’engouffre-t-elle dans le débat?


Alors que les drames en Méditerranée se succèdent, le Sénat examine depuis quelques semaines un projet de loi sur l’asile destiné à réformer un système «à bout de souffle». Voté en première lecture à l’Assemblée en décembre, il pourrait ressortir profondément durci du Palais du Luxembourg. Les sénateurs UMP ont présenté des amendements visant notamment à réduire les délais de traitement des dossiers (trois mois contre neuf dans le projet initial). Pour Eve Shahshahani, il s’agit d’une «surenchère sécuritaire et démagogue».

Jean QUATREMER (à Bruxelles) et Sylvain MOUILLARD, Libération
   

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