samedi 12 septembre 2015

Le Président HOLLANDE rend visite aux réfugiés



 Le président François Hollande est allé rencontrer des réfugiés à Cergy-Pontoise #InstaPR


 

 
 



 

 

 

 


Source: Élysée – Présidence de la République française

"La distinction entre 'bons' réfugiés et 'mauvais' migrants n'est pas tenable"

Pour Eric Fassin, sociologue spécialiste de l'immigration, la réhabilitation des réfugiés est un début. Mais l'idée que l'immigration est une chance n'a pas encore gagné les esprits des élites.

L'Europe est d'accord pour accueillir les réfugiés "qu'il faut protéger" mais les migrants économiques ont selon ses dirigeants "vocation à être reconduits à la frontière". Une manière d'entériner l'idée selon laquelle "l'immigration est un problème" et qu'elle doit rester exceptionnelle ? Pour Eric Fassin, sociologue spécialiste de l'immigration, professeur à l'université Paris-8, la réhabilitation des réfugiés est déjà un début. Interview.

Il y a encore dix jours, le terme "migrant" était employé à tout va pour désigner tous ceux qui quittent leur patrie pour l’Europe, y compris les réfugiés. En quoi la confusion lexicale était-elle préjudiciable?

Le mot "réfugié" avait quasiment disparu du langage politique. Il y a deux semaines, dans la presse, quand le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) utilisait ce mot, on traduisait en français par "migrants". C’est seulement depuis quelques jours qu’à l’exemple du président de la République on redécouvre ce vocable. Or, confondre tous les migrants en une seule catégorie, c’est effacer la distinction juridique. Le droit d’asile a été dissous dans ce qui nous était présenté comme "le problème de l’immigration".

C’est tout le sens de la notion d’immigration "subie" que Nicolas Sarkozy a imposée dans le débat public en 2005 : il ne s’agissait plus seulement de s’en prendre aux sans-papiers, mais de grossir le "problème" en incluant le regroupement familial et les couples binationaux, mais aussi les réfugiés, bref, toute l’immigration que la France n’aurait pas "choisie". Ainsi, l’immigration "subie" incluait non seulement l’immigration irrégulière, mais aussi l’immigration légale, et en particulier l’asile, qui est de plein droit. Résultat : on soupçonnait les demandeurs d’asile d’être de "faux" réfugiés, et de "vrais" migrants économiques. 

Il y a donc une évolution.

- Quelque chose a bougé ces derniers jours. Mais quelle est la nouvelle logique qui se met en place ? L’Union européenne revendique désormais une répartition des réfugiés, c’est contradictoire avec le règlement Dublin, qui prévoit que les demandes d’asile soient traitées dans les pays où les réfugiés sont enregistrés, et donc dans ceux par où ils sont entrés en Europe - autrement dit, surtout dans le Sud, en Italie et en Grèce. Mais aujourd’hui, l’Allemagne donne l’exemple au Nord.

Toutefois, dans leur lettre du 3 septembre, Angela Merkel et François Hollande suggèrent autre chose. Ils posent d’emblée la distinction entre les réfugiés qui "fuient la guerre" et les autres migrants "qui tentent d’améliorer leurs conditions matérielles" : il s’agit d’accueillir les premiers, et de reconduire les seconds. 

Mais comment va s’effectuer ce "tri" ? Avec des "hotspots", dit la lettre, des "dispositifs d’accueil" qui sont en vérité… des centres de tri. Et de préciser qu’il y en aura en Italie et en Grèce. Autrement dit, la "répartition" se fera davantage au Nord, mais le "tri" continuera de se faire au Sud!

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à partir du moment où elle devient généreuse en matière d’asile, l’Allemagne en restreint le périmètre : elle veut désormais considérer les Balkans, en particulier le Kosovo et l’Albanie, comme des "pays sûrs". Des réfugiés basculent dans la mauvaise case : ils se retrouvent migrants économiques. 

Depuis la photo d’Aylan, on voit bien que le lexique a changé. On parle désormais de "réfugiés". Cela permet d’épargner la connotation négative qui venait tinter le mot "migrant". Au risque de la faire peser sur les migrants économiques?

Ce qui se met en place, c’est une nouvelle manière de séparer le bon grain de l’ivraie. Mais jusqu’à présent, la logique du soupçon s’étendait sans discontinuité du "clandestin" au réfugié. On mettait tous les étrangers dans le même sac. Or aujourd’hui, nous avons à nouveau deux "sacs" : les "bons" réfugiés et les "mauvais" migrants. Et on fait tout pour ne pas les mélanger : on voit par exemple, au Royaume-Uni, comment le demandeur d’asile qui cherche un travail est aussitôt expulsé - comme s’il pouvait s’en passer!

