Omer Mas Capitolin, président de la Maison communautaire pour un développement solidaire, demande une traçabilité des contrôles de police. @ Véronique Gaymard/RFI
À Paris, l’exposition en plein air «l’égalité trahie» sur des panneaux d’affichage Place de la République veut montrer au public que les contrôles de routine de la police, ce que les personnes contrôlées appellent le « délit de faciès », selon la couleur de peau, constituent un véritable problème de société. Humiliations, peur des contrôles, perte de confiance envers la police et surtout sentiment d’être un citoyen de seconde catégorie qui ne fait pas entièrement partie de la République. C’est ce que font ressortir ces témoignages exposés à Paris jusqu’au 12 juillet. Véronique Gaymard s’y est rendue.
«Une brèche est créée dans le droit»
et
RÉCIT
Pour la première fois, l’État a été condamné pour des contrôles d'identité réalisés à l'encontre d'hommes noirs ou arabes. Une «faute lourde» qui pourrait faire jurisprudence.
Ils s’appellent Bocar, Régis, Mounir… Ces treize
hommes, âgés de 18 à 35 ans, ont un point commun : ils sont noirs ou
arabes et estimaient avoir été victimes de contrôles au faciès de la
part de la police. Après deux ans de procédure, la justice leur a donné
en partie raison ce mercredi. Une décision inédite de la cour d’appel de
Paris, qui a condamné l’Etat pour faute lourde. Cinq des treize
plaignants recevront même des dommages et intérêts, à hauteur de
1 500 euros par personne. L’Etat a deux mois pour se pourvoir en
cassation, tout comme les huit personnes qui n’ont pas eu gain de cause.
Sihame Assbague, porte-parole du collectif «Stop le contrôle au faciès», salue «une décision géniale, une très bonne nouvelle, qui récompense le courage de ceux qui se sont battus». Mi-mai, la relaxe des policiers impliqués dans la mort de Zyed et Bouna,
deux adolescents décédés en 2005 dans un transformateur électrique
après une course-poursuite avec la police, avait laissé le sentiment
âcre d’une justice frileuse, incapable de sanctionner les forces de
l’ordre. «Cette fois-ci, souligne Sihame Assbague, une
brèche est créée dans le droit. Nous voulons convaincre les victimes de
contrôles abusifs de la nécessité de porter plainte. C’est la seule solution pour forcer les pouvoirs publics à tenir leurs promesses.»
«Cela peut créer une belle jurisprudence»
La cour d’appel de Paris a jugé qu’ont été réunies des «présomptions graves, précises et concordantes» permettant de retenir que les contrôles litigieux ont été réalisés «en tenant compte de l’apparence physique et de l’appartenance, vraie ou supposée à une ethnie ou une race», et que l’autorité publique a échoué à démontrer en quoi ces contrôles étaient «justifiés».
Félix de Belloy, un des deux avocats des plaignants, salue la décision d’une des «plus importantes juridictions de France». «Cela peut créer une belle jurisprudence, estime-t-il. C’est
une injonction implicite faite aux policiers de justifier chaque
contrôle. Sinon, l’Etat prend le risque de devoir dédommager des
personnes qui n’auraient été contrôlées qu’en raison de leur couleur de
peau.»
En première instance, le TGI de Paris avait pourtant débouté les plaignants, jugeant qu’il n’était pas du ressort de la justice de trancher ce débat «politique». Lors du procès en appel, le 25 février, l’Etat et le ministère public n’avaient pas changé de ligne : «Oui, il y a des contrôles au faciès en France. C’est déplorable et condamnable. Mais ce n’est pas notre problème», expliquait ainsi l’avocate de l’Etat et du ministère de l’Intérieur. Pour elle, la discrimination ne reposait que sur le «ressenti» des contrôlés.
Le récépissé, promesse abandonnée
A l’inverse, le défenseur des droits, Jacques Toubon, s’était associé aux plaignants,
joignant au dossier un avis charpenté, s’appuyant sur de nombreux
rapports et études, ainsi que sur la jurisprudence européenne. Toubon
dénonçait des contrôles faits sur la base de «critères subjectifs», comme «l’instinct» du policier. Il demandait leur «encadrement» et des «garanties suffisantes contre les risques d’arbitraire».
Rien de révolutionnaire : le candidat François Hollande s’était engagé, en 2012, à lutter contre le «délit de faciès».
Une promesse vite tombée aux oubliettes, sous la pression du ministre
de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, soucieux de ne pas braquer les
syndicats de policiers. L’idée d’un récépissé à remettre lors des
contrôles d’identité avait elle aussi été abandonnée. L’outil aurait
pourtant une utilité : établir la preuve formelle d’un contrôle, et
éventuellement en contester le bien-fondé.
