samedi 21 novembre 2015

Contre le terrorisme, des vérités pas forcément bonnes à entendre dans la douleur collective...et le tout sécuritaire.



Contre le terrorisme, des vérités pas forcément bonnes à entendre dans notre douleur collective, puis ce tout sécuritaire liberticide à la Georges W. Bush.


Attention à ne précisément pas se tromper de dosage en censurant systématiquement toutes les réserves à une optique uniquement sécuritaire, qui permet notamment de ne surtout pas crever en France l’abcès de cette grande démocratie qui fournit étrangement les plus gros contingents de jeunes à l'état islamique, y allant essentiellement pour se retourner contre elle.

Il faut réfléchir et agir enfin pour tarir efficacement ce macabre recrutement à sa source.

Petite précision d'importance sur la supposée "invention de la menace" terroriste agitée par certains groupuscules sur internet
Nous n'y sommes pas encore, et même pas du tout...à "l'invention de la menace" à laquelle François Hollande faisait notamment allusion dans cette interview de 2008, qui circule sur la toile. 
Cette menace est aujourd'hui réelle et exige d'être neutralisée.
Juste devrait-on lui faire confiance, lui François Hollande plus que son prédécesseur à l'Élysée, pour ne jamais instrumentaliser la menace terroriste à des fins politiques, en jouant en permanence sur les peurs légitimes qui peuvent exister au sein des populations.

C'est dire si l'actuel Président de la République Française a pleinement conscience des possibles dérives liberticides ou atteintes éventuelles aux libertés individuelles.


Thomas Piketty : «Le tout-sécuritaire ne suffira pas»

Le Monde | 21.11.2015

Par
Face au terrorisme, la réponse doit être en partie sécuritaire. Il faut frapper Daech, arrêter ceux qui en sont issus. Mais il faut aussi s’interroger sur les conditions politiques de ces violences, sur les humiliations et les injustices qui font que ce mouvement bénéficie de soutiens importants au Moyen-Orient, et suscite aujourd’hui des vocations sanguinaires en Europe. A terme, le véritable enjeu est la mise en place d’un modèle de développement social et équitable, là-bas et ici.

C’est une évidence   : le terrorisme se nourrit de la poudrière inégalitaire moyen-orientale, que nous avons largement contribuée à créer. Daech, «  Etat islamique en Irak et au Levant  », est directement issu de la décomposition du régime irakien, et plus généralement de l’effondrement du système de frontières établi dans la région en 1920.

Après l’annexion du Koweït par l’Irak, en 1990-1991, les puissances coalisées avaient envoyé leurs troupes pour restituer le pétrole aux émirs – et aux compagnies occidentales. On inaugura au passage un nouveau cycle de guerres technologiques et asymétriques – quelques centaines de morts dans la coalition pour «  libérer  » le Koweït, contre plusieurs dizaines de milliers côté irakien. Cette lo­gique a été poussée à son paroxysme lors de la seconde guerre d’Irak, entre 2003 et 2011   : environ 500  000 morts irakiens pour plus de 4  000 soldats américains tués, tout cela pour venger les 3  000 morts du 11-Septembre, qui pourtant n’avaient rien à voir avec l’Irak. Cette réalité, amplifiée par l’asymétrie extrême des pertes humaines et l’absence d’issue politique dans le conflit israélo-palestinien, sert aujourd’hui à justifier toutes les exactions perpétrées par les djihadistes. Espérons que la France et la Russie, à la manœuvre après le fiasco américain, fassent moins de dégâts et suscitent moins de vocations.

Concentration des ressources

Au-delà des affrontements religieux, il est clair que l’ensemble du système politique et social de la région est surdéterminé et fragilisé par la concentration des ressources pétrolières sur de petits territoires sans population. Si l’on examine la zone allant de l’Egypte à l’Iran, en passant par la Syrie, l’Irak et la péninsule Arabique, soit environ 300 millions d’habitants, on constate que les monarchies pétrolières regroupent entre 60  % et 70  % du PIB régional, pour à peine 10  % de la population, ce qui en fait la région la plus inégalitaire de la planète.

Encore faut-il préciser qu’une minorité des habitants des pétromonarchies s’approprient une part disproportionnée de cette manne, alors que de larges groupes (femmes et travailleurs immigrés notamment) sont maintenus dans un semi-esclavage. Et ce sont ces régimes qui sont soutenus militairement et politiquement par les puissances occidentales, trop heureuses de récupérer quelques miettes pour financer leurs clubs de football, ou bien pour leur vendre des armes. Pas étonnant que nos leçons de démocratie et de justice sociale portent peu au sein de la jeunesse moyen-orientale.

