Monsieur le Président, je m’appelle Patson, je suis humoriste et comédien.

Pendant près de trois ans, j’ai été à l’affiche au Palais des Glaces, et très régulièrement, après avoir salué mon public, j’allais manger une assiette de charcuterie à La Bonne Bière ou boire un verre à la Casa Nostra, à quelques mètres du théâtre. Il m’arrivait même d’aller, à peine un peu plus loin, prendre un plat au Petit Cambodge.

C’est dire toute l’émotion qui m’a étreint lorsque, hier, j’ai voulu passer devant les devantures de ces trois lieux où j’ai tant de souvenirs heureux. C’est dire toute l’angoisse qui me serre le cœur dans le doute de ce qui a pu arriver au serveur qui me préparait ce bol de pop-corn que j’affectionne tant, à l’agent de sécurité dont la présence massive me tranquillisait, à la serveuse que je taquinais gentiment ou aux habitués avec qui je prenais tant de plaisir à plaisanter.

Oui, le 13 novembre 2015 marquera à jamais mes pensées.

Mais ce n’est pas mon seul univers intime qui a été ébranlé ce jour-là. Je suis français. Mieux, je suis devenu français. Lorsque je suis arrivé sur le sol de France, je n’avais pas dix ans. Et la France m’a tout donné : des valeurs, une éducation, un savoir. Oui, la France m’a accueilli, moi, le jeune enfant malingre et indiscipliné de Côte d’Ivoire, et m’a donné ma chance. Oui, des Français, alors que j’étais à la rue, m’ont accueilli dans leur foyer et m’ont adopté. J’ai travaillé, travaillé encore, je me suis battu et j’ai réussi à devenir ce que je suis aujourd’hui. Dès que j’ai pu, j’ai demandé, et obtenu, la nationalité française. Jamais je n’ai été aussi fier que le jour où j’ai reçu mes papiers de Français. Oui, ce pays, celui de Montaigne, de Diderot, de Voltaire, celui de Stendhal, de Hugo, de Camus, celui de Pasteur, de Poincaré, des Curie, celui de Poussin, de Manet, de Cézanne, celui de Renoir, de Rohmer, de Godard, celui de Molière, de Racine, de Anouilh, celui de Jouvet, de Gabin, de Coluche, ce pays a fait de moi l’un des siens.

Alors quand on touche à ce pays, quand on attente à ses valeurs, quand on tue ou simplement maltraite un de ses ressortissants pour le seul fait qu’il soit français, plus haut que tout autre, je me dresse.

Alors, oui, Monsieur le Président, j’ai aimé quand, dans votre discours de Versailles, le 16 novembre, vous avez défendu, avec tant d’ardeur et de conviction, ce pays qui est le nôtre. Et de tout mon cœur, Monsieur le Président, je demande à être associé à un juste combat.

Mais, Monsieur le Président, quel est ce combat ? Contre qui dois-je me battre ? Qui sont ces personnes qui m’ont plongé dans cet abîme de détresse ?

Monsieur le Président, ces hommes, ces huit individus, si j’en crois ce que je lis, qui ont semé le chaos sur leur passage, ce sont des Français. Qu’ils aient été embrigadés par des Syriens, ou des Irakiens, n’y change rien : ce sont des Français. Et croyez-moi, Monsieur le Président, je connais trop bien ces quartiers où, comme eux, j’ai grandi, pour savoir que ce ne sont pas ces Syriens ou ces Irakiens qui sont venus les chercher. Ce sont eux, eux de leur propre chef, qui sont allés, ailleurs, chercher une réponse qu’ils n’ont pas su, pas pu, ou pas voulu trouver chez nous.

Monsieur le Président, ces hommes en rupture peuvent être des Arabes, des Maghrébins, des Noirs, mais ils peuvent être aussi des Blancs. Ils peuvent vivre à La Courneuve, à Sarcelles, à Poissy, mais ils peuvent vivre aussi dans les beaux quartiers de Bondoufle.

Monsieur le Président, leurs motivations n’avaient rien de religieux.
Monsieur le Président, ces hommes qu’un désespoir, motivé ou non, conduit à des actes dénués de tout sentiment humain, ce sont des Français.