Car les faits sont là. Selon une étude menée par le CNRS
à Paris en 2009, les Noirs ont en moyenne six fois plus de risques que
les Blancs d’êtres contrôlés. Pour les Arabes, le ratio était quasiment
de huit. Enfin, les personnes habillées selon un style caractéristique
(punk, hip-hop, tecktonik) étaient onze fois plus contrôlées que celles
vêtues classiquement.
Aujourd’hui, un policier peut procéder à un contrôle sur toute
personne qui vient de commettre une infraction ou qu’il soupçonne de
s’apprêter à en commettre une. La décision de la cour d’appel de Paris
pourrait changer la donne. Félix de Belloy estime qu’une «circulaire interne» serait «suffisante» : «Le
policier devrait remettre un procès-verbal justifiant le contrôle. Car
aujourd’hui, le contrôle est le seul acte qui ne laisse pas de trace
écrite.» Laissant la porte ouverte à toutes les dérives.
Hamon: «Lutter contre le contrôle au faciès faisait partie des propositions du candidat Hollande»
25 juin 2015 Libération
INTERVIEW
Benoît Hamon, ex-ministre dans le gouvernement Ayrault devenu «frondeur», se félicite de la condamnation par la cour d'appel de Paris de la République pour «faute lourde» après la vérification d'identité abusive de citoyens par des policiers.
Benoît Hamon revient sur la condamnation de l’Etat
pour faute lourde dans des cas de contrôle au faciès. Le député PS des
Yvelines porte un jugement sévère sur la politique timorée de François
Hollande envers les habitants des banlieues, regrettant notamment qu’il
ait renoncé à mettre en place l’attestation de contrôle d’identité.
Mercredi, l’Etat français a été condamné pour «faute lourde» dans cinq cas de «contrôles au faciès». Une réaction ?
Cette décision de justice est importante car elle émane d’une juridiction importante : la cour d’appel de Paris. La République française est condamnée pour faute lourde car elle a contrôlé ses citoyens abusivement. C’est rassurant pour tous ceux qui subissent cette discrimination officielle des vérifications d’identité à répétition, alors même qu’ils n’ont rien à se reprocher.La jeunesse des quartiers a souvent perdu à la barre face à l’Etat. Mi-mai, la relaxe des policiers impliqués dans la mort de Zyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois en 2005, avait laissé le sentiment d’une justice frileuse, incapable de sanctionner les forces de l’ordre. La décision de la cour d’appel est-elle de nature à rassurer une population qui a le sentiment d’être stigmatisée ?
Pour un homme politique, surtout de gauche, il est un peu déconcertant de constater que la protection des libertés individuelles dans notre pays progresse plus par des décisions de justice que par le choix du politique. Si aujourd’hui vous avez un avocat dès la première heure de garde à vue, c’est grâce à une décision de la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme, ndlr]. Si demain on peut espérer la mise en place de l’attestation de contrôle d’identité, ce sera grâce à la pression de jugements de tribunaux qui auront condamné l’Etat.Ce jugement peut faire jurisprudence. Les plaintes vont-elles se multiplier ?
Cette décision est une invitation pressante à agir pour le pouvoir politique. Nous n’allons quand même pas attendre que l’Etat français se fasse condamner à répétition et que la première utilisation de l’action de groupe contre les discriminations que nous venons de voter soit pour faire condamner l’Etat.La lutte contre le «délit de faciès» dans les contrôles d’identité était l’un des 60 engagements de la campagne de François Hollande. Qu’en est-il ?
Il y a des contrôles d’identité utiles et ils sont mêmes très nombreux. Cependant, une étude du CNRS, menée par Fabien Jobard, avait montré en 2009 que, sur cinq sites parisiens étudiés, les Arabes et les Noirs avaient respectivement 7,8 et 6,7 fois plus de chances d’être contrôlés que les Blancs. La probabilité d’être contrôlé était également 11,4 fois plus élevée pour les personnes habillées «jeunes», selon les codes vestimentaires à la mode parmi la jeunesse. Quand vous êtes un bon citoyen et que vous vous faites contrôler à de multiples reprises sans raison compréhensible et que ce contrôle s’accompagne d’une palpation de sécurité, il y a quelque chose de terriblement vexatoire. Le rôle de la République, c’est de lutter contre les discriminations, pas de les tolérer en son sein.François Hollande aurait-il dû forcer la main au ministre de l’Intérieur du début de quinquennat, Manuel Valls, qui a refusé de mettre en place le récépissé pour ne pas braquer les syndicats de police ?
