mardi 5 janvier 2016

France: le triomphe du "Tout Sécuritaire"..."La Patrie des Droits de l'Homme" aux oubliettes?

 
Photo Benjamin Bechet. Marion Lefebvre. Picture Tank

Le « New York Times » dénonce la restriction des libertés françaises

Le Monde, 5 janvier 2016 

 Le New York Times, dans un édito intitulé « Les libertés restreintes de la France », publié lundi 4 janvier, critique sévèrement la réponse sécuritaire de François Hollande après les attentats de Paris et de Saint-Denis. Le quotidien américain rappelle que près de 2­700 perquisitions ont été menées depuis la mise en place de l’état d’urgence.

Mais pour le New York Times, ces opérations touchent principalement une catégorie de Français, les musulmans. «La majorité de ces raids ont visé des maisons, des entreprises, des mosquées et salles de prières de musulmans», souligne le quotidien.

«Le Parlement devrait rejeter ces changements constitutionnels»

« Le profilage des minorités en France par la police – condamné comme discriminatoire par la cour d’appel de Paris en juin – est de retour, et les crimes contre les musulmans ont augmenté », proteste le journal. Le New York Times, rappelle ensuite que, durant l’état d’urgence, institué jusqu’au 26 février, « les personnes perquisitionnées peuvent porter plainte contre le gouvernement, seulement après les faits. Et beaucoup ne savent pas pourquoi elles ont été visées ».

Le journal américain s’en prend ensuite à la révision de la Constitution souhaitée par François Hollande. Pour le New York Times, l’extension de la déchéance de nationalité à l'ensemble des binationaux « vise en particulier les musulmans nés français ».

« Le Parlement devrait rejeter ces changements constitutionnels qui ne sont pas nécessaires et qui entraînent la discorde, conclut le quotidien. L’effort mené pour diminuer les libertés civiles et mettre fin à la surveillance judiciaire ne fera qu’augmenter les risques d’abus de pouvoir, sans que cela assure la sécurité de la population. »



France’s Diminished Liberties

By THE EDITORIAL BOARDJAN. 4, 2016


The New York Times 

Since President François Hollande of France declared a state of emergency after the terrorist attacks in Paris on Nov. 13, more than 2,700 police raids have been carried out. They have yielded very little that can be linked to terrorism, but have traumatized citizens and left havoc in their wake.

The majority of these raids have been on Muslim homes, businesses, mosques and prayer rooms. Ethnic profiling by the police of France’s minorities — condemned as discriminatory by a Paris appeals court in June — has returned with a vengeance, and hate crimes against Muslims are on the rise. Yasser Louati, spokesman for the Collective Against Islamophobia in France, warns: “The Muslim minority in France feels like it’s being treated as the public enemy.”

The current state of emergency gives the French government exceptional powers, including the authority to conduct houses searches without a warrant, shut down associations and restrict the right to peaceful assembly — all without judicial oversight. Individuals may file complaints against the government in court, but only after the fact. Many say they have no idea why they were targeted.

Mr. Hollande argues that France is at war with a new kind of enemy — the Islamist terrorist ready to strike on French soil — and that the government must have a free hand to tackle the threat. No doubt he has a duty to keep France safe and prevent more attacks, but he already has ample tools at his disposal to do this, including vast new surveillance and other powers conferred by a series of antiterrorism laws passed since he was elected. Nothing in France’s current law stopped Mr. Hollande from declaring the current state of emergency on Nov. 13, or successfully securing its extension through Feb. 26 from Parliament.

But Mr. Hollande wants to go further, and amend France’s Constitution to make it easier for the government to declare a state of emergency, remove the possibility of legal challenges to government actions under a state of emergency, including warrantless searches and preventive detention, and make it possible to strip French-born dual nationals convicted of terrorism-related crimes of their French citizenship. (Naturalized dual-national citizens can already be stripped of their French citizenship.)

The majority of the more than three million French-born dual nationals hold their second citizenship in a Muslim majority country where one or both of their parents were born. In effect, the citizenship amendment is aimed at French-born Muslims. It has provoked a storm of controversy, as it did when former French President Nicolas Sarkozy proposed it in 2010. At that time, Mr. Hollande and other prominent French Socialists roundly condemned the proposal, arguing that doing so would effectively torpedo one of the cornerstones of France’s democracy: the equality of all citizens before the law.