Une question se pose : cette distinction est-elle tenable ? D’abord, les morts en Méditerranée, y compris les enfants, ce sont souvent des migrants économiques. Ensuite, si des réfugiés obtiennent à l’asile, leur situation n’est pas si différente de celle des autres migrants : ils doivent trouver un logement, un travail, une école pour les enfants, etc. Bref, ces deux catégories ne sont pas étanches. D’ailleurs, s’exposer aux périls de l’exil, aujourd’hui, c’est faire preuve d’une détermination très forte - quelles qu’en soient les motivations exactes !

S’il faut déplorer ce partage, parce qu’il est cruel, on peut aussi espérer que son absurdité finisse par le remettre en cause. Quand l’Allemagne s’engage à accueillir des centaines de milliers de réfugiés, on nous explique doctement qu’elle en a besoin - démographiquement, mais aussi économiquement. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre l’afflux de réfugiés pour s’en apercevoir ? Et dès lors, pourquoi ne pas accueillir aussi des migrants économiques? 

Car puisqu’il s’agit d’intérêt bien compris, on ne peut plus taxer ceux qui réclament "des ponts et non des murs" d’angélisme ou de "droit-de-l’hommisme". En "une", "Le Monde" ne célébrait-il pas récemment "le front franco-allemand contre l’Europe forteresse" ? Bien sûr, il faut être généreux, mais pour autant, qui dit que ce soit contre notre intérêt ? Il faut peser avantages et inconvénients. 
Les économistes l’expliquent depuis longtemps, mais aussi les institutions internationales comme l’OCDE : nous avons besoin d’immigrés ! L’Allemagne fait sans doute une bonne affaire, en accueillant ces diplômés jeunes. Dès lors, pourquoi pas nous aussi? 
 
Pour autant, n’a-t-on pas besoin de faire ce distinguo ? Il est plus facile de convaincre les Français d’accueillir ceux qui fuient la guerre que ceux qui cherchent à améliorer leurs conditions matérielles.

Manifestement, ce raisonnement ne valait pas il y a une semaine… Où était la compassion pour les réfugiés, à la halle Pajol comme à Calais ? Nous sommes choqués par les bombes lacrymogènes utilisées contre les réfugiés, y compris contre les enfants, en Hongrie, mais en France ? Bien sûr, dire qu’il y a de "bons" réfugiés, c’est se distinguer du Front national, qui ne connaît que de "mauvais" migrants - à la manière de Nicolas Sarkozy, quand il s’en démarquait en revendiquant l’immigration "choisie".

Mais, pour François Hollande comme pour David Cameron, ce n’est pas changer de paradigme, c’est juste l’aménager, en réponse à l’émotion médiatisée. En effet, on conserve l’idée que "l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde". 24.000 réfugiés sur deux ans (pour la France), 20.000 sur cinq ans (pour le Royaume-Unis), cela ne remet pas en cause le principe fondamental : l’immigration est considérée comme un "problème". En revanche, avec 800.000 réfugiés et 6 milliards d’euros, l’Allemagne fait un saut quantitatif qui pourrait entraîner une rupture qualitative.

Pourquoi la France reste-t-elle prisonnière de ce paradigme xénophobe ? Certes, accueillir des réfugiés peut passer mieux que des migrants, mais rien ne permet de penser que nos dirigeants soient désireux d’être généreux, et qu’ils en soient empêchés par l’opinion publique. Bien sûr, les élites prétendent parler au nom des "vraies gens", dont elles exprimeraient "l’insécurité culturelle". Mais il faut renverser la perspective : en fait, nos gouvernants jouent sur de telle inquiétudes identitaires (voir le débat sur l’identité nationale, ou l’islam). 

Et ils finissent par en être convaincus : "Quand même, soyons réalistes, l’immigration est un problème"… Rappelez-vous le "seuil de tolérance" de François Mitterrand. On peut donc parler, comme nous l’avions fait avec le collectif "Cette France-là", d’une "xénophobie d’en haut" - qui se fait passer pour une "xénophobie d’en bas". Ne soyons pas dupes : les "élites" ne répondent pas au "peuple", elles reflètent l’opinion, qui reflète les discours ambiants - dans les médias et dans la classe politique.

