Dans un rapport, cinq associations présentes dans les centres de
rétention administrative dressent le bilan d’une augmentation du nombre
d’étrangers enfermés par la France. Elles dénoncent une rétention « souvent inutile, parfois même absurde, et entachée de nombreuses violations des droits ».
Par Fériel Alouti, Médiapart 30 juin 2015
Alors que l’Union européenne vient d’abandonner le projet de répartir
de manière contraignante les 40 000 demandeurs d’asile coincés en
Italie et en Grèce, le rapport annuel de cinq associations présentes
dans les centres et locaux de rétention administrative (CRA/LRA) montre
que la France est, sans conteste, la championne d’Europe de
l’enfermement des étrangers. En 2014, 49 537 personnes ont été privées
de liberté, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2013. Selon les
chiffres des associations, cette année-là, la France enfermait déjà cinq
fois plus qu’en Espagne (9 020), sept fois plus qu’en Belgique (6 285),
dix fois plus qu’en Allemagne (4 309) et dix-huit fois plus qu’en
Angleterre (2 571). Alors même que la plupart des pays de l’Union
européenne ont une durée maximale de rétention bien supérieure à celle
de la France : 60 jours en Espagne, 8 mois en Belgique et 18 mois en
Allemagne pour ne citer que ces trois pays.
Pour rédiger ce rapport commun, les cinq associations, autorisées par
l’État à intervenir dans les centres et locaux de rétention
administrative (Cimade, Ordre de Malte France, France terre d’asile,
Assfam et Forum Réfugiés), ont compilé des données et des situations
observées tout au long de l’année 2014. Et leur constat est sans appel.
Selon elles, la rétention « s’avère en effet souvent inutile, parfois même absurde, et entachée de nombreuses violations des droits ». Elles parlent d’un « enfermement abusif » et « détourné de son objet » puisqu’en métropole, c’est une personne sur deux (55 %) qui a été renvoyée de force vers un pays européen « depuis lequel elles peuvent aisément revenir », « alors que bon nombre d’entre elles seraient parties volontairement si elles avaient bénéficié d’un délai de départ ». « Ces
expulsions permettent ainsi à l’administration de gonfler ses
résultats, puisque 80 % des décisions de renvoi vers un État membre sont
exécutées contre 34,2 % à destination des pays hors de l’Europe. »
Parmi ces personnes expulsées, plus du quart (28 %) sont des
ressortissants européens, essentiellement des Roumains qui bénéficient
pourtant du principe de libre circulation et des Albanais, « nouvelle population permettant de faire du chiffre »,
note le rapport. En 2014, les Albanais représentent la quatrième
nationalité des personnes enfermées mais surtout la première des
personnes expulsées. Des chiffres qui interpellent quand on sait que le
pays a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne, « ce qui pose à tout le moins un problème de cohérence ».
D'ailleurs, depuis 2010, les ressortissants albanais titulaires d’un
passeport biométrique peuvent circuler librement dans l’espace Schengen,
sous réserve de disposer de ressources suffisantes et d’avoir souscrit
une assurance maladie.
Quant à l’enfermement des Afghans, Syriens, Érythréens et Soudanais,
arrêtés à Calais ou à Paris, le rapport dénonce le fait que dans ces
villes « la rétention est utilisée abusivement pour démanteler plusieurs camps de migrants en les dispersant dans différents CRA ». À
Calais, sur les 600 migrants, dont une majorité d’Érythréens, qui ont
été forcés de quitter leur campement, 205 ont été placés en CRA et
seulement 24 ont finalement été renvoyés vers l’Italie.
Le rapport évoque également la situation de l’Outre-mer. Avec 65 % des éloignements forcés au niveau national, la région « concentre
les plus graves violations des droits ». « Le régime dérogatoire prive
notamment les personnes de réelles possibilités de recours », indique le rapport. À Mayotte par exemple, 19 810 personnes ont été enfermées « sans possibilité de défendre leurs droits ».
