jeudi 3 décembre 2015

Déchéance de nationalité: La citoyenneté française à deux vitesses constitutionnalisée?

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Déchéance de nationalité:  certainement une des 

plus grandes avancées "civilisationnelles" 

du siècle!...Qui rassurera certains 

réactionnaires sur leurs "origines" 

dites de souche bien française, 

pendant qu'elle fragilisera encore plus 

une cohésion nationale déjà minée 

par une ségrégation ethnique non assumée 

et un ascenseur social désespérément en panne, 

notamment pour celles et ceux identifiés 

comme des Français d'origine étrangère, 

qui le seront désormais constitutionnellement.

Déchéance de nationalité: attention, danger 

François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès, lundi 16 novembre. 
Editorial du «Monde». Trois jours après les attentats du 13 novembre, devant le Parlement réuni en Congrès, le président de la République a dévoilé un arsenal de mesures destinées à renforcer la lutte contre le terrorisme. C’est notamment le cas pour la déchéance de la nationalité. Celle-ci, a rappelé François Hollande, «ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride». Mais, a martelé le chef de l’Etat, «nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né Français, je dis bien même s’il est né Français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité».

Le 1er décembre, le Conseil d’État a été saisi, pour avis, d’un projet de loi visant à consolider juridiquement l’état d’urgence et, en particulier, à autoriser cette déchéance de la nationalité, y compris pour des Français nés en France et disposant d’une autre nationalité, dès lors qu’ils auraient été condamnés pour terrorisme. Ils seraient ensuite évidemment expulsés.

Le Conseil d’État devra dire au gouvernement si une telle disposition doit être inscrite dans la Constitution ou peut relever d’une simple loi. Mais, au-delà de cette question de procédure, non négligeable, une telle extension de la déchéance de la nationalité est profondément contestable. Autant pour des raisons d’efficacité et d’opportunité que de principe.

Un affront aux valeurs républicaines

Cette mesure paraît, en effet, parfaitement inutile en matière de terrorisme: qui peut sérieusement soutenir qu’un kamikaze qui cherche à se faire exploser au milieu d’une foule serait sensible au risque de perdre sa précieuse nationalité française? Il est assez dérisoire de penser que le monde nous envierait à ce point notre nationalité que la perdre serait l’ultime humiliation. Quant à l’opportunité de cette mesure, c’est peu dire qu’elle a jeté le trouble, notamment à gauche, où l’on a été stupéfait de voir le chef de l’Etat, au nom de l’unité nationale, reprendre à son compte une mesure réclamée depuis toujours par le Front national et reprise à son compte par le président des Républicains, Nicolas Sarkozy.

Enfin et surtout, la déchéance de nationalité est un affront aux valeurs républicaines. Elle suppose qu’il existe deux types de Français: les citoyens nés Français, que l’extrême droite désigne comme les «Français de souche», et les autres, qui ne le seraient que s’ils se tiennent correctement et prouvent jour après jour qu’ils sont dignes de le rester. Certes, le code civil prévoit la possibilité, dans un certain nombre de cas, de déchoir de leur nationalité des étrangers qui ont acquis la nationalité française; c’est notamment le cas pour ceux qui sont condamnés pour terrorisme. Le gouvernement veut aller plus loin, et pouvoir déchoir ceux qui sont nés Français et qui n’ont guère d’attaches dans le pays de leurs parents dont ils ont conservé la nationalité.

L’impact, symbolique, est fort. Il ne devrait pas contribuer à l’intégration des populations, et en particulier des Français musulmans, puisqu’ils seraient évidemment la principale cible d’une telle mesure. Attachés à la nationalité d’origine de leurs parents, près du tiers des descendants d’immigrés déclarent une double nationalité. Cela représente 3,5 millions de personnes. Celles-ci sont aujourd’hui françaises à part entière. Demain, si cette réforme était validée et adoptée, elles entreraient dans l’ère du soupçon.

Éditorial du "Monde",  02.12.2015

Déchéance de nationalité : des députés PS «mal dans leurs pompes»

Par

En off, ils sont de plus en plus nombreux à avouer leur malaise sur cette mesure très symbolique et politique que l'exécutif voudrait étendre et inscrire dans la Constitution.

