jeudi 23 juillet 2015

France: L'immigration, otage des idéologies et des calculs politiciens

 
FIGAROVOX/TRIBUNE - Maxime Tandonnet déplore que le sujet central de l'immigration soit systématiquement abordé sur le mode de la polémique et de la lutte idéologique.

Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru en août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.

Un sondage CEVIPOF de février 2015 souligne que 69% pensent «qu'il y a trop d'immigrés en France». Cette enquête, parmi d'autres du même genre, ne signifie en aucun cas que les deux tiers des Français seraient hostiles aux étrangers. Elle est le résultat d'un sentiment largement partagé que le sujet de la politique migratoire, de décennie en décennie, depuis au moins une quarantaine d'années, n'est pas correctement traité et que l'Etat ne remplit pas sa mission dans la maîtrise des frontières. L'immigration donne le sentiment d'être pris en otage des idéologies et exploitations électoralistes au détriment du bien commun, et pas seulement par l'extrême droite qui en a fait ses choux gras depuis longtemps.



L'immigration donne le sentiment d'être pris en otage des idéologies et exploitations électoralistes au détriment du bien commun.



La droite a parfois la tentation de jouer sur les passions et la communication, en annonçant des mesures qu'elle ne met pas en oeuvre. Elle brandit des slogans comme des talismans, censés régler les difficultés: «quotas», «droit du sol», Schengen... Les mots, les phrases chocs, devraient ainsi compenser les difficultés et les obstacles rencontrés lors de ses passages au pouvoir, qu'elle n'est pas parvenue à surmonter. Elle se trompe en affirmant que les «droits sociaux» sont le facteur d'appel d'air essentiel. En réalité, les migrants viennent en Europe, non pour «toucher des allocations familiales», mais souvent poussés à risquer leur vie par des filières esclavagistes, dans l'espoir d'un travail, même illégal, qui leur permettra de multiplier par dix ou vingt leur revenu...

  À gauche, la vision dominante est plus complexe. L'angélisme est en toile de fond: «l'immigration fait avancer l'humanité», comme disait Kofi Annan, elle est par définition, par dogme, par religion, «une chance pour la France» selon le titre du livre de Bernard Stasi. L'immigration est devenue une sorte d'ersatz de la la lutte des classes et de la marche vers un monde meilleur, sans frontières, d'égalité, de fraternité et de générosité. Cette image imprègne les think tanks de gauche qui voient dans les populations issues de l'immigration un nouvel électorat privilégié au détriment de la classe ouvrière. Cependant, il faut bien tenir compte de ce qui reste de l'électorat «populaire». Dès lors, sa vision de l'immigration sombre dans une étrange contradiction qui associe, depuis 1990, un vague et ponctuel discours de fermeté en surface et en profondeur, le déni du monde réel.

Le sommet de l'irresponsabilité, à droite, au centre comme à gauche, est de botter en touche et de s'en remettre à une «Europe» qui ne dispose pas elle non plus de solutions magiques, de par son ampleur géographique, ses différences de sensibilités, son mode de fonctionnement. Se défausser sur «l'Europe» en matière d'immigration n'aboutit qu'à lui faire porter le chapeau des défaillances des Etats face à un sujet aussi sensible.

Qui parle sérieusement de l'immigration dans ce pays? Il faut remonter au rapport de la Cour des Comptes de novembre 2004 sur l'accueil et l'intégration des étrangers en France, inspiré par Philippe Séguin, pour trouver un discours cohérent sur le sujet. Le rapport dénonce une profonde hypocrisie française qui consiste à laisser entrer sur le territoire des millions de personnes sur plusieurs années, sous couvert d'une bonne conscience généreuse et ouverte, sans disposer des moyens d'assurer leur accueil et leur intégration, notamment par le travail, dans une société dévastée par la crise de d'emploi, les carences dramatiques de logement et de gigantesques déficits publics. Une partie des nouveaux arrivants est ainsi reléguée dans l'exclusion, le chômage massif, l'échec scolaire, la pauvreté et les frustrations. Ce phénomène est à l'origine du drame de la ghettoïsation et de tensions explosives dans les cités dites sensibles que la société bien pensante, privilégiée, à l'abri des murs séparant «beaux quartiers»et banlieues populaires et aveuglée par sa bonne conscience, se refuse de regarder en face. 

Dans une situation honnête et disons normale, débarrassée de ses oripeaux idéologiques ou politiciens, l'immigration devrait transcender le clivage droite/gauche et le petit jeu nuisible qui consiste à défaire, par idéologie et clientélisme, ce que les autres ont fait auparavant. Certes, les remèdes miracles n'existent pas en dehors des slogans mais de nombreuses mesures pragmatiques seraient de nature à améliorer la situation de l'immigration: s'inspirer des modèles allemand et britannique pour l'immigration familiale, exiger des demandeurs d'asile un véritable motif de persécution, éviter, en amont, les embarquements des migrants illégaux, assurer les reconduites à la frontière effectives des étrangers en situation irrégulière ou ayant commis des infractions graves, durcir la répression des filières criminelles et patrons employant des travailleurs clandestins, mobiliser l'aide au développement sur les créations d'emploi dans les pays d'origine, conditionner l'immigration durable en France à l'existence d'un travail et d'un logement, et en contrepartie, se donner les moyens d'accueillir dignement ceux que la France décide de recevoir sur son territoire. Tant que l'immigration restera l'otage des idéologies et des calculs politiciens, rien ne bougera vraiment et le clivage entre l'opinion publique et «les élites dirigeantes ou médiatiques» que reflète le sondage indiqué ci-dessus, ne cessera de se creuser. A long terme, si l'on continue dans la même voie, le risque est de deux ordres. Soit la négation subreptice et la disparition de la démocratie, à force de faire taire par le mépris un peuple «mal pensant». Soit l'arrivée au pouvoir en Europe de régimes autoritaires, nationalistes ou extrémistes qui s'en prendraient eux aussi à la démocratie et aux libertés.

Une prise de conscience est désormais urgente...

Maxime Tandonnet , Le Figaro Premium

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