Cet engagement a été abandonné pour de mauvaises raisons. Officiellement, parce qu’il aurait jeté la suspicion sur les policiers ou gêné leur travail. En réalité, pour des raisons d’image, d’une part, et de paix sociale au ministère de l’intérieur, d’autre part. Membre du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, je l’avais déjà publiquement regretté. Martine Aubry, le maire de Paris [à l’époque Bertrand Delanoë] ou François Rebsamen, alors maire de Dijon, s’étaient exprimés en faveur d’une expérimentation des récépissés de contrôle d’identité. Lutter contre le contrôle au faciès faisait partie des propositions du candidat François Hollande. L’engagement était de revoir la procédure et non juste de réintroduire le matricule sur l’uniforme des agents. Pendant la campagne des législatives de 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s’était également engagé à mettre en place l’attestation de contrôle d’identité. Notons aussi que tous les partis à gauche y sont favorables. Là où à l’étranger ce système a été mis en place, le nombre de contrôles a été divisé par trois. Du coup, les contrôles ont été plus efficaces et la relation entre la police et la population s’est nettement améliorée. Il est encore temps de le faire.Que doit faire le gouvernement pour mettre fin au contrôle au faciès, sachant que le récépissé ne reviendra pas sur la table ?
La piste du récépissé n’est pas fermée. La décision de la cour d’appel somme en quelque sorte le gouvernement de travailler sérieusement la mesure. Je salue au passage l’action patiente des associations de lutte contre les contrôles au faciès. La balle est dans le camp de la majorité et du gouvernement. Outre l’expérimentation d’une attestation de contrôle d’identité, le gouvernement peut se pencher sur la réécriture de l’article 78.2 du code de procédure pénale, aujourd’hui extrêmement flou sur les conditions de mise en œuvre des contrôles d’identité.Quels jugements portent les habitants des quartiers populaires de votre circonscription sur la politique de François Hollande ?
C’est indiscutablement le désenchantement qui domine. Mais il n’y a pas de désir de droite pour autant. Comme partout ailleurs, c’est le Front national et l’abstention qui progressent. On ne s’en tirera pas en 2017 par quelques symboles et la sentence lapidaire selon laquelle avec nous, c’est moins pire qu’avant. Ce que j’entends est aussi lucide que simple : ce n’est pas parce qu’une politique est plus à gauche que Nicolas Sarkozy que c’est une politique de gauche.Contrôles au faciès : l'Etat condamné par la justice
Par Slim Ben Achour Avocat à la Cour d’appel de Paris, spécialiste des questions d’égalité et de non-discrimination.
DISCRIMINATION - Les associations et les syndicats de droits de l'Homme (Open Society Justice Initiative, Human Rights Watch, la Ligue des droits de l'Homme, Pazapas, la Maison pour un développement solidaire, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature) avaient prévenu, à défaut d'une politique volontariste, l'État serait condamné par la justice.C'est chose faite depuis mercredi 25 juin 2015.
La Cour d'Appel de Paris a estimé que 5 de nos concitoyens avaient subi des contrôles au faciès à l'occasion de ce que les policiers appellent des "contrôles de routine".
Comme nous le savons, la "routine" cible toujours les mêmes (voir rapport du CNRS et Open Society 2009), et ne révèle presque jamais d'infractions.
Dans un continuum antirépublicain, l'État, le Parquet et les juges de première instance défendaient l'idée que le droit de l'égalité et de la non-discrimination ne s'appliquaient pas aux contrôles d'identité.
En gros, que les policiers pouvaient contrôler une personne perçue comme noire ou arabe non pas pour ce qu'elle fait, mais pour ce qu'elle est.
Une défense qu'on qualifiait de "banania" entre nous, comme on dirait "Jim Crow" aux États-Unis.
Heureusement, les 13 personnes, par un argumentaire d'une grande simplicité, repris et enrichi par le défenseur des droits, a eu raison de la défense de l'État.
En temps de troubles, de recherche intense de boucs émissaires, il faut revenir aux grands principes, à nos règles communes.
C'est ce qu'ont fait les juges de la Cour d'Appel de Paris.
Ils ont tout naturellement :
- rappeler à l'État que le "principe de non-discrimination est au cœur de la protection internationale des droits de l'Homme" et que "les États, non seulement, doivent s'abstenir de discriminer, mais ont l'obligation de prendre toutes mesures nécessaires afin d'éviter toute discrimination"; les grands principes d'égalité et de non-discrimination prescrits après la Seconde Guerre mondiale sont donc applicables au contrôle d'identité.