«Joker», «après les régionales», «j’attends l’avis du Conseil d’Etat»… La plupart des députés socialistes esquivent encore la question ou restent bouche cousue. Pourtant, depuis quelques jours, le malaise est en train de monter dans la majorité sur l’intention de l’exécutif d’étendre la déchéance de nationalité et éventuellement de l’inscrire dans la Constitution.

C’est lors de son allocution devant les députés et sénateurs réunis en Congrès à Versailles, trois jours après les attentats, que François Hollande a annoncé cette mesure qui pourrait être intégrée dans la révision de la Constitution. «Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité», a déclaré le Président, excluant les seuls Français qui ne peuvent devenir apatrides. Aujourd’hui, la déchéance de nationalité est possible pour les binationaux qui auraient été naturalisés français mais pas pour ceux qui sont «nés français».

C’est cette extension qui commence à coincer chez les députés PS. Alors que le gouvernement a transmis, mardi, son projet de loi constitutionnelle au Conseil d’Etat, les socialistes de la commission des lois en ont discuté ce mercredi matin, à huis clos. «La levée de boucliers est quasi unanime», assure l’un de ses membres. Le Premier ministre a pu se rendre compte que cette réserve était partagée au sein du groupe, au cours d’un déjeuner ce mercredi midi, avec des députés. «Il ne semblait pas s’attendre à cette résistance», raconte un élu.

«C’est Le Pen qui va se gondoler»

Pour l’heure, en réunion de groupe, ce sont surtout les «frondeurs» Pascal Cherki et Daniel Goldberg qui sont montés au créneau. «Je suis entré au PS pour combattre le FN, pas pour voter l’une de ses mesures phares. C’est un débat de principe, d’identité politique», prévient le premier. Mais de nombreux députés loyaux à l’égard de l’exécutif, s’ils sont encore rares à s’opposer à la mesure en «on», se disent, hors micro, «mal dans leurs pompes». Ce sujet – qui concernerait très peu de cas – est d’abord un fort marqueur politique et symbolique, brandi de longue date par le Front national puis par la droite, depuis le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy en 2010.

Les membres de la majorité se souviennent avoir rejeté à deux reprises, en 2014 et en 2015, les propositions de loi du très droitier Philippe Meunier (LR) sur la déchéance de nationalité. Ils doutent de son efficacité dans la lutte antiterroriste : «Dès lors que des types brûlent leur passeport et sont prêts à se faire sauter en plein Paris, cela ne les empêchera pas de passer à l’acte», objecte Sébastien Pietrasanta, député socialiste des Hauts-de-Seine. Et, surtout, beaucoup s’inquiètent de la stigmatisation des binationaux. «Cela crée un amalgame indéfendable et un engrenage inquiétant», craint le frondeur Christian Paul. «Nous, socialistes, on va installer l’idée que les binationaux ne sont pas vraiment français, c’est Le Pen qui va se gondoler», fulmine un autre. Un de ses camarades renchérit sur le symbole : «La seule fois où l’on a retiré la nationalité à des nés français, c’était sous Vichy…» Sans compter les problèmes pratiques et diplomatiques que pose la mesure. «Si ces terroristes sont nés français, vers où va-t-on les expulser ? Chez eux, c’est ici», explique Daniel Goldberg.

«Un mauvais calcul»

Le mécontentement pourrait encore monter une fois les élections régionales passées ou quand le projet de loi sera connu, quand le Conseil d’État aura rendu son avis (consultatif) sous quinze jours. «Tant que le texte n’est pas revenu du Conseil d’Etat, c’est prématuré. Si celui-ci juge que c’est contraire aux principes généraux du droit ou aux textes internationaux, c’est réglé», observe Dominique Raimbourg, qui fait part pour le moment d’une «approche prudente». Le vice-président de la commission des lois a accompagné mardi le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, pour évoquer la révision constitutionnelle avec François Hollande. Le chef de l’Etat a aussi reçu le président du Sénat, Gérard Larcher.

Car l’extension de la déchéance de nationalité est au cœur d’un autre débat juridique: doit-elle faire l’objet d’une modification de la Constitution? Pour certains, cette mesure n’est qu’un appel du pied à la droite pour l’inciter à voter le package constitutionnel – qui comporte aussi la constitutionnalisation de l’état d’urgence – et s’assurer ainsi une majorité des trois cinquièmes des suffrages des parlementaires… Sauf si la colère progresse à gauche. «Un mauvais calcul, pas la peine de draguer les fonds de commerce des autres si on n’a pas avec soi sa majorité», remarque un socialiste.

