jeudi 24 septembre 2015

France, Pays de Transit, la Fin d'un Mythe.




"Venir en France? Mais pour vivre où? Dehors, sans nourriture, sans vêtements ?"...

C'est l'image et la respectabilité internationale de la "Patrie des Droits de l'Homme" - longtemps présentée comme une "terre d'accueil et d'hospitalité" - qui a pris un sérieux coup avec la crise migratoire en Europe, de surcroît sous un gouvernement socialiste.

En effet du pays autrefois assumé d'accueil, la puissance moyenne française n'est plus perçue par les migrants uniquement comme un pays de transit, qui n'offrirait même pas les garanties internationales minimales pour accueillir les réfugiés.

Quel désastre!

Il faut tout au moins espérer qu'il n'y aura plus un politique, pas un extrémiste...pour se plaindre de "toute cette misère du monde que la France ne peut accueillir".

La réalité est assez parlante pour casser définitivement le mythe.

Joël Didier Engo



Migrants: "Venir en France? Mais pour vivre où ? Dehors, sans nourriture, sans vêtements?"

Le pays des droits de l’homme a du mal à attirer les migrants. Mauvais accueil, chômage, casse-tête administratif… Ils nous racontent pourquoi ils préfèrent s’installer ailleurs.

"En France, il n’y a pas de travail." Ghalam, Fayhad, Mohsan et Ali, Afghans. (Lukas barth-AFP) (Lukas barth-AFP) 
"En France, il n’y a pas de travail." Ghalam, Fayhad, Mohsan et Ali, Afghans. (Lukas barth-AFP) (Lukas barth-AFP)

Un groupe s’est formé. Une dizaine de Syriens, d’Irakiens sont massés, debout, derrière une table en Formica beigeâtre, sous les néons blafards du sous-sol d’un hôpital désaffecté de Montmorency, en banlieue parisienne. L’endroit vient d’être transformé en centre d’accueil pour réfugiés. Le ton monte, les mains s’agitent, une voix s’élève :
Les gars, on n’est pas obligés de rester ici, on n’est pas prisonniers, on peut partir si on veut."
Depuis le matin, la rumeur court dans les couloirs. Une douzaine de migrants, acheminés dans des cars depuis Munich, en Allemagne, à la mi-septembre, auraient déjà quitté le centre. Waddah (*), 26 ans, qui travaillait encore comme avocat à Bagdad le mois dernier, et qui a laissé en Irak une femme et une petite fille, tourne comme un lion en cage :
Tout le monde veut partir, ici. La nuit, on a froid. Ils ont tardé à nous donner des couvertures, de nouveaux vêtements, il y des fuites d’eau dans les chambres, c’est vraiment insalubre. Et puis, on n'a pas le wi-fi, on n'arrive pas à joindre nos familles."
Le jeune homme avait trouvé le moyen de capter internet en allant dehors et en se postant près de la grille d’entrée d’une maison cossue, de l’autre côté de la rue, juste en face de l’hôpital. Le propriétaire du pavillon a appelé la police.

"Un peu déboussolés"

"Tous ces migrants n’avaient pas prévu de venir en France. Leur eldorado, c’était l’Allemagne ou la Suède. Ils ont changé d’avis en quelques heures après un périple long et douloureux", raconte un bénévole du Secours catholique.
Alors forcément, ils sont un peu déboussolés, un peu déçus quand ils arrivent ici. On essaie de faire en sorte qu’ils se reposent, on leur explique qu’on fait ce que l’on peut."
Ce sont les autorités françaises qui les ont convaincus de modifier leur itinéraire. Quelques jours auparavant, le lundi 7 septembre, au matin, une dizaine de collaborateurs de l’Ofpra (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides) et de l’Ofii (Office français de l’Immigration et de l’Intégration), la plupart arabophones, sont montés dans le premier avion pour Munich.
La France vient d’annoncer qu’elle ouvre en urgence ses frontières à 1.000 réfugiés supplémentaires (24.000 dans les deux ans) : des Syriens, des Irakiens et des Erythréens qui fuient la guerre ou la dictature. Il s’agit d’aider l’Allemagne, confrontée à une vague migratoire sans précédent.


Les images de Bavarois, les bras chargés de fleurs, de peluches, de panneaux "Welcome", défilent alors en boucle sur toutes les télévisions de la planète. Certains jours, jusqu’à 13.000 migrants débarquent à la gare de Munich. On les achemine ensuite dans un hall de la foire aux expositions, dans l’est de la ville.

