lundi 29 février 2016

France: le contrôle au faciès est "normal"



Par Paul Aveline, Metronews 27 février 2015

Le contrôle au faciès est "normal". C'est en substance ce qu'a expliqué le représentant de l'Etat face à la Cour de cassation, vendredi 26 février. Dans un mémo publié par Mediapart (article payant), l'Etat enterre définitivement, et en grande pompe, une promesse de campagne du candidat Hollande. Portrait d'un reniement en quatre étapes.

Hollande-Ayrault : la promesse ferme

Dans son programme électoral, François Hollande érige la lutte contre les violences policières en axe fort, en insistant sur le racisme policier et le contrôle au faciès. Une lutte exprimée par l'engagement n°30 : "Je lutterai contre le 'délit de faciès' dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens, et contre toute discrimination à l’embauche et au logement. Je combattrai en permanence le racisme et l’antisémitisme."

 Élu en mai président de la République, François Hollande charge Jean-Marc Ayrault de mettre en œuvre son programme. Parmi ses promesses de campagne, la n°30 n'est pas oubliée et le Premier ministre s'en explique en juin, sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin qui lui demande si, finalement, l'idée d'un récépissé sera appliquée aux contrôles d'identité.

Le timing de la promesse de Jean-Marc Ayrault est important : nous sommes dix jours avant le 1er tour des élections législatives de juin 2012.

Valls freine des quatre fers

Comme un avant-goût de la suite du mandat de François Hollande, c'est Manuel Valls qui va le premier porter l'estocade. Alors que la gronde monte chez les policiers qui refusent d'être soumis à une obligation de récépissé, le ministre de l'Intérieur d'alors fait marche arrière. Evoquant une mesure complexe et coûteuse, Manuel Valls met fin à tout projet de reçu. Lors d'un discours devant les forces de l'ordre en septembre 2012, il affirme que le projet n'est pas viable.

En échange du récépissé, et pour calmer l'aile gauche du PS et Christiane Taubira, Manuel Valls promeut le retour du matricule sur l'uniforme des policiers. Une manière de s'assurer que chaque citoyen peut identifier, à terme, le policier qui l'a contrôlé s'il souhaite dénoncer une procédure abusive. Las, la mesure ne permet pas de lutter efficacement contre le délit de faciès, qui revient sur le devant de la scène en juin 2015.

2015 : l'Etat condamné

L'affaire est embarrassante. En juin 2015, l'Etat est condamné pour "faute grave" après que huit personnes ont déposé plainte pour un contrôle d'identité jugé abusif. Le 24 juin 2015, la cour d'appel de Paris estime que cinq de ces contrôles étaient basés sur "l'apparence physique et l'appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race".

L'histoire aurait pu en rester là si l'Etat n'avait pas décidé de se pourvoir en cassation, soulevant un nouveau tollé à gauche. L'aile gauche du PS ne comprend pas comment la promesse n°30 du programme de 2012 a pu se transformer en une fuite en avant face à la condamnation d'une pratique pourtant combattue quatre ans plus tôt. L'artisan de ce pourvoir n'est autre que... Manuel Valls. Dans l'ombre, le Premier ministre aurait fait pression pour que le dossier soit porté devant la cour de cassation.

2016 : l'Etat "blanchit" officiellement la nationalité

Le coup est fatal. Devant la Cour de cassation, le représentant de l'Etat produit un memorandum censé dédouaner l'Etat des contrôles abusifs condamnés par la cour d'appel 8 mois plus tôt. Dans ce texte, publié par Mediapart, le représentant de l'Etat écrit : "La circonstance que, à ce moment-là de leur mission de la journée, les officiers de police n'auraient contrôlé que des personnes d'apparence étrangère ne peut pourtant démontrer que le contrôle n'aurait pas été réalisé dans des conditions respectueuses des libertés individuelles et du principe d'égalité."

Pour la première fois, l'Etat promeut le contrôle au faciès qui, selon ce mémo, ne rompt pas le principe d'égalité. Pire, le texte entérine une prétendue "apparence étrangère", au motif que les personnes contrôlées étaient noires de peau. Dans sa défense, l'Etat va encore plus loin et enfonce le clou : "La Cour d’appel ne pouvait dire que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde établie par le contrôle (...) de la seule population dont il apparaissait qu’elle pouvait être étrangère".

Cette fois, il est clairement question du rapport entre nationalité et couleur de peau. Le temps de la lutte contre le racisme est définitivement révolu.


