L’intention était certainement louable. Afin de réduire les très longues files d’attente des étrangers venus demander ou renouveler un titre de séjour à la préfecture, l’administration a privilégié depuis plusieurs années les démarches en ligne. Mais la dématérialisation n’a pas eu l’effet magique escompté. D’abord, les files nocturnes -des centaines de personnes qui patientent en espérant décrocher un ticket à l’ouverture de la préfecture- sont moins nombreuses mais n’ont pas disparu. Elles concernaient 14 sites en décembre 2014, contre 21 en 2012. Mais surtout, les services en ligne ne suppriment pas l’attente. Ils la rendent invisible. L’obtention d’un premier rendez-vous avec un fonctionnaire reste plus que jamais un «défi», rappelle la Cimade, qui rend public ce mercredi un rapport, «A guichets fermés», consacré à cette question.

L’association historique d’aide aux étrangers a notamment réalisé un test de prise de rendez-vous en ligne dans les préfectures françaises. Grâce à un programme informatique, la Cimade a effectué une requête automatique toutes les heures, dans chaque service. «Le robot regarde si des rendez-vous sont disponibles et note, le cas échéant, les deux premières dates disponibles. Il réalise au passage les captures d’écran des pages consultées permettant, par la suite, de vérifier ses résultats», explique l’association.

Le résultat du test est alarmant. Dans une quinzaine de préfectures, il est tout bonnement impossible d’obtenir un rendez-vous. Dans les autres, l’attente est souvent supérieure à trois mois (dix mois, par exemple, pour la sous-préfecture d’Antony, dans les Hauts-de-Seine). Et dans beaucoup de cas, le service en ligne a entièrement remplacé l’accueil humain ou téléphonique. Les guichets ont fermé. «On critique la dématérialisation quand elle est exclusive, précise Lise Faron, rédactrice du rapport. Il y a là une rupture de l’égalité d’accès au service public. La Cimade est désormais contactée par des personnes qui ne savent même pas comment prendre rendez-vous.»

Privés de récépissé

Selon l’association, il est «clairement devenu plus difficile» d’obtenir ce premier entretien qui déclenche l’instruction d’une demande (ou d’un renouvellement) de titre de séjour. La dématérialisation a été contre-productive. Pour Lisa Faron, il ne s’agit pas forcément d’une erreur: «Il y a une volonté, à une certaine échelle de l’administration, de fermer la porte, dénonce-t-elle. On remarque d’ailleurs que les catégories de population qui ne correspondent pas à l’immigration "choisie" -les étrangers malades, les conjoints de Français, les régularisations exceptionnelles- sont ceux pour qui il est le plus difficile d’aboutir dans leurs démarches.»

En théorie, en France, la procédure de demande de titre de séjour doit durer moins de quatre mois. En réalité, elle prend souvent des années. Et les délais continuent de s’allonger, selon la Cimade. Ce qui place les demandeurs dans une situation de précarité administrative, notamment quand la préfecture ne délivre pas de preuve attestant d’une démarche en cours. Ce récépissé est pourtant censé être obligatoire. Sans lui, les étrangers se trouvent privés de leurs droits -de travailler, de percevoir des aides sociales- pendant toute la durée de l’instruction.

Quelques conseils

Le comble réside peut-être dans le coût officiel de la procédure. «Le titre de séjour est sans doute le document plastifié le plus cher de France», écrit la Cimade. Selon l’association, «le prix à payer atteint dans de nombreux cas la somme de 600 euros pour une validité de douze mois» auxquels s’ajouteront chaque année «106 euros lors de chaque renouvellement».

Face à ce qui apparaît comme un «sous-dimensionnement organisé» des services d’accueil aux étrangers, la Cimade ose quelques conseils: «Maintenir un guichet de pré-accueil dans les préfectures avec une amplitude horaire et des moyens adaptés»; «prévoir des traducteurs»; «supprimer les tickets et les numerus clausus»; «octroyer des rendez-vous dans un délai n’excédant pas un mois»  ou «créer un site permettant de connaître l’état d’avancement des dossiers». Des recommandations finalement modestes pour redonner un peu de dignité à ces démarches.

Célian Macé