Benoît Hamon revient sur la condamnation de l’Etat pour faute lourde dans des cas de contrôle au faciès. Le député PS des Yvelines porte un jugement sévère sur la politique timorée de François Hollande envers les habitants des banlieues, regrettant notamment qu’il ait renoncé à mettre en place l’attestation de contrôle d’identité.
Mercredi, l’Etat français a été condamné pour «faute lourde» dans cinq cas de «contrôles au faciès». Une réaction ? 
Cette décision de justice est importante car elle émane d’une juridiction importante : la cour d’appel de Paris. La République française est condamnée pour faute lourde car elle a contrôlé ses citoyens abusivement. C’est rassurant pour tous ceux qui subissent cette discrimination officielle des vérifications d’identité à répétition, alors même qu’ils n’ont rien à se reprocher.
La jeunesse des quartiers a souvent perdu à la barre face à l’Etat. Mi-mai, la relaxe des policiers impliqués dans la mort de Zyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois en 2005, avait laissé le sentiment d’une justice frileuse, incapable de sanctionner les forces de l’ordre. La décision de la cour d’appel est-elle de nature à rassurer une population qui a le sentiment d’être stigmatisée ? 
Pour un homme politique, surtout de gauche, il est un peu déconcertant de constater que la protection des libertés individuelles dans notre pays progresse plus par des décisions de justice que par le choix du politique. Si aujourd’hui vous avez un avocat dès la première heure de garde à vue, c’est grâce à une décision de la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme, ndlr]. Si demain on peut espérer la mise en place de l’attestation de contrôle d’identité, ce sera grâce à la pression de jugements de tribunaux qui auront condamné l’Etat.
Ce jugement peut faire jurisprudence. Les plaintes vont-elles se multiplier ? 
Cette décision est une invitation pressante à agir pour le pouvoir politique. Nous n’allons quand même pas attendre que l’Etat français se fasse condamner à répétition et que la première utilisation de l’action de groupe contre les discriminations que nous venons de voter soit pour faire condamner l’Etat.
La lutte contre le «délit de faciès» dans les contrôles d’identité était l’un des 60 engagements de la campagne de François Hollande. Qu’en est-il ?
Il y a des contrôles d’identité utiles et ils sont mêmes très nombreux. Cependant, une étude du CNRS, menée par Fabien Jobard, avait montré en 2009 que, sur cinq sites parisiens étudiés, les Arabes et les Noirs avaient respectivement 7,8 et 6,7 fois plus de chances d’être contrôlés que les Blancs. La probabilité d’être contrôlé était également 11,4 fois plus élevée pour les personnes habillées «jeunes», selon les codes vestimentaires à la mode parmi la jeunesse. Quand vous êtes un bon citoyen et que vous vous faites contrôler à de multiples reprises sans raison compréhensible et que ce contrôle s’accompagne d’une palpation de sécurité, il y a quelque chose de terriblement vexatoire. Le rôle de la République, c’est de lutter contre les discriminations, pas de les tolérer en son sein.
François Hollande aurait-il dû forcer la main au ministre de l’Intérieur du début de quinquennat, Manuel Valls, qui a refusé de mettre en place le récépissé pour ne pas braquer les syndicats de police ? 
Cet engagement a été abandonné pour de mauvaises raisons. Officiellement, parce qu’il aurait jeté la suspicion sur les policiers ou gêné leur travail. En réalité, pour des raisons d’image, d’une part, et de paix sociale au ministère de l’intérieur, d’autre part. Membre du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, je l’avais déjà publiquement regretté. Martine Aubry, le maire de Paris [à l’époque Bertrand Delanoë] ou François Rebsamen, alors maire de Dijon, s’étaient exprimés en faveur d’une expérimentation des récépissés de contrôle d’identité. Lutter contre le contrôle au faciès faisait partie des propositions du candidat François Hollande. L’engagement était de revoir la procédure et non juste de réintroduire le matricule sur l’uniforme des agents. Pendant la campagne des législatives de 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s’était également engagé à mettre en place l’attestation de contrôle d’identité. Notons aussi que tous les partis à gauche y sont favorables. Là où à l’étranger ce système a été mis en place, le nombre de contrôles a été divisé par trois. Du coup, les contrôles ont été plus efficaces et la relation entre la police et la population s’est nettement améliorée. Il est encore temps de le faire.
Que doit faire le gouvernement pour mettre fin au contrôle au faciès, sachant que le récépissé ne reviendra pas sur la table ? 
La piste du récépissé n’est pas fermée. La décision de la cour d’appel somme en quelque sorte le gouvernement de travailler sérieusement la mesure. Je salue au passage l’action patiente des associations de lutte contre les contrôles au faciès. La balle est dans le camp de la majorité et du gouvernement. Outre l’expérimentation d’une attestation de contrôle d’identité, le gouvernement peut se pencher sur la réécriture de l’article 78.2 du code de procédure pénale, aujourd’hui extrêmement flou sur les conditions de mise en œuvre des contrôles d’identité.
Quels jugements portent les habitants des quartiers populaires de votre circonscription sur la politique de François Hollande ? 
C’est indiscutablement le désenchantement qui domine. Mais il n’y a pas de désir de droite pour autant. Comme partout ailleurs, c’est le Front national et l’abstention qui progressent. On ne s’en tirera pas en 2017 par quelques symboles et la sentence lapidaire selon laquelle avec nous, c’est moins pire qu’avant. Ce que j’entends est aussi lucide que simple : ce n’est pas parce qu’une politique est plus à gauche que Nicolas Sarkozy que c’est une politique de gauche.