L’Etat justifie les contrôles au faciès

Par Michaël Hajdenberg, Médiapart, 25 février 2016
L'État français, condamné pour cinq contrôles au faciès, a décidé de se pourvoir en cassation. Mediapart a pris connaissance du mémoire qui vient d'être transmis à la Cour, dans lequel il est jugé légitime de ne contrôler que les Noirs et les Arabes au motif qu'ils ont plus de chances d'être étrangers et donc sans papiers. Pour la première fois, l'État valide ainsi le principe même du contrôle au faciès, à l'encontre d'une jurisprudence nationale et internationale constante sur le sujet.

 Pour l’État, il ne s’agit plus de minimiser les contrôles au faciès, ou seulement de contester au cas par cas la démonstration qui en serait faite. Mais d’assumer. Oui, explique le représentant de l’État dans un mémoire en justice que Mediapart a pu consulter, il est légitime de contrôler les Noirs et les Arabes si l'on cherche de possibles infractions à la législation sur les étrangers. Il serait donc logique de les arrêter et de les fouiller tandis qu’on laisse les Français blancs non suspects poursuivre leur chemin. Ce qui ressemble à une nouvelle doctrine, écrite certes dans un langage technique, désigne de fait chaque Noir et chaque Arabe comme un délinquant en puissance. Et va à l’encontre de toute la jurisprudence française et internationale en la matière.


Le mémo, rédigé au nom de « l’agent judiciaire de l’État », explicite les raisons du pourvoi en cassation de l'État condamné le 24 juin 2015 par la cour d’appel de Paris, pour « faute lourde », dans cinq cas de contrôle d’identité, jugés discriminatoires. Le ministère de la justice ne souhaitait pas contester cette condamnation. Aux yeux du Collectif contre le contrôle au faciès, d’Open Society Justice Initiative (la fondation du milliardaire George Soros) ou encore du Syndicat des avocats de France (SAF), tous moteurs dans cette procédure, le gouvernement tenait même une bonne occasion de faire respecter la parole de François Hollande qui, en 2012, avait promis, s’il était élu président, de lutter contre ce type de contrôle. « Il suffisait alors de dire aux policiers : la justice ne nous laisse pas le choix. Il faut changer le droit ou au moins vos pratiques », explique Me Slim Ben Achour.

Le premier ministre Manuel Valls, qui s’était déjà opposé à la mise en place de récépissés de contrôle lorsqu’il était ministre de l’intérieur, n’a pas fait ce choix. Officiellement, était-il dit par le gouvernement, afin de permettre une jurisprudence harmonieuse et cohérente : une fois que la Cour de cassation aurait tranché, tout serait définitivement clarifié, pour le meilleur. Le mémoire montre que la réalité est bien différente.

À l’origine, il y avait en effet treize requérants dans cette procédure. La cour d’appel de Paris n’avait donné raison qu’à cinq d’entre eux. Pour les huit autres, elle avait estimé que les contrôles étaient justifiés par le fait qu’ils s’étaient déroulés dans des « zones dangereuses ». Les huit se sont pourvus en cassation, ne supportant pas l’idée qu’en banlieue, la police aurait le droit de discriminer et de contrôler non pas en raison d’un comportement, mais d’un environnement.

Quid des cinq autres ? Trois d’entre eux, d’origine africaine ou nord-africaine, âgés de 18 à 21 ans, ont été contrôlés et fouillés à l’entrée du centre commercial de la Défense le 10 décembre 2011. Un témoin de la scène avait « observé au total une dizaine de personnes contrôlées durant 1 h 30 environ », « uniquement des hommes noirs et des Arabes âgés entre 18 et 35 ans » pourtant « habillés classiquement (jeans, survêtements) ». Ces contrôles n’avaient, selon lui, débouché sur « aucune arrestation ».


L’agent judiciaire de l’État ne voit pas où est le problème. Il écrit : « La circonstance que, à ce moment-là de leur mission de la journée, les officiers de police n'auraient contrôlé que des personnes d'apparence étrangère ne peut pourtant démontrer que le contrôle n'aurait pas été réalisé dans des conditions respectueuses des libertés individuelles et du principe d'égalité. En effet, les policiers étaient chargés d'enquêter notamment sur la législation sur les étrangers. »


Un peu plus loin (retrouver des extraits plus longs du raisonnement sous l'onglet Prolonger), il développe son raisonnement dans une formule plus alambiquée : « Les réquisitions du parquet entendaient que soient réalisés des contrôles d’identité pour rechercher et poursuivre, en particulier, les infractions à la législation sur les étrangers. La cour d’appel ne pouvait alors dire que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde établie par le contrôle (...) de la seule population dont il apparaissait qu’elle pouvait être étrangère, sans rechercher si ce contrôle n’était pas justifié par l’objet de la réquisition en exécution de laquelle il était réalisé. »

L’État rappelle ainsi à l’ordre la cour d’appel ; elle n’a pas bien lu « l’objet de la réquisition » : on recherche les étrangers en infraction et donc on contrôle « la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère », à savoir les Noirs et les Arabes.