Les renvois massifs étant exécutés en quelques heures, il est rarissime
qu’un étranger puisse bénéficier d’une audience devant le juge des
libertés et de la détention (JLD) qui intervient au bout du cinquième
jour de rétention. En Guyane, ce sont souvent les mêmes personnes,
originaires du Surinam ou du Brésil, qui sont renvoyées de force de
l’autre côté du fleuve. David Rohi, représentant de la Cimade, explique
que « certaines personnes sont enfermées en CRA jusqu’à 25 fois ». « La répétition de ce phénomène, année après année, montre l’impasse de cette politique. »
Aussi « plus l’accès aux juges est réduit, plus les éloignements sont nombreux ». Le rapport parle même d’une « volonté manifeste de contourner le juge ».
En métropole, par exemple, près de la moitié (45,2 %) des personnes
éloignées le sont avant le délai d’intervention du JLD. Cette
intervention tardive empêche notamment le contrôle des procédures de
police et leur sanction le cas échéant. Pourtant, au niveau national,
les juges judiciaires ont libéré 20,3 % des personnes placées,
lorsqu’elles ont eu l’opportunité de lui être présentées. Le rapport
détaille la méthode de l’administration : « Les associations
constatent que les familles – surtout lorsqu’elles sont interpellées à
leur domicile – arrivent souvent au centre de rétention en fin de
journée, ce qui rend la rencontre avec les intervenants associatifs
difficile. Des vols sont généralement réservés le lendemain matin, si
bien que les familles sont éloignées sans même avoir eu la possibilité
de faire valoir leurs droits. En revanche, on constate que sur les 12
familles ayant été placées en métropole plus d’une journée, une seule a
finalement été éloignée, les autres ayant été libérées par des tribunaux
ou par la préfecture elle-même. »
Encore plus inquiétant, le nombre d’enfants enfermés qui a « considérablement augmenté », les associations évoquant « un triste record ».
Le nombre de mineurs retenus est passé de 3 608 en 2013 à 5 692 en
2014, soit une hausse de 16 % en métropole et de 59 % à Mayotte. Pire,
parmi ces enfants 676 ont été enfermés dans des locaux de rétention
administrative (LRA), « alors que la loi interdit leur privation de liberté dans ces lieux ». La preuve que le gouvernement de François Hollande ne respecte pas ses promesses de campagne.
Au début de l’année 2012, alors que la Cour européenne des droits de
l’homme condamnait la France pour sa pratique d’enfermement des enfants
en rétention, François Hollande, alors candidat à l’élection
présidentielle, s’engageait à y mettre fin. Le 6 juillet 2012, dans une
circulaire, le ministère de l’intérieur demandait « dans le cadre de la mise en œuvre des procédures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière » de veiller à ce que « dans le cas de familles parentes d’enfants mineurs » soit « appliquée la procédure d’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention ». Mais aujourd’hui encore, des enfants sont privés de liberté en raison de l’irrégularité du séjour de leurs parents.
Les cinq associations réclament, dans ce rapport, la modification du
projet de loi relatif au droit des étrangers qui doit être discuté à
l’Assemblée nationale en juillet prochain. « Ce projet ne prévoit
nullement de revenir sur les dispositions les plus contestées de la
réforme de 2011, pourtant décriées à l’époque par l’actuelle majorité »,
rappellent-elles. En effet, le projet de loi prévoit de maintenir la
durée de rétention à 45 jours (fixée à 32 en 2011) et le passage devant
le juge des libertés et de la détention (JLD) continuera à n’intervenir
que dans un délai de 5 jours (au lieu de 48 heures en 2011). « De
même, les personnes les plus vulnérables, notamment les étrangers
malades, ne bénéficieront toujours pas d’une protection satisfaisante »,
déplore le rapport. L’espoir d’un changement de cap suscité par
l’arrivée au pouvoir des socialistes semble ainsi réduit à une peau de
chagrin.
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