lundi 28 décembre 2015

Pétition: Monsieur le Président, ne créez pas des sous-catégories de citoyens !

Monsieur le Président de la République,

Comme chacun d’entre nous, vous avez été touché au plus profond de votre chair par les évènements tragiques du 13 novembre dernier. En tant que garant de nos institutions, vous êtes maintenant en quête de solutions pour réduire, autant qu’il est possible, le risque d’attentat dans notre pays. Pour ce faire, vous seriez manifestement prêt à proposer une loi permettant de déchoir de la nationalité française, les binationaux convaincus de terrorisme, y compris ceux nés Français.

Cette proposition, formulée de longue date par le Front national, nous parait dangereuse et nous attendons de vous que vous y renonciez. Car au-delà du fait que la déchéance de nationalité pour faits de terrorisme est déjà prévue dans le droit français pour les personnes binationales naturalisées depuis moins de 15 ans, de nombreux arguments nous poussent à nous élever contre cette annonce.

Tout d’abord, d’un point de vue pragmatique, permettez-nous de vous dire qu’une telle mesure ne dissuadera en aucun cas les terroristes de tenter de commettre des attentats sur notre sol. En effet, ceux-ci sont dans une logique nihiliste et ont parfaitement acquis que leurs projets, en cas de succès, se termineront dans le carnage et la mort. Risquer la déchéance de la nationalité n’est donc guère susceptible de les impressionner. De plus, comme le révèlent les investigations antiterroristes, les factieux peuvent aussi bien être français depuis plusieurs générations, que français de parents étrangers ou simplement étrangers. Le terrorisme n’est pas le monopole des Français binationaux nés sur notre sol.

Par ailleurs, la déchéance de nationalité étendue viserait donc à renvoyer davantage de monde de notre territoire. Concrètement, il s’agirait de renvoyer des gens vers le Maghreb ou le Mali, des zones qui ont déjà fort à faire avec les attaques menées par des organisations terroristes qui rêvent, de Tunis à Bamako, de ces renforts que nous leur apporterions.

Enfin, et il s’agit là de la conséquence la plus grave, vous valideriez, depuis le plus haut sommet de l’Etat, l’idée qu’il y aurait deux catégories de Français. Les binationaux nés français, qui sont « un peu moins français » et les Français qui n’ont qu’une nationalité et qui seraient « un peu plus français ». Il s’agit là d’une idée contraire à notre pacte républicain et aux valeurs les plus nobles constitutives depuis 1789 de notre identité commune. Ce sont précisément ces valeurs que Daech cherche à détruire et que nous devons plus que jamais préserver. A l’heure où de trop nombreux jeunes doutent de leur pleine appartenance à la société française, cette mesure, quand bien même elle ne les concerne pas, serait un signal vécu comme une défiance supplémentaire à leur endroit, là où il faudrait au contraire que la France montre pleinement qu’elle embrasse l’ensemble de ses enfants. La déstabilisation serait d’autant plus grave que chacun sait que vous ouvririez là un dangereux précédent. Car, une fois cette brèche ouverte, qui sait quels seront les critères qui pourront, demain ou après-demain, provoquer la déchéance de la nationalité ?

Installer l’idée que les Français ne sont pas tous égaux face à la loi, c’est donner du grain à moudre aux discours haineux des djihadistes ou de l’extrême-droite « traditionnelle » qui prétendent que la coexistence entre Français de différentes origines est impossible, c’est imprimer une marque indélébile sur nos concitoyens, nés en France, ayant vécu toute leur vie dans notre pays, mais ayant pour seul tort d’avoir un parent étranger. C’est en définitive tourner le dos à « l’âme de la France [qui] est l’égalité » comme vous l’affirmiez au Bourget, le 22 janvier 2012.

« Le terrorisme ne détruira pas la République, car c’est la République qui le détruira » avez-vous proclamé avec force lors de votre adresse aux parlementaires à Versailles.

M. le Président, mettez vos actes en adéquation avec vos propos en renonçant à cette mesure qui n’a pas sa place dans la patrie qui offrit la Grande Révolution à ses citoyens et au monde.

