samedi 23 avril 2016

Revenir en France après la vie à l’étranger: la galère silencieuse des expatriés français


Comment revenir du Canada a bouleversé ma vie

Cet article est extrait d’un kit presse réalisé pour la sortie du Guide du retour en France 2016, livre que j’ai mis deux ans à écrire depuis mon retour. Il résume l’histoire du livre et du projet qui l’accompagne :)


Je m’appelle Anne-Laure et j’ai 31 ans.

Entre l’âge de 23 et 30 ans, je suis partie trois fois vivre à l’étranger pour les études, l’aventure et le travail, d’abord au Canada, en Nouvelle-Zélande, puis au Canada de nouveau.

En 2014, je suis revenue plus durablement en France.

Comme pour tout le monde, mon expérience à l’étranger a eu des hauts et des bas. J’y ai vécu de merveilleuses aventures, j’ai exercé plusieurs emplois inaccessibles en France, avec les responsabilités et le salaire qui vont avec.

Je me suis amusée, j’ai voyagé, j’ai rencontré beaucoup de monde, mais j’ai aussi bossé dur et connu la solitude. Parfois aussi, l’éloignement et le niveau d’exigence professionnel ont été difficiles à gérer, de même que la vie de couple, la distance, les voyages en décalé…
En Nouvelle-Zélande (2009)
“ Je ne m’attendais vraiment pas à ce que le retour en France soit la plus grande épreuve de toute mon expatriation. Je pensais que j’avais fait le plus dur ! ”
De toutes les épreuves de ces dernières années, le retour a été de loin la plus difficile. Je suis revenue pour me rapprocher de ma famille et parce que j’avais épuisé l’ensemble des solutions temporaires pour rester au Canada. C’était donc un retour un peu précipité, mais tout de même choisi, après sept ans de vie à l’étranger.
Et pourtant ! Dépression pendant six mois, crise identitaire, émotionnelle et professionnelle totale… Cette épreuve du retour m’a profondément marquée.
Deux ans après, je n’en suis pas encore complètement sortie. Le processus de deuil après un retour d’expatriation est long et compliqué, surtout quand on a construit toute son identité de jeune adulte à l’étranger.

Dépression et perte de repères : des symptômes courants du retour d’expatriation

Je pensais être la seule dans ce cas, mais en partageant mon histoire sur mon blog, je me suis rendue compte que c’était un vrai problème de société. J’ai ouvert la boîte de Pandore avec un article sur le choc culturel inversé, publié en 2014, qui est devenu viral en quelques semaines.
Au Québec (2012)
J’ai commencé à recevoir quotidiennement des messages de mères de famille, d’étudiants, de jeunes professionnels, de salariés plus âgés, d’adolescents… tous revenus de l’étranger, tous en demande d’aide psychologique, de conseils pratiques, d’un peu de lumière au bout du tunnel d’un retour qui n’en finit pas de s’achever.
“Pas de doute, presque tous les expatriés passent par des moments difficiles lorsqu’ils reviennent, quel que soit leur âge et leur profil”
Suivant les signaux très forts envoyés par mes lecteurs, j’ai décidé de me consacrer à cette communauté méconnue et pourtant très vaste (environ 250 000 personnes reviennent chaque année en France) pour qui aucune ressource n’existe.

Le début d’une aventure entrepreneuriale atypique : vouloir aider ceux qui reviennent

Avec l’aide précieuse de mon conjoint et du Digital Village, j’ai créé en Juillet 2015 un site internet entièrement dédié à ceux qui reviennent en France, ce qui m’a demandé environ deux ans de recherche documentaire, d’écriture, de rencontres et d’interviews auprès des administrations.

En Octobre 2015, je recevais un appel du gouvernement (plus précisément du Secrétariat Général à la Modernisation de l’Action Publique, SGMAP).

Suite à une demande de Manuel Valls, dans le cadre des mesures de simplification entreprises par l’Etat, il était prévu de réaliser un simulateur “Retour en France”, outil numérique pour orienter les expatriés dans leurs démarches. Les responsables recherchaient un expert avec une vue d’ensemble sur le retour pour réaliser l’ensemble des contenus du simulateur… et faute de beaucoup de concurrence dans ce domaine, je devins l’experte en question.

J’ai aussi publié au printemps 2016 un guide complet de 160 pages, leGuide du retour en France 2016, première synthèse du genre sur le sujet. C’est pour l’instant un ebook que tout le monde peut télécharger sur notre site, de n’importe où dans le monde.
Le guide du retour en France 2016, fruit de deux ans d’écriture
Je partage désormais mon temps entre l’animation de notre communauté sur les média sociaux, l’écriture et la recherche sur les identités multiculturelles et la quête d’épanouissement personnel des profils internationaux dans notre société.
C’est un sujet très vaste, qui touche à la psychologie, à la sociologie, mais aussi à la géographie humaine et aux sciences politiques. Il y a un énorme travail de sensibilisation et de vulgarisation à faire en France sur ce qu’est l’intelligence culturelle, les personnalités “multipotentielles” et la valorisation de leurs compétences.
“Le retour est bien plus qu’un sujet administratif, mais il est malheureusement trop souvent réduit à cela”

Un bilan deux ans et demi après mon retour : il me reste encore du chemin à parcourir

Aujourd’hui, je me sens encore en décalage. J’ai du mal à me réinvestir dans des activités quotidiennes “normales” en France (comme se rendre au sport ou sortir avec des amis) et je travaille encore sur la gestion de mon stress. Je me fais aider par une coach américaine pour tenter de concilier mes deux appartenances culturelles parfois incompatibles.
 
En France, de retour d’une conférence sur le retour d’expatriation à Paris (2015)
Les identités multiples sont difficiles à cerner et à expliquer aux autres. Elles génèrent une contradiction dans les valeurs et les manières d’être : cela rend tout plus difficile, car on ne peut plus être vraiment spontané. Chaque interaction humaine demande une réflexion, une reformulation des idées dans sa tête avant de parler, sous peine de “parler bizarrement”, d’être renvoyé à une différence qui isole et peut être douloureuse. Ce qui me parait logique ou “normal” ne l’est pas forcément pour les autres, et inversement.

C’est encore une frustration pour moi, mais avec le temps et le soutien de ma famille les choses se remettent en place. Je suis très heureuse d’être revenue en France pour construire une nouvelle vie.
“Aujourd’hui, mes bases identitaires sont encore beaucoup trop fragiles. Je n’aurais pas la force de m’expatrier à nouveau et de m’adapter encore à une nouvelle culture”
Même si j’en avais l’opportunité, je ne repartirais pas maintenant. Et pourtant, j’y ai tant pensé ! J’y serai peut-être davantage “chez moi” qu’ici, en fréquentant d’autres nomades de par le monde ? J’y aurais peut-être un bon emploi, une meilleure qualité de vie (ou pas), alors qu’ici mes projets ne me permettent pas encore de gagner ma vie. Ils sont toutefois prometteurs.

Mais j’ai fait le choix d’affronter ce retour jusqu’au bout, de ne pas tricher. L’envie de fonder une famille et de me sentir utile à la communauté des expatriés de France aide beaucoup