Des Allemands accueillent les réfugiés à la gare de Berlin avec une banderole : "Bienvenue à Berlin". (Axel Schmidt / AFP)

C’est là que les équipes françaises s’installent, tout près du point de distribution des repas. Des haut-parleurs crachent des messages en arabe :
La France souhaite accueillir 1.000 réfugiés."
Des tracts sont distribués, des réunions d’information organisées, avec Pascal Brice, le directeur général de l’Ofpra en personne, juché sur une chaise. Des bus sont affrétés, des bâtiments et des lits réquisitionnés en France. On promet une carte de séjour de dix ans, le droit d’asile, un logement, l’école pour les enfants, une couverture médicale…

Mais, au final, le "recrutement" se montre bien plus maigre que prévu. 600 réfugiés sur le millier attendu. "C’est peu, mais ce geste a du sens", assure Pascal Brice. Les équipes repartent au bout de dix jours, après la fermeture de la frontière avec l’Autriche et l’arrêt du flux des migrants. Le "New York Times" s’émeut de la faible moisson française. "Le tardif 'bienvenue' de la France attire peu de migrants", titre le quotidien américain le 17 septembre. Commentaire du correspondant :
Les réfugiés votent avec leurs pieds et ils ne choisissent pas la France […]. Le pays, avec son chômage élevé et sa rhétorique incendiaire pour tenir les migrants hors de ses frontières, ne leur a pas déroulé le tapis rouge jusqu’à maintenant."
Et de rappeler les récentes déclarations de Marine Le Pen, le leader du Front National, qui a comparé l’arrivée des migrants aux invasions du IVe siècle.

L’hexagone ne fait plus rêver

La France ne serait plus une terre promise ? Sur les 600 réfugiés arrivés ces derniers jours de Munich, plus d’une vingtaine auraient déjà pris un billet de retour pour l’Allemagne, d’après l’Ofii. Des départs ont été enregistrés non seulement à Montmorency, mais aussi à la base de loisirs de Cergy-Pontoise, quelques kilomètres plus loin, et au monastère des Orantes, à Bonnelles, dans les Yvelines, deux autres foyers d’accueil qui viennent d’ouvrir.


Une visite dans les camps de réfugiés outre-Rhin montre que l’Hexagone ne fait plus vraiment rêver. Ousmane Ounes, 27 ans, casquette et anorak noirs, silhouette longiligne, était coiffeur au Pakistan. Il dort désormais à la Bayernkaserne, un ancien campement militaire dans le nord de Munich, transformé en centre d’accueil pour réfugiés il y a trois ans.
Venir en France ? Mais pour vivre où ? Dehors, sans nourriture, sans vêtements, sans argent ? Et pour espérer quoi ? Il faut attendre des mois et des mois avant d’obtenir des papiers. Je suis bien mieux en Allemagne."
Lorsqu’il a quitté Kamoke, dans la province du Pendjab, il savait déjà qu’il voulait y émigrer. Il a donné 3.000 dollars à un passeur, a vu sa "vie disparaître" sur le fleuve Evros entre la Turquie et la Grèce ("pendant quatre heures sur une barque avec 45 personnes, vous n’êtes plus rien"), a dormi trois jours dans la forêt, en Hongrie, s’est fait tabasser par la police de Budapest avant d’arriver à la gare de Munich.

"Il faut attendre des mois et des mois avant d’obtenir des papiers." Ousmane Ounes, 27 ans, Pakistanais. (Lukas barth / AFP)

À la descente du train, des panneaux de bienvenue inscrits en arabe, du jus d’orange, des gâteaux secs, des vêtements propres et un médecin l’attendaient. Il partage aujourd’hui sa chambre avec cinq autres Pakistanais et Afghans, va bientôt suivre des cours d’allemand et touchera une allocation mensuelle de 359 euros. S’il n’obtient pas ses papiers, il retournera en Turquie, où il a déjà travaillé comme ferronnier. Il n’ira pas en France.