Pour gagner en crédibilité, il faudrait démontrer aux populations qu’on se soucie davantage du développement social et de l’intégration politique de la région que de nos intérêts financiers et de nos relations avec les familles régnantes.

Déni de démocratie

Concrètement, l’argent du pétrole doit aller en priorité au développement régional. En 2015, le budget total dont disposent les autorités égyptiennes pour financer l’ensemble du système éducatif de ce pays de près de 90 millions d’habitants est inférieur à 10 milliards de dollars (9,4 milliards d’euros). Quelques centaines de kilomètres plus loin, les revenus pétroliers atteignent les 300 milliards de dollars pour l’Arabie saoudite et ses 30  millions d’habitants, et dépassent les 100 milliards de dollars pour le Qatar et ses 300  000 Qataris. Un modèle de développement aussi inégal ne peut conduire qu’à la catastrophe. Le cautionner est criminel.

Quant aux grands discours sur la démocratie et les élections, il faudrait cesser de les tenir uniquement quand les résultats nous arrangent. En 2012, en Egypte, Mohamed Morsi avait été élu président dans une élection à la régulière, ce qui n’est pas banal dans l’histoire électorale arabe. Dès 2013, il était expulsé du pouvoir par les militaires, qui ont aussitôt exécuté des milliers de Frères musulmans, dont l’action sociale a pourtant souvent permis de pallier les ­carences de l’Etat égyptien. Quelques mois plus tard, la France passe l’éponge afin de vendre ses frégates et de s’accaparer une partie des maigres ressources publiques du pays. Espérons que ce déni de démocratie n’aura pas les mêmes conséquences morbides que l’interruption du processus électoral en Algérie en 1992.

Reste la question  : comment des jeunes qui ont grandi en France peuvent-ils confondre Bagdad et la banlieue parisienne, et chercher à importer ici des conflits qui ont lieu là-bas  ? Rien ne peut excuser cette dérive sanguinaire, machiste et pathétique. Tout juste peut-on noter que le chômage et la discrimination professionnelle à l’embauche (particulièrement massive pour les personnes qui ont coché toutes les bonnes cases en termes de diplôme, expérience, etc., comme l’ont montré des travaux récents) ne doivent pas aider. L’Europe, qui avant la crise financière parvenait à accueillir un flux migratoire net de 1 million de personnes par an, avec un chômage en baisse, doit relancer son modèle d’intégration et de création d’emplois. C’est l’austérité qui a conduit à la montée des égoïsmes nationaux et des tensions identitaires. C’est par le développement social et équitable que la haine sera vaincue.
     

Lettre à ma génération : moi je n'irai pas qu'en terrasse

    Sarah Roubato: "Ce qu’on est en train de vivre mérite que chacun se pose un instant à la terrasse de lui-même, et lève la tête pour regarder la société où il vit. Et qui sait... peut-être qu'un peu plus loin, dans un lambeau de ciel blanc accroché aux immeubles,  il apercevra la société qu’il espère."
    Source: Médiapart


    Salut,

    On se connaît pas mais je voulais quand même t’écrire. Il paraît qu’on devrait se comprendre, puisqu’on est de la même génération. Je suis française, je n’ai pas trente ans. Paris, c’est ma ville. J’ai grandi dans une école internationale où on était plus de quatre-vingt nationalités. J’ai pas mal voyagé et je parle plusieurs langues. Je suis républicaine et transculturelle. J’ai « des origines » comme on dit maghrébines. Surtout et avant tout, je suis pisteuse de paroles et d'histoires. J'essaye de raconter un petit bout du monde, de mettre en mots les puissances endormies que tant de gens portent en eux. 

    J’ai toujours adoré les terrasses. La dernière fois que j’étais à Paris j’y ai passé des heures, dans les cafés des 10e 11e et 18earrondissements.  À  la terrasse, je m’offre le luxe d’aller nulle part. Je prends de mes nouvelles au cœur d’une ville qui ne sait pas que j’existe. Ni dehors ni dedans, je cultive l’attente au milieu du passage. Ni vraiment dans la rue, ni tout à fait quelque part, j’ai rendez-vous avec la ville entière. J'y ai écrit un livre qui s’appelle Chroniques de terrasse.  Il est maintenant quelque part dans la pile de manuscrits de plusieurs maisons d’édition. Aujourd'hui j'aurais envie d'y ajouter quelques pages.

