FIGAROVOX/TRIBUNE - Maxime Tandonnet déplore que le sujet central de
l'immigration soit systématiquement abordé sur le mode de la polémique
et de la lutte idéologique.
Maxime Tandonnet décrypte chaque
semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux
ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013.
Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru en
août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.
Un sondage CEVIPOF de février 2015 souligne que
69% pensent «qu'il y a trop d'immigrés en France». Cette enquête, parmi
d'autres du même genre, ne signifie en aucun cas que les deux tiers des
Français seraient hostiles aux étrangers. Elle est le résultat d'un
sentiment largement partagé que le sujet de la politique migratoire, de
décennie en décennie, depuis au moins une quarantaine d'années, n'est
pas correctement traité et que l'Etat ne remplit pas sa mission dans la
maîtrise des frontières. L'immigration donne le sentiment d'être pris en
otage des idéologies et exploitations électoralistes au détriment du
bien commun, et pas seulement par l'extrême droite qui en a fait ses
choux gras depuis longtemps.
La droite a parfois la tentation de jouer sur
les passions et la communication, en annonçant des mesures qu'elle ne
met pas en oeuvre. Elle brandit des slogans comme des talismans, censés
régler les difficultés: «quotas», «droit du sol», Schengen... Les mots,
les phrases chocs, devraient ainsi compenser les difficultés et les
obstacles rencontrés lors de ses passages au pouvoir, qu'elle n'est pas
parvenue à surmonter. Elle se trompe en affirmant que les «droits
sociaux» sont le facteur d'appel d'air essentiel. En réalité, les
migrants viennent en Europe, non pour «toucher des allocations
familiales», mais souvent poussés à risquer leur vie par des filières
esclavagistes, dans l'espoir d'un travail, même illégal, qui leur
permettra de multiplier par dix ou vingt leur revenu...
À gauche, la vision dominante est plus
complexe. L'angélisme est en toile de fond: «l'immigration fait avancer
l'humanité», comme disait Kofi Annan, elle est par définition, par
dogme, par religion, «une chance pour la France» selon le titre du livre de
Bernard Stasi. L'immigration est devenue une sorte d'ersatz de la la
lutte des classes et de la marche vers un monde meilleur, sans
frontières, d'égalité, de fraternité et de générosité. Cette image
imprègne les think tanks de gauche qui voient dans les populations
issues de l'immigration un nouvel électorat privilégié au détriment de
la classe ouvrière. Cependant, il faut bien tenir compte de ce qui reste
de l'électorat «populaire». Dès lors, sa vision de l'immigration sombre
dans une étrange contradiction qui associe, depuis 1990, un vague et
ponctuel discours de fermeté en surface et en profondeur, le déni du
monde réel.
Le sommet de l'irresponsabilité, à droite, au
centre comme à gauche, est de botter en touche et de s'en remettre à une
«Europe» qui ne dispose pas elle non plus de solutions magiques, de par
son ampleur géographique, ses différences de sensibilités, son mode de
fonctionnement. Se défausser sur «l'Europe» en matière d'immigration
n'aboutit qu'à lui faire porter le chapeau des défaillances des Etats
face à un sujet aussi sensible.
Qui parle sérieusement de l'immigration dans ce pays? Il faut remonter au rapport de
la Cour des Comptes de novembre 2004 sur l'accueil et l'intégration des
étrangers en France, inspiré par Philippe Séguin, pour trouver un
discours cohérent sur le sujet. Le rapport dénonce une profonde
hypocrisie française qui consiste à laisser entrer sur le territoire des
millions de personnes sur plusieurs années, sous couvert d'une bonne
conscience généreuse et ouverte, sans disposer des moyens d'assurer leur
accueil et leur intégration, notamment par le travail, dans une société
dévastée par la crise de d'emploi, les carences dramatiques de logement
et de gigantesques déficits publics. Une partie des nouveaux arrivants
est ainsi reléguée dans l'exclusion, le chômage massif, l'échec
scolaire, la pauvreté et les frustrations. Ce phénomène est à l'origine
du drame de la ghettoïsation et de tensions explosives dans les cités
dites sensibles que la société bien pensante, privilégiée, à l'abri des
murs séparant «beaux quartiers»et banlieues populaires et aveuglée par
sa bonne conscience, se refuse de regarder en face.
Dans une situation honnête et disons normale,
débarrassée de ses oripeaux idéologiques ou politiciens, l'immigration
devrait transcender le clivage droite/gauche et le petit jeu nuisible
qui consiste à défaire, par idéologie et clientélisme, ce que les autres
ont fait auparavant. Certes, les remèdes miracles n'existent pas en
dehors des slogans mais de nombreuses mesures pragmatiques seraient de
nature à améliorer la situation de l'immigration: s'inspirer des modèles
allemand et britannique pour l'immigration familiale, exiger des
demandeurs d'asile un véritable motif de persécution, éviter, en amont,
les embarquements des migrants illégaux, assurer les reconduites à la
frontière effectives des étrangers en situation irrégulière ou ayant
commis des infractions graves, durcir la répression des filières
criminelles et patrons employant des travailleurs clandestins, mobiliser
l'aide au développement sur les créations d'emploi dans les pays
d'origine, conditionner l'immigration durable en France à l'existence
d'un travail et d'un logement, et en contrepartie, se donner les moyens
d'accueillir dignement ceux que la France décide de recevoir sur son
territoire. Tant que l'immigration restera l'otage des idéologies et des
calculs politiciens, rien ne bougera vraiment et le clivage entre
l'opinion publique et «les élites dirigeantes ou médiatiques» que
reflète le sondage indiqué ci-dessus, ne cessera de se creuser. A long
terme, si l'on continue dans la même voie, le risque est de deux ordres.
Soit la négation subreptice et la disparition de la démocratie, à force
de faire taire par le mépris un peuple «mal pensant». Soit l'arrivée au
pouvoir en Europe de régimes autoritaires, nationalistes ou extrémistes
qui s'en prendraient eux aussi à la démocratie et aux libertés.
Une prise de conscience est désormais urgente...
Maxime Tandonnet , Le Figaro Premium
Une prise de conscience est désormais urgente...
Maxime Tandonnet , Le Figaro Premium
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