- constater dans chaque dossier que le citoyen prouvait l'existence du contrôle et son caractère vraisemblablement discriminatoire (par exemple, seuls des noirs ont été contrôlés aux abords du centre commercial "Les 4 Temps" de la Défense pendant une heure et demie selon un témoin assis à une terrasse).
- constater également que si les 5 personnes ont créé une présomption de contrôle au faciès les concernant, l'État se dispense de toute justification; les juges soulignant d'ailleurs que le contrôle "n'a donné lieu à la rédaction d'aucun procès-verbal, qu'il n'a pas été enregistré, ni fait l'objet d'un récépissé".
Un mot tout de même sur les décisions qui n'ont pas reconnu les contrôles au faciès.Elles sont très problématiques.
Deux caractéristiques prédominent:
- soit elles n'apprécient pas à leur juste mesure des propos ou comportements implicitement racistes tenus par les policiers (-"C'est bizarre car tu n'es pas connu des services de police... ne t'inquiète pas, sache juste que je te vois... tu ressembles à Ronaldinho" ou à son ami l'accompagnant qui habite à Marseille, mais qui est contrôlé à Saint-Germain-en-Laye: -"Ah tu es en vacances! Tu ne travailles pas? Fais vite de trouver un travail, parce que si Sarko passe (les faits sont antérieurs à l'élection présidentielle de 2012) tu ne pourras plus rester comme ça!"
Cependant, réjouissons-nous de ces premières condamnations.
- soit, elles semblent justifier que vivre dans un quartier "classé zone de sécurité" dans un "contexte de délinquance avéré" et porter un sweat à capuche (comme Trayvon Martin en Floride) justifiaient le contrôle de quelqu'un qui ramène ses deux petites sœurs à la maison.
Les besoins d'égalité, de non-discrimination, de cohésion sociale sont tellement profonds dans notre société que d'autres condamnations de l'État vont intervenir.
Dans ce nouveau contexte, il paraît incontournable qu'une preuve du contrôle d'identité soit mise en place tant pour garantir les libertés et droits des personnes que pour protéger les forces de l'Ordre d'allégations de contrôles abusifs mensongères.
Si le gouvernement saisit le sens des condamnations, il aura à cœur de mettre à son agenda l'amélioration des relations Police/Citoyens.
Nul doute que le gouvernement va réparer l'oubli fâcheux dont le contrôle au faciès fait l'objet dans le plan d'action 2015/2017 intitulé "La République mobilisée contre le racisme et l'antisémitisme" et qui prévoit 40 actions.
Les forces de l'Ordre doivent devenir un vrai service public au lieu d'être cantonnées à des missions d'ordre public protégeant les intérêts de l'État. Elles auront tout à y gagner.
Le contrôle de routine n'est pas très valorisant comme travail, il est synonyme pour les policiers de violation grave des droits de leurs concitoyens et de mauvaises conditions de travail pour eux. Les policiers, quand ils s'expriment librement et confidentiellement, nous disent, pour la plupart, leur désir de servir la population et de mettre un terme à la politique du chiffre aussi inutile que dangereuse.
Les études faites sur les contrôles d'identité opérés par plusieurs polices à travers le monde prouvent qu'un contrôle réalisé en considération des comportements objectifs des personnes, non en raison de leur couleur, faisait drastiquement tomber le nombre de contrôles de routine et augmentait considérablement le taux d'élucidation d'infractions. Les policiers peuvent donc se concentrer sur leur cœur de métier qui est la recherche des auteurs d'infractions. Les contrôles au faciès sont donc non seulement immoraux et illégaux, mais également inutiles, contre-productifs et inefficaces.
Enfin, ces décisions constituent-elles un signe des temps?
Une coïncidence s'est produite le 25 juin au Palais de Justice de Paris, jour du délibéré du dossier du contrôle au faciès.
L'un des éditorialistes les plus populaires qui nous promet un futur funeste et nous invite calmement à envisager des crimes contre l'humanité dans la presse italienne, était de nouveau devant la justice pénale. Pour mémoire, il avait déjà été condamné pour justification des contrôles au faciès. Il sera probablement de nouveau condamné.
Ces décisions de justice peuvent-elles marquer le début d'un reflux des pratiques discriminatoires, des discours de haine dont on sait qu'ils sont mortifères? Le vent est-il en train de tourner favorablement?
Je ne sais pas ce que vous faites ce week-end... moi je vais à la Place de la République, à Paris, pour voir l'exposition concernant "l'impact des contrôles au faciès" et je vais signer la pétition #quoimagueule.
Si... je commence à le sentir... l'air devient plus respirable.
Source: http://www.huffingtonpost.fr
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