Ne pensez-vous pas que les politiques en profitent pour durcir le ton à l’égard des migrants économiques?

Je ne dirais pas cela, car le ton était déjà très dur... et pas seulement le ton ! Ce qui est nouveau, c’est qu’on le remarque. On ne trouve plus cela tout à fait normal. Rappelons-nous : en mai, Manuel Valls disait encore, à propos des réfugiés : "la France a déjà fait beaucoup" - alors qu’elle n’avait presque rien fait ! Qui s’en était ému ? Aujourd’hui, on sursaute (un peu).

Mais, à part les associations bien sûr, on a la mémoire bien courte : quand Laurent Fabius s’indigne du mur érigé en Hongrie contre les réfugiés, il oublie celui qu’on vient de bâtir à Calais - et qui le fait remarquer ? On a des reportages sur les migrants que l’Ofpra va chercher à Munich, mais qui interroge son directeur sur son rôle à Calais en juin ou avec les migrants de la Chapelle pendant l’été ? Et qui s’inquiète encore de ces migrants bloqués à la frontière, à Vintimille, ou des contrôles au faciès pour les refouler ? On préfère oublier, pour ne pas reconnaître la contradiction, voire l’hypocrisie de la générosité aujourd’hui affichée…

Pour vous l’opinion publique peut-elle aussi basculer sur la question des migrants économiques?

Cela dépend de l’histoire que l’on raconte aux Français, chez les politiques et dans les médias : après tout, en huit jours, on a vu la majorité basculer dans les sondages d’opinion pour s’ouvrir aux réfugiés... Depuis les années 1980, en France, tout le débat a été organisé autour de l’opposition entre le cœur et la raison. Mais elle a changé de sens. En 1974, Giscard disait à Mitterrand : "Vous n’avez pas le monopole du cœur." Depuis, le socialisme de gouvernement s’est employé à démontrer que la droite n’avait pas le monopole de la raison, ou plutôt du "réalisme".

Mais il serait temps de récuser l’opposition : pourquoi le cœur et la raison s’opposeraient-ils forcément ? La générosité peut être à notre avantage : on s’en doute déjà, l’Allemagne sera la grande gagnante de cet épisode. Et le repli ne s’avère-t-il pas contraire à nos intérêts bien compris?

Il faudrait donc repenser toute notre politique d’immigration, en sortant de l’idée que la richesse est un gâteau, et que moins on est nombreux à le partager, plus on est riche ! Ce malthusianisme étouffe la France… Quand Angela Merkel dit que l’Allemagne est suffisamment forte économiquement pour être généreuse, les Français sont tentés de dire que, s’ils ne peuvent suivre l’exemple, c’est qu’ils sont faibles. Mais il vaudrait mieux inverser la perspective : les pays ouverts sont les pays prospères. Les pays fermés sont en plein déclin. Mais ne confondons pas les causes et les effets : le déclin n’est pas la cause de la fermeture, il en est la conséquence. Faire une place aux migrants, ce n’est pas un luxe que seuls pourraient se permettre des pays riches - d’ailleurs, les voisins de la Syrie, comme le Liban, ne le sont pas tellement. S’ouvrir aux réfugiés, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement dans l’avenir. 

D’ailleurs on n’entend plus le mot d’"immigré"

En France, "le problème de l’immigration" renvoie toujours au "problème de l’intégration". Mais quel est ce problème ? Si les immigrés et leurs enfants ont du mal à "s’intégrer", c’est parce que notre société refuse de les intégrer. On les met à l’écart, et on leur reproche d’être à part. On leur impose une différence dont on leur fait grief. Le problème, ce n’est donc pas que ces gens soient différents (par leur culture, leur religion…), mais qu’on les traite différemment - autrement dit, le problème, c’est la discrimination.

Sommes-nous condamnés à rester prisonniers de ces faux problèmes ? Il y a peut-être aujourd’hui une raison d’être moins pessimiste : l’Allemagne. Après la tragédie grecque, on ne peut pas taxer les Allemands d’être des idéalistes naïfs, leur ouverture aux réfugiés apparaît donc comme un signe de réalisme. Ou plutôt : ils démontrent que la générosité est compatible avec la rationalité. N’est-ce pas la frilosité française qui va bientôt paraître déraisonnable, plutôt que prudente ? Rien n’est joué, mais peut-être quelque chose, enfin, devient-il jouable.

Propos recueillis par Laura Thouny mercredi 9 septembre, l'OBS

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