Premiers signataires:

SOS Racisme, LDH [Ligue des Droits de l’Homme], FTDA [France Terre d’Asile], MRAP [Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples], UEJF [Union des étudiants juifs de France], CGT [Confédération générale du travail], SNES-FSU [Syndicat national des enseignements de second degré], FIDL [Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne], UNEF [Union nationale des étudiants], FAGE [Fédération des Associations Générales Etudiantes], UNL [Union Nationale Lycéenne], CRAN [ Conseil Représentatif des Associations Noires de France], Boulevard des Potes, NPNS [Ni putes ni soumises], CIDFF [Centre d’information sur les droits des femmes et des familles], FTCR [Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives], BDM [Banlieue du Monde], Collectif des femmes Tunisiennes, Grad Guinée, APAVDE AFRICA [Agir pour une Afrique en voie d’émergence], KOCOON, LAG [Les amis de Guinée], ATF [Association des Tunisiens en France], ATF-75 (Paris), Espace Farabi (Paris), IDEAL-92 (Antony-92), ATF-Var (Toulon), IDEAL (Toulon), AST (Toulon), ATF-Nord (Roubaix), ATF-Charente, ATF-13 (Marseille), PMS (Montpellier), L’Afrique a du talent, ATF-Aquitaine (Bordeaux), ALIF’S (Bordeaux) [Association du lien interculturel familial et social], ATF-Haute Garonne (Toulouse), Solidarité Jasmin Aix en Provence-Marseille (Aix en Provence), ATF-Haute Savoie (Annecy), ASTI [Association de Solidarité avec Tous les Immigrés], Resf 91 [Réseau éducation sans frontières], Groupe de 5 humanistes (94), FLAM [Forces de Libération Africaines de Mauritanie]
JE SIGNE LA PÉTITION

Dominique Sopo
Président de SOS Racisme



Je me suis abstenu jusqu'ici de débattre publiquement de la déchéance de nationalité, en espérant que les débats internes à la majorité écartent ce danger. La décision de la maintenir dans le projet de loi constitutionnelle me conduit donc à formuler les objections suivantes:

Il n'était nullement question, lors du discours au congrès, de constitutionnaliser cette mesure aujourd'hui inscrite dans le code civil. Si le gouvernement choisit de procéder ainsi, c'est en raison du risque d'inconstitutionnalité d'une loi ordinaire sur la question. En effet, l'article 1er de la constitution, le saint du saint, établit que la République "établit l'égalité devant la loi de tous ses citoyens sans distinction d'origine."

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Ce qui fait qu'un Français né Français risque ou non l'apatridie en cas de déchéance de nationalité, c'est - dans l'essentiel des cas - la nationalité d'un de ses parents. Il s'agit donc d'inscrire dans la loi qu'un crime terroriste aussi abject et anti-républicain soit-il, est puni différemment selon qu'il est commis par un Français "de souche" ou par un Français "issu de l'immigration".

J'entends les débats sur le "symbole" vs "l'efficacité". J'accepterais le débat sur l'efficacité d'une telle mesure si on l'appliquait à tous les Français. Mais ce n'est pas le cas. Et puisque ce n'est pas le cas, le symbole envoyé n'est pas celui de la fermeté face au terrorisme, c'est celui de l'inégalité de la nationalité française en raison des origines.

Alors que les attentats nous interrogent sur la sécurité, nous répondons sur la nationalité. 

Comme si nous devions accepter l'équation "immigration = insécurité" comme un fait acquis. Comme si ce qui pousse une petite frappe de banlieue à se radicaliser et à vouloir attaquer la République, ce n'est ni le renoncement de la République à faire vivre concrètement ses valeurs dans ces quartiers, ni le laisser-faire des autorités locales face à la radicalisation de certains lieux de culte, ni l'emprise de réseaux qui comblent le vide en donnant un sens à la mort de jeunes qui n'en ont pas trouvé à leur vie, ni une politique du tout carcéral qui favorise de mauvaises rencontres. Non, s'ils sont terroristes, c'est parce que leurs parents, qui se sont saignés au travail pour des salaires de misère quand on en avait besoin, venaient d'ailleurs.