« Il y a carrément une suspicion d’absence de nationalité française pour eux », s’étrangle Me Slim Ben Achour, l’un des avocats des 13 requérants. Pour Patrick Henriot, du Gisti (groupe d'information et de soutien des immigrés), « c’est une validation du contrôle au faciès », une première dans les écritures de l’État. Le droit de la non-discrimination ne s'appliquerait pas aux contrôles d'identité.


Lanna Hollo, d’Open Society Justice Initiative, rappelle pourtant que, selon la jurisprudence en vigueur, les policiers doivent normalement se fonder sur des « critères objectifs » permettant de présumer que la personne est de nationalité étrangère : la conduite d'un véhicule immatriculé à l'étranger, le port apparent d'un livre ou d'un écrit en langue étrangère… « Ni la tenue vestimentaire, ni l'apparence physique, ni le fait de s'exprimer dans une langue étrangère, ni a fortiori la couleur de peau ne justifient la réquisition des documents de séjour », explicite le Gisti.

L’Espagne a justifié ce type de contrôle. Mais l’ONU l’a rappelée à l’ordre à la demande de Rosalind Williams par une décision datée du 27 juillet 2009 dans laquelle il établit que tout contrôle de police s'appuyant sur des caractéristiques physiques (comme la couleur de peau) est illégal et peut avoir des conséquences dangereuses pour la société (racisme et xénophobie).

Si la Cour de cassation donne malgré tout raison à l’agent judiciaire de l’État, il suffira donc de mentionner dans une réquisition l'infraction à la législation sur les étrangers, pour justifier un contrôle au faciès. Mais après tout, l’agent judiciaire de l’État ne se contente-il pas de mettre en musique l’affirmation de l’actuel secrétaire d’État aux transports, Alain Vidalies, qui avait déclaré préférer « qu’on discrimine effectivement pour être efficace, plutôt que de rester spectateur » ?


Dans ces conditions, l'agent judiciaire de l'État peut bien écrire à un autre endroit du pourvoi que « bien évidemment, il ne peut que souscrire à l'affirmation que la discrimination du fait de l'origine ethnique est, comme le souligne la Cour européenne des droits de l'homme, “une forme de discrimination particulièrement odieuse, dont les conséquences funestes exigent des autorités une vigilance particulière et une réaction vigoureuse” ». En réalité, tout dans son raisonnement montre qu'il ne considère pas les contrôles au faciès comme relevant de ces « discriminations ».

Pour les deux autres jeunes hommes qui ont fait condamner l’État, la situation est un peu différente. Ils sont contrôlés le 1er octobre 2011, alors qu’ils sont assis à la terrasse d’un McDonald's de Villeurbanne. Officiellement, pour de possibles violations de la législation sur les stupéfiants. Les autres amateurs de hamburgers attablés à la terrasse du restaurant, tous blancs, ne sont pas contrôlés. Pour le parquet, cela n’a cependant rien de discriminatoire puisque cela est « justifié par l’attitude des deux hommes, (...) soupçon que les autres personnes dans le restaurant n’avaient pas suscité ». Seulement, cette supposée « attitude » et ce prétendu « soupçon » ne sont en rien détaillés. L’un des deux contrôlés a expliqué qu’il avait les mains sous la table, les coudes sur les cuisses. Le policier qui l’a contrôlé lui a dit qu’il l’avait vu fumer et jeter un joint. Une hallucination qu’il n’a pas eue pour les consommateurs blancs du restaurant.


L’État, qui fait feu de tout bois, ne s’arrête pas là et ressert par ailleurs les arguments qu’il avait mis en avant en première et deuxième instance : ce serait aux requérants d'apporter la preuve de la discrimination (et ce ne serait pas à la police de prouver qu’elle n’a pas discriminé). Le ministère remet également en cause les attestations des témoins fournis par les jeunes contrôlés, au motif qu’elles seraient insuffisantes. De manière plus générale, il balaie les statistiques établies sur les contrôles au faciès, au motif qu’elles sont « par nature générales et impropres à caractériser une circonstance grave, précise et concordante avec les faits spécifiques à établir ».
Au passage, le ministère disqualifie aussi le principe du récépissé de contrôle, alors que le défenseur des droits a soutenu à l’audience qu’une traçabilité des contrôles devait être mise en place. Face à un tel argumentaire, la décision de la Cour de cassation est plus attendue que jamais.

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