    Pourtant aujourd’hui, ce n’est pas en terrasse que j’ai envie d’aller.

    Depuis plusieurs jours, on m’explique que c’est la liberté, la mixité et la légèreté de cette jeunesse qui a été attaquée, et que pour résister, il faut tous aller se boire des bières en terrasse. C’est joli comme symbole, c’est même plutôt cool comme mode de résistance. Je ne suis pas sûre que si les attentats prévus à la Défense avaient eu lieu, on aurait lancé des groupes facebook « TOUS EN COSTAR AU PIED DES GRATTE-CIELS ! » ni qu'on aurait crié notre fierté d’être un peuple d’employés et de patrons fiers de participer au capitalisme mondial, pas toi ?

    On nous raconte qu’on a été attaqués parce qu’on est le grand modèle de la liberté et de la tolérance. De quoi se gargariser et mettre un pansement avec des coeurs sur la blessure de notre crise identitaire. Sauf qu'il existe beaucoup d’autres pays et de villes où la jeunesse est mixte, libre et festive. Vas donc voir les terrasses des cafés de Berlin, d’Amsterdam,  de Barcelone, de Toronto,  de Shanghai, d’Istanbul, de New York !

    On a été attaqués parce que la France est une ancienne puissance coloniale du Moyen-Orient, parce que la France a bombardé certains pays en plongeant une main généreuse dans leurs ressources, parce que la France est accessible géographiquement, parce que la France est proche de la Belgique et qu’il est facile aux djihadistes belges et français de communiquer grâce à la langue, parce que la France est un terreau fertile pour recruter des djihadistes.

    Oui je sais, la réalité est moins sexy que notre fantasme. Mais quand on y pense, c’est tant mieux, car si on a été attaqué pour ce qu’on est, alors on ne peut pas changer grand chose. Mais si on a été attaqué pour ce qu'on fait, alors on a des leviers d’action :

    - S'engager dans la recherche pour trouver des énergies renouvelables, car quand le pétrole ne sera plus le baromètre de toute la géopolitique, le Moyen-Orient ne sera plus au centre de nos attentions. Et d'un coup le sort des Tibétains et des Congolais de RDC nous importera autant que celui des Palestiniens et des Syriens.

    - S'engager pour trouver de nouveaux modèles politiques afin de ne plus déléguer les actions de nos pays à des hommes et des femmes formés en école d'administration qui décident que larguer des bombes, parfois c'est bien, ou qu'on peut commercer avec un pays qui n'est finalement qu'un Daesh qui a réussi.

    - Les journalistes ont montré que les attentats ont éveillé des vocations de policiers chez beaucoup de jeunes. Tant mieux. Mais où sont les vocations d’éducateurs, d’enseignants, d’intervenants sociaux, de ceux qui empêchent de planter la graine djihadiste dans le terreau fertile qu’est la France ?

    Si la seule réponse de la jeunesse française à ce qui deviendra une menace permanente est d’aller se boire des verres en terrasse et d'aller écouter es concerts, je ne suis pas sûre qu’on soit à la hauteur du symbole qu’on prétend être. L'attention que le monde nous porte en ce moment mériterait que l'on sorte de la jouissance de nos petits plaisirs personnels. 

    Ma mixité

    Qu’on soit maghrébin, français, malien, chinois, kurde, musulman, juif, athée, bi homo ou hétéro, nous sommes tous les mêmes dès lors qu'on devient de bons petits soldats du néo-libéralisme et de la surconsommation. On aime le Nutella qui détruit des milliers d’hectares de forêt et décime les populations amazoniennes, on achète le dernier iphone et on grandit un peu plus les déchets avec les carcasses de nos anciens téléphones, on préfère les fringues pas chères teintes par des enfants du Bengladesh et de Chine, on dépense des centaines d'euros en maquillage testé sur les animaux et détruisant ce qu'il reste de ressources naturelles.