Monsieur le Président, ce n’est pas seulement en renforçant notre armée que vous vaincrez ce mal qui ronge nos quartiers.

Monsieur le Président, ce n’est pas seulement en embauchant des policiers et en les armant que vous ouvrirez des perspectives à ceux qui n’en ont pas. Certains artistes ont un génie visionnaire. Il y a près de cent ans, Charlie Chaplin réalisait un petit film, Charlot policeman, où, à sa façon, il nous expliquait tout. On y voit un colosse semer la terreur dans sa rue et y imposer sa loi. Les policiers sont impuissants. Ils ont beau recruter, recruter encore pour pouvoir nettoyer la rue (sans Karcher, cela n’existait pas encore), si nombreux qu’ils soient, ils se font systématiquement rosser par la population aux ordres du caïd et laissent sur la chaussée veste et pantalon. Un jour, Charlot, affamé, malgré ses réticences, revêt lui aussi le costume de policier.

 Son chef l’envoie, seul, dans cette rue désertée par l’ordre. Et cette rue, il va la nettoyer. Il va la nettoyer, non pas par la force, mais en donnant à une maman, incapable de nourrir sa famille, les denrées qu’il a lui-même volées sur l’étal du riche et gros marchand de la rue. Ce simple geste va renverser la rue, car ses habitants vont y trouver une autre réponse à leur misère que la révolte face à l’autorité, à quoi le caïd les poussait. Et Chaplin montre à la fin, suprême morale, le caïd lui-même se promener, modestement, petite fiancée au bras, dans cette rue pacifiée qui fut son empire.

Monsieur le Président, je ne suis pas naïf. Je connais mieux que quiconque les villes de banlieue pour y avoir grandi, y avoir côtoyé le meilleur et le pire et m’y être battu, dès mon plus jeune âge, pour survivre. J’y suis devenu éducateur. Et j’ai mis toute mon énergie dans le farouche combat quotidien de ces hommes et femmes de devoir pour préserver un équilibre précaire et montrer par l’exemple le droit chemin. Je me suis tellement investi dans cette mission que le Ministère de la Justice m’a confié, comme éducateur PJJ, le soin de m’occuper de certains cas parmi les plus désespérés. Il ne m’appartient pas de juger de mes échecs ni de mes succès, mais j’ai compris au travers de cette expérience que jamais la force ni la répression ne viendront seules à bout du mal-être de certains.

Monsieur le Président, vous pouvez débloquer de l’argent pour l’Armée ou pour la Police.

Monsieur le Président, s’il vous plaît, débloquez aussi de l’argent pour l’éducation. Débloquez aussi de l’argent pour ouvrir des structures capables de soutenir des parents débordés par leurs enfants. Débloquez aussi de l’argent pour monter des projets dans lesquels les jeunes pourront s’investir. Il n’est en aucun cas question d’assistanat, mais de permettre aux jeunes de se mettre en valeur et d’être récompensés pour leurs efforts et leurs résultats. C’est là le véritable combat : donnez à nos jeunes, aux forces vives de notre nation, des perspectives autrement plus enthousiasmantes que celles que leur ouvre l’Etat islamique.

Monsieur le Président, ce que j’écris, je sais que vous en êtes conscient. Vous avez nommé au poste de Premier ministre un homme qui a su transformer l’agglomération d’Evry. Vous avez soutenu le corps enseignant, en particulier les instituteurs et les professeurs des collèges. Des milliers d’éducateurs dans les quartiers sont prêts à les aider. Donnez-leur les moyens d’être efficaces. Ne laissez pas aux extrémistes des proies qu’ils n’ont même pas besoin de venir chercher pour les ramasser.

Monsieur le Président, je suis prêt à m’investir moi-même et à exploiter ma notoriété et la popularité dont je jouis dans les quartiers pour m’associer à une telle démarche.
Ne cédez pas, Monsieur le Président, à la facilité de telle ou telle manœuvre électoraliste ; votre fonction vous l’interdit. C’est en gagnant le véritable combat, celui du rêve français auquel a droit aussi la jeunesse de nos quartiers que vous gagnerez votre légitimité et votre place dans l’Histoire.

Vive la France!

Patson Humoriste