Last month, France’s Council of Ministers accepted the proposed changes to France’s Constitution. The amendments will be debated in Parliament in February.

The Parliament should reject these unnecessary and divisive constitutional changes. The push to diminish civil liberties and end judicial oversight will only magnify the potential for the abuse of power, without making the public safer.

Manuel Valls et  Christiane Taubira, le 23 décembre 2015.
Projet de réforme pénale: une nouvelle mise à l’écart de la justice

Le Monde | 05.01.2016 | Par Franck Johannès


Le nouveau projet de réforme pénale, transmis fin décembre 2015 au Conseil d’Etat, est exemplaire à plus d’un titre : d’abord en ce qu’il révèle la précipitation du gouvernement, qui s’appuie sur un texte de simplification et de consolidation des garanties individuelles pour y introduire une foule de mesures, voulues par le ministère de l’intérieur, qui fragilisent ces mêmes garanties. Il en sort un texte hybride, dont la vocation, derrière l’habillage d’usage, est claire : prolonger les mesures autorisées par l’état d’urgence en dehors de l’état d’urgence.


Le texte, ensuite, entérine une fois encore le glissement régulier des méthodes du renseignement vers l’antiterrorisme, celles de l’antiterrorisme vers le crime organisé, celles du crime organisé vers la délinquance ordinaire : les procédures d’exception finissent par dissoudre le principe même d’un droit commun.

Il met enfin en lumière une tendance de fond des gouvernements : marginaliser l’institution judiciaire, et d’abord les juges d’instruction statutairement indépendants, au profit des procureurs, nommés par le gouvernement. Les procureurs sont pourtant débordés et ont déjà un pouvoir de quasi-juridiction – seul un tiers des dossiers arrivent jusqu’au tribunal. L’indépendance d’esprit de ces magistrats a certes gagné du terrain : c’est déjà trop, et les voilà à leur tour dépossédés d’une partie de leurs prérogatives au profit des préfets, tenus, eux, d’obéir sans discuter au ministère de l’intérieur.

Enquêtes secrètes

En 2009, Nicolas Sarkozy voulait supprimer le juge d’instruction. François Hollande le contourne. Seuls les juges d’instruction pouvaient jusqu’ici ordonner des perquisitions de nuit, placer des micros chez les gens ou capter leurs données numériques avec des IMSI-catchers, ces valisettes qu’utilisent les services de renseignement. Les procureurs pourront désormais le faire pour le terrorisme ou la délinquance organisée, c’est-à-dire lors d’enquêtes secrètes, non contradictoires, sans avocats et hors de tout contrôle.

Les procureurs – les moins nombreux d’Europe et ceux dont les charges sont les plus lourdes – ne peuvent évidemment pas être constamment sur le dos des policiers ; or la police judiciaire, comme son nom ne l’indique pas, dépend du ministère de l’intérieur. Il s’agit donc bien d’un élargissement des pouvoirs de police, et l’autorisation exigée du juge des libertés et de la détention, qui par définition ne sait pas grand-chose du dossier, reste assez formelle.

Les policiers, prévoit le texte, pourront désormais fouiller les bagages, les voitures, et contrôler l’identité de n’importe qui. Il fallait jusqu’ici une présomption d’infraction, ou une autorisation sur un périmètre délimité et une durée limitée des parquets. Désormais, les gardiens de la paix ayant deux ans d’ancienneté y seront autorisés, en cas de suspicion d’activité terroriste et pendant douze heures, à la seule demande des préfets – la mesure est sans précédent.

Par ailleurs, les forces de l’ordre peuvent aujourd’hui retenir une personne sans pièce d’identité pendant quatre heures. La nouveauté, c’est qu’elles pourront aussi le faire si cette personne, même mineure, et hors la présence d’un avocat, a une pièce d’identité. A la condition assez floue qu’il y ait « des raisons sérieuses » de penser qu’elle a un lien avec une activité terroriste.

La mise à l’écart de la justice est encore plus manifeste pour les retours de Syrie, tous judiciarisés aujourd’hui : les présumés terroristes sont mis en examen, écroués ou placés sous contrôle judiciaire. Désormais, les préfets pourront pendant un mois les assigner à résidence, et leur demander pendant trois mois les codes de leurs téléphones et ordinateurs, les obliger à signaler leurs déplacements et leur interdire de parler à certaines personnes. Il s’agit bien d’un contrôle judiciaire, mais sans juge.

    Franck Johannès

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