    Ma mixité, ce sera d’aller à la rencontre de gens vraiment différents de moi. Des gens qui vivent à huit dans un deux pièces, peu importe leur origine et leur religion. Des enfants dans les hôpitaux, des détenus dans les prisons. Des vieilles femmes qui vivent seules. De ce gamin de douze ans à l'écart d'un groupe d'amis, toujours rejeté parce qu'il joue mal au foot, qui se renferme déjà sur lui-même. Des ados dans les banlieues qui ne sont jamais allés voir une pièce de théâtre. Ceux qui vivent dans des petits villages reculés où il n'y a plus aucun travail. Les petits caïds de carton qui s'insultent et en viennent aux mains parce que l'un n'a pas payé son cornet de frites au McDo. D'habitude quand ça arrive, qu'est-ce que tu fais ? Tu tournes la tête, tu ris, tu te rassures avec un petit "Et ben ça chauffe !" et tu retournes à ta conversation. Si tous ceux qui ont répondu à l'appel Tous en terrasse ! décidaient de consacrer quelques heures par semaine à ce type d'échange... il me semble que ça irait déjà mieux. Ça apportera à l'humanité sans doute un peu plus que la bière que tu bois en terrasse.

    Ma liberté

    Je ne vois pas en quoi faire partie du troupeau qui se rend chaque semaine aux messes festives du weekend est une marque de liberté. Ma liberté sera de prendre un autre chemin que celui qui passe par l’hyperconsommation. D’avoir un autre horizon que celui de la maison, de la voiture, des grands écrans, des vacances au soleil et du shopping.

    Ma liberté sera celle de prendre le temps quand j'en ai envie, de ne pas m'affaler devant la télé en rentrant du boulot, d'avoir un travail qui ne me permet pas de savoir à quoi ressemblera ma journée.

    Ma liberté, c'est de savoir que lorsque je voyage dans un pays étranger je ne suis pas en train de le défigurer un peu plus. C'est vivre quelque part où le ciel a encore ses étoiles la nuit. C'est flâner dans ma ville au hasard des rues. C'est avoir pu approcher une autre espèce que la mienne dans son environnement naturel.

    Ma liberté, ce sera de savoir jouir et d'être plein, tout le contraire des plaisirs de la consommation qui créent un manque et le besoin de toujours plus. Ma liberté, ce sera d'avoir essayé de m'occuper de la beauté du monde. "Pour que l'on puisse écrire à la fin de la fête que quelque chose a changé pendant que nous passions" (Claude Lemesle).

    Ma fête

    Ma fête ne se trouve pas dans l’industrie du spectacle. Ma fête c'est quand j'encourage les petites salles de concert, les bars où le musicien joue pour rien, les petits théâtres de campagne construits dans une grange, les associations culturelles. Passer une journée avec un vieux qui vit tout seul, c’est une fête. Offrir un samedi de babysitting gratuit à une mère qui galère toute seule avec ses enfants, c’est une fête. Organiser des rencontres entre familles des quartiers défavorisés et familles plus aisées, et écouter l'histoire de chacun, c'est une fête. 

    La fête c’est ce qui sort du quotidien. Et si mon quotidien est de la consommation bruyante et lumineuse, chaque fois que je cultiverai une parole sans écran et une activité dont le but n’est pas de consommer, je serai dans la fête. Préparer un bon gueuleton, jouer de la gratte, aller marcher en forêt, lire des nouvelles et des contes à des jeunes qui sentent qu’ils ne font pas partie de notre société, quelle belle teuf !

    N’allez pas me dire que je fais le jeu des djihadistes qui disent que nous sommes des décadents capitalistes… s’il vous plaît ! Ils n’ont pas le monopole de la critique de l’hyper-consommation, et de toute façon, ils boivent aux mêmes sources que les pays les plus capitalistes : le pétrole et le trafic d’armes.

    Voilà. Je ne sais pas si on se croisera sur les mêmes terrasses ni dans les mêmes fêtes. Mais je voulais juste te dire que tu as le droit de te construire autrement que l'image que les médias te renvoient. Bien sûr qu'il faut continuer à aller en terrasse, mais qu'on ne prenne pas ce geste pour autre chose qu'une résistance symbolique qui n'aura que l'effet de nous rassurer, et sûrement pas d'impressionner les djihadistes (apparemment ils n'ont pas été très impressionnés par la marche du 11 janvier), et encore moins d'arrêter ceux qui sont en train de naître.

    Ce qu’on est en train de vivre mérite que chacun se pose un instant à la terrasse de lui-même, et lève la tête pour regarder la société où il vit. Et qui sait... peut-être qu'un peu plus loin, dans un lambeau de ciel blanc accroché aux immeubles,  il apercevra la société qu’il espère.

    Sarah

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire