Cher François,

Comme nous tous, Européens normalement constitués, tu as été ému aux larmes par la photo de ce gosse échoué, mort ; car un enfant de cet âge n’est pas fait pour avoir cette position sur une plage. Personnellement, l’image m’a fait sursauter, comme un coup. Je suppose que quelque chose de cet ordre a dû se produire en toi, puisque tu as pris le micro pour nous parler et nous communiquer ta volonté d’agir – et vite.

Je suis urgemment d’accord avec toi. Nous sommes des millions à être d’accord avec toi. C’est pourquoi – et je te le dis solennellement – arrête de te planquer derrière les autres ! Car tu en appelles à l’Europe en sachant pertinemment que rien de bien concret ne viendra dans les prochaines semaines. Car tu dénonces les comportements nationalistes et xénophobes de certains collègues européens comme si tu voulais justifier d’avance notre probable attentisme.

Propose, cher François. Ne calcule pas, pour une fois. Ne viens pas nous dire, dans six mois, que tu regrettes de ne pas avoir pris des mesures pour soulager le flot de malheurs que subissent les réfugiés – que certains journalistes s’évertuent à appeler «migrants».

Le gouvernement d’Angela Merkel n’a pas attendu un assouplissement du bras droit tendu d’Orban pour proposer à son peuple d’accueillir, chez ceux qui en ont la place, des familles en déroute. Il verse déjà un loyer aux Allemands qui reçoivent des exilés. Cela permet à des personnes âgées, qui occupent parfois des surfaces trop grandes pour elles, d’héberger ces pères, mères et enfants dans le calme, le repos, le confort, la paix, l’hygiène et surtout cette valeur précieuse que l’on voit sur nos pièces de monnaie : la fraternité.

Organise cela chez nous, cher François. Donne aux Français, si nombreux le 11 janvier dernier, la possibilité de prouver leur grandeur. Je suis certain que des centaines de milliers d’entre nous sont prêts, si on les aide, à ouvrir leurs portes. Nos grands-parents, nos arrières grands-parents ont connu les routes, les bombes, le vol, la peur, le dénuement, la faim : autorise-nous à prouver que nous n’oublions rien, que cette société qui nous contraint à n’être que des êtres «consommant» n’a pas encore gagné, que nos cerveaux sont malgré tout disponibles pour la solidarité, l’amour et la compassion. Laisse cette France-là ridiculiser l’autre France, celle qui craint l’étranger, le stigmatise, cette France qui s’invente des voitures calcinées quand il n’y en a pas, qui compte, qui «faciès», qui pose des problèmes de robinets alors qu’il s’agit de frères en souffrance.

Aide-nous, par cette mesure simple, à tourner le dos aux décomplexés. N’attends pas l’Europe. Prends sur toi, on te couvre. Mets au plus vite sur pieds cette aide financière, cette participation au loyer, et les portes s’ouvriront. N’oublie pas que la courbe du chômage ne s’inverse pas, donc que les Français ne sont pas très riches : voilà qui permettrait à beaucoup d’entre nous de faire ce pas vers l’autre. Je compte sur toi. Vite.