La déchéance de nationalité, c'est une loi d'amnistie de la République envers elle-même. C'est considérer qu'un gamin né en France, scolarisé en France, tombé dans la délinquance en France, radicalisé en France, doit être regardé par la France comme un étranger. Comme un Algérien, comme un Marocain, ou comme un Belge. Parce que ce serait son autre nationalité, sa supposée allégeance à une puissance étrangère, qui serait la cause du terrorisme.

Il y a une différence essentielle entre refuser de leur chercher des excuses, et refuser d'en comprendre et d'en combattre les causes. L'angélisme, c'est de refuser d'admettre que notre société fabrique ses propres monstres.

Que l'on ne s'étonne pas de la poussée du Front national si, après avoir dénoncé pendant des années la banalisation de ses thèses par la droite Sarkozyste, la gauche en vient à son tour à les légitimer.


Déchéance de nationalité: Une mesure contraire à la Constitution française

DECRYPTAGE C'est ce que rappelle l'ancien Garde des Sceaux Robert Badinter, à l'unisson de plusieurs constitutionnalistes.

- BERTRAND GUAY/AFP

Et si la grande mesure sécuritaire annoncée par Nicolas Sarkozy faisait «pschiit»? Vendredi à Grenoble, le chef de l'Etat a proposé que «toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un policier, d'un gendarme ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique» soit déchue de sa nationalité. Une mesure qui doit être intégrée au projet de loi relatif relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité», selon le ministère de l'Immigration. Sauf que cette mesure semble vouée à ne pas passer - au moins - le cap du Conseil constitutionnel et rester un effet d'annonce puisqu'elle créée des catégories de Français, ce qui est contraire à la Constitution. 20minutes.fr vous explique pourquoi.

On ne peut pas créer des catégories de Français

«L'article premier de la Constitution dit que (...) la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine», qu'ils soient français de souche ou d'origine étrangère, a martelé ce lundi sur France inter Robert Badinter, l'ancien Garde des Sceaux socialiste. En voulant sanctionner d'une certaine manière une catégorie de Français - ceux d'origine étrangère - le chef de l'Etat «veut faire des discriminations contre les Français au regard de mêmes crimes, de même infractions, selon l'origine de la personne, selon les modalités d'acquisition de la nationalité française», a insisté le socialiste. «C'est contraire à l'esprit républicain», a-t-il résumé. Même analyse dans Libération pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne, qui ne «vois pas comment on peut distinguer deux classes de citoyens selon qu'ils sont nés Français ou le sont devenus». Pour que la loi passe, il faudrait donc retoucher le 1er article de la Constitution française *, un symbole qui paraît intouchable.

Des annonces très floues

Vendredi, Nicolas Sarkozy a simplement évoqué «toute personne d'origine étrangère». Mais qui visait-ils? Celles qui ont été naturalisées? Celles qui sont nés de deux parents étrangers? D'un seul? C'est le flou. « Ce ne serait même plus deux classes de citoyens mais trois, quatre. A combien faudrait-il s'arrêter», s'insurge Guy Carcassonne dans Libération
 
Une pratique déjà très encadrée

La déchéance de la nationalité existe déjà dans le droit français et elle est strictement encadrée par l'article 25 du code civil, expliquait déjà 20minutes.fr à l'occasion de l'affaire Liès Hebbadj. Celui-ci reconnaît cinq situations permettant de déchoir quelqu'un de sa nationalité, relevant notamment de l'espionnage, du terrorisme et aux intérêts fondamentaux de la Nation. Assez loin, donc, des atteintes à la vie des policiers, aussi graves soient ces crimes. Surtout, pour déchoir quelqu'un de sa nationalité, il faut que la personne remplisse trois conditions. D'abord, qu'il ait une autre nationalité, car, comme le rappelle Guy Carcassonne, «le droit international nous interdit de fabriquer des apatrides». Ensuite, il faut que la personne visée ait acquis la nationalité depuis moins de dix ans, «ce qui exclut tous ceux devenus français dans leur petite enfance». Enfin, il faut que le Conseil d'Etat donne son avis conforme. Ce qui est très rare.

Que dit l'article 1 de la Constitution?

«La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités.» professionnelles et sociales.

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