"Des insuffisances graves"

Ahmad Yama Satik, 32 ans, chemise à carreaux bleue, raie sur le côté, bossait comme économiste pour des ONG à Kandahar, en Afghanistan. Il a "lutté pour rester en vie", durant les 35 jours qu’a duré son voyage, s’est fait tirer dessus par la police iranienne en passant la frontière, à cheval, a failli se noyer en rejoignant la Grèce.
Mais lui non plus ne veut pas entendre parler de la France :
J’ai des amis là-bas. C’est très compliqué pour trouver un travail. Ils sont à Calais maintenant. Ils dorment sous des tentes, dans la boue, les détritus, sans eau, sans électricité. Ils manquent de mourir à chaque fois qu’ils essaient de monter dans un camion pour aller en Angleterre. Ils ont retrouvé en France le danger qu’ils avaient fui en Afghanistan."
La sœur de sa femme (qui, elle, est restée à Kandahar avec leurs trois enfants) est installée à Munich depuis plusieurs années. Elle est mariée à un chauffeur de taxi qui roule en BMW noire. Ahmad Yama Satik l’a appelée avant de quitter Kandahar pour lui annoncer son arrivée. C’est elle qu’il attend en cette veille d’automne, devant les grilles de la Bayernkaserne, le long de la rue Heidemann, pour aller visiter Munich.

"A Calais, ils dorment sous des tentes dans la boue, les détritus." Ahmad Yama Satik, 32 ans, Afghan. (Lukas barth / AFP)

Un groupe d’une demi-douzaine de Syriens le rejoignent sur le trottoir. Dans les 20-30 ans pour la plupart, des ingénieurs, des étudiants, des fonctionnaires… Le plus âgé, Mageed, 44 ans, prend la parole :
La France est soi-disant une démocratie, le pays des droits de l’homme, mais elle n’accepte les réfugiés qu’au compte-gouttes et les traite mal."
En février, un rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, dénonçait "des insuffisances graves et chroniques obligeant beaucoup [de demandeurs d’asile] à vivre dans des conditions de grande vulnérabilité qui sont indignes". Et chez les migrants, tout se sait. "Ils sont souvent éduqués et connectés au monde", indique Laurent Giovannoni, responsable du département accueil et droit des étrangers au Secours catholique.
Ils sont perpétuellement reliés à leurs proches, à leurs amis, partout sur la planète, avec leur téléphone portable. Ils ont vu sur Facebook les images de la jungle de Calais, de la Chapelle, du quai d’Austerlitz."
Laurent Giovannoni explique : "Ils savent qu’en France les conditions d’accueil se sont détériorées, qu’ils ne seront pas obligatoirement logés, même s’ils demandent l’asile, contrairement à ce qui se passe en Allemagne, en Suède ou en Angleterre. Ils savent aussi que les délais pour obtenir un statut de réfugié se sont allongés ces dernières années, même si cela s’est amélioré récemment. Et puis, il y a le pouvoir d’attraction de la communauté. Leurs familles, leurs proches sont déjà installés en Allemagne ou en Suède. Cela fait boule de neige."
Depuis le début de la guerre civile, l’Allemagne a accueilli 110.000 Syriens sur son territoire, la Suède, 30.000, et la France, seulement 7.000.

"Les mêmes avantages qu’en suède"

Quand il a quitté la Syrie, Sohab Horane, 20 ans, étudiant en arabe près d’Alep, voulait rejoindre des amis qui habitent Stockholm, la capitale suédoise. A Munich, les équipes françaises de l’Ofpra et de l’Ofii l’ont convaincu de changer de destination.

"Mes amis, à Stockholm, m’ont dit que j’avais tort de m’installer en France." Sohab Horane, 20 ans, Syrien. (Yannick Stephant pour "l'Obs")

Il est monté dans un bus qui partait pour la base de loisirs de Cergy-Pontoise avec le blouson de sport Adidas que des bénévoles d’une association caritative allemande lui avaient donné et qu’il porte toujours aujourd’hui. "Les autorités françaises m’ont assuré que j’aurais les mêmes avantages qu’en Suède : études, logement, nourriture… J’ai hésité, j’ai dit oui. J’ai téléphoné à mes amis à Stockholm pour les prévenir. Ils m’ont passé un savon, m’ont dit que j’avais tort. Au début, j’ai regretté, je me suis vraiment demandé si j’allais rester." Il poursuit :
Je ne connais personne ici, je suis perdu. Et puis j’ai décidé finalement de m’installer en France, de finir mes études et de faire venir ma femme qui est enceinte."
Sohab Horane, comme beaucoup d’autres réfugiés arrivés de Munich, a été déçu à son arrivée. Il bénéficie pourtant de conditions d’accueil exceptionnelles par rapport aux autres migrants. Il est logé, suit des cours de français et devrait obtenir le droit d’asile en seulement 15 jours, alors qu’il faut patienter d’ordinaire un an minimum. Il reconnaît tout ça.

Mais c’est la visite de François Hollande à la base de loisirs de Cergy-Pontoise trois jours après son arrivée qui l’a décidé à rester. Le président français leur a promis :
Vous aurez les mêmes droits que moi."
Nathalie Funès, L'OBS

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