Si le Conseil d’État donne son feu vert, le texte doit passer en Conseil des ministres le 23 décembre et sera d’abord soumis au Sénat début 2016. Pour tester la position de la droite.

Laure Equy, Libération


Décryptage

Déchéance de nationalité : double malaise à gauche

Par et

L’exécutif veut modifier la Constitution pour étendre l’application de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français. L’idée embarrasse à gauche, d’autant qu’elle est défendue par la droite et l’extrême droite.

En juin 2014, il n’y avait bien que Manuel Valls, à gauche, pour lancer un «nous verrons bien» et un «il n’y a pas de tabou» pour déchoir de leur nationalité des binationaux «nés français» jugés coupables de terrorisme. Moins d’un an plus tard, après deux vagues d’attentats en France, le gouvernement est prêt à inscrire cette réforme en bonne place dans la Constitution après avoir combattu une proposition portée depuis des années par l’extrême droite.

Que veut faire l’exécutif ?

Insérer un «article 3-1» dans la Constitution qui dirait : «Un Français qui a également une autre nationalité peut, dans les conditions fixées par la loi, être déchu de la nationalité française lorsqu’il est définitivement condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme.» C’est ce qu’on peut lire dans l’avant-projet de loi constitutionnelle transmis mardi par le gouvernement au Conseil d’Etat. Le 16 novembre, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, François Hollande avait, à la surprise générale, proposé cette mesure en insistant : «Je dis bien "même s’il est né français".» Mais, au Congrès, Hollande n’avait pas précisé s’il mettait cette réforme au menu de la révision constitutionnelle. Matignon a ensuite assuré, dans une note, que cette question en ferait bien partie, avec l’état d’urgence (lire encadré). Ont suivi plusieurs jours de flottement durant lesquels personne au sein de l’exécutif n’a pu expliquer pourquoi il fallait toucher à la Constitution et non pas seulement changer la loi. Une fois l’avis du Conseil d’Etat rendu, le projet de loi constitutionnel est prévu en Conseil des ministres pour le 23 décembre.

Que dit le droit ?

La déchéance ne concerne que les personnes possédant une double nationalité et naturalisées françaises. Selon l’article 25 du code civil, ces binationaux peuvent se voir retirer la nationalité française s’ils sont condamnés pour un crime ou délit portant atteinte aux «intérêts fondamentaux de la nation», notamment pour des actes de terrorisme. La mesure, prise par décret, doit être prononcée dans un délai de dix ans après l’acquisition de la nationalité française, quinze ans en cas de terrorisme. Pour les binationaux «nés français», il existe déjà dans le code civil un vieil article, le 23-7, prévoyant que «le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays», perdre sa qualité de Français. Utilisé seulement trois fois sous la Ve, il ne couvrirait pas les actes de terrorisme, l’Etat islamique n’étant pas un Etat reconnu comme tel.
Aujourd’hui, la déchéance ne peut pas non plus frapper les «seuls» Français puisqu’elle les rendrait apatrides. Ce qui est contraire à la Convention européenne sur la nationalité et à la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Pourquoi changer la Constitution ?

C’est le point qui fait débat auprès des constitutionnalistes. L’exécutif lui-même hésite et s’en remet au Conseil d’Etat pour tester la robustesse constitutionnelle de cette réforme. D’après Matignon, un simple ajout au code civil ne passerait pas le cap du Conseil constitutionnel. «Il avait mis des bornes, des conditions très strictes», rappelle-t-on à la tête du gouvernement. Une allusion à la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 2015. Celui-ci était alors saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contestant une déchéance de nationalité. Les «sages» avaient estimé qu’il existait bien, entre les binationaux ayant acquis la nationalité française et ceux auxquelles cette nationalité avait été attribuée à la naissance, une «différence de traitement», tout en jugeant que celle-ci, «dans un but de lutte contre le terrorisme, ne viol[ait] pas le principe d’égalité». Et ce deux poids-deux mesures était acceptable seulement parce que la loi fixe un délai entre l’acquisition de la nationalité et les faits de terrorisme. Cet encadrement strict fait craindre au gouvernement un veto des sages s’agissant des binationaux nés français.

Mais l’argument peut être renversé. Puisque «le Conseil constitutionnel n’a admis cette inégalité que du bout des lèvres», l’élargissement de la déchéance de nationalité «rétablirait finalement une sorte d’égalité» entre tous les binationaux nés ou naturalisés français, explique Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Rouen. Du coup, lui ne voit pas «l’utilité d’une révision constitutionnelle».

D’autres pointent la nouvelle rupture d’égalité que créerait la réforme voulue par l’exécutif, cette fois entre Français binationaux et «seuls» Français. Ils y voient une entorse à l’article premier de la Constitution qui assure «l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine». Alors pourquoi cet acharnement à vouloir toucher à la Loi fondamentale ? D’aucuns soupçonnent plus prosaïquement le Président d’avoir surtout tenté un coup tactique en offrant ce «cadeau» à la droite pour s’assurer une majorité des trois cinquièmes à Versailles et faire ainsi passer le reste de sa panoplie constitutionnelle. Un calcul risqué : l’opposition fait la fine bouche et la gauche est troublée.

Qui l’a portée ?

Vieille lune du FN, la déchéance de nationalité a ensuite été brandie par la droite. Lors du discours de Grenoble en 2010, Nicolas Sarkozy veut créer un nouveau motif de déchéance pour les binationaux naturalisés condamnés pour meurtre ou tentative de meurtre sur des agents dépositaires de l’autorité publique. Le projet du chef de l’Etat est abandonné quelques mois plus tard. Depuis un an, deux propositions de loi du très droitier Philippe Meunier (Les Républicains) ont été débattues à l’Assemblée, fin avril 2014 et en avril 2015, pour priver de la nationalité tout binational participant «à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises». Des initiatives que la majorité balayait d’un revers de main, Patrick Mennucci (PS) n’y voyant qu’un moyen «d’envoyer des signaux au FN, de faire des clins d’œil au vieux chef et à ses deux héritières». Cette semaine, les députés LR se réjouissaient de voir leurs collègues PS forcés d’«avaler de si grosses couleuvres».

Une gauche gênée ?

Au lendemain du Congrès, seuls quelques écologistes, le Front de gauche et des frondeurs du PS étaient sortis pour dénoncer le caractère «scandaleux» et «extrêmement inquiétant» de cette réforme. «Je suis entré au PS pour combattre le FN, pas pour voter l’une de ses mesures phares. C’est un débat de principe, d’identité politique», prévenait ainsi le député Pascal Cherki, classé «frondeur». Depuis dimanche, d’autres socialistes retrouvent leurs esprits. Dont le premier d’entre eux : «La déchéance de nationalité, ce n’est pas ma préoccupation première, ni le cœur du combat à mener contre le terrorisme», a avancé Jean-Christophe Cambadélis devant la presse jeudi. De nombreux députés loyaux à l’égard de l’exécutif se disent, hors micro, «mal dans leurs pompes». Non seulement ils doutent de l’efficacité de la mesure en matière de lutte antiterroriste, mais ils s’inquiètent aussi de la stigmatisation des binationaux. «Nous, socialistes, on va installer l’idée que les binationaux ne sont pas vraiment français, c’est Le Pen qui va se gondoler», fulmine l’un d’eux. «La seule fois où l’on a retiré la nationalité à des nés français, c’était sous Vichy…» rappelle Daniel Goldberg, député de Seine-Saint-Denis.

Le patron des députés PS, Bruno Le Roux, campe, lui, sur la ligne de l’exécutif : «Retourner les armes contre son pays et les citoyens de son pays mérite pour le moins une réflexion quand on possède la double nationalité. C’est un symbole.» Pourtant, en 2010, Le Roux avait signé une pétition lancée par Libération qui affirmait : «Pour nous, la nation, ce n’est pas la recherche frénétique de la mise au ban de citoyens.» Un appel signé par plusieurs socialistes aujourd’hui ministres et par… François Hollande. «Tant que le texte n’est pas revenu du Conseil d’Etat, c’est prématuré, tempère Dominique Raimbourg, vice-président PS de la commission des lois. Si celui-ci juge que c’est contraire aux principes généraux du droit ou aux textes internationaux, c’est réglé.» De quoi éviter à François Hollande, après avoir voulu piéger la droite, de déchirer un peu plus sa majorité. Et d’échouer au Congrès.

Laure Equy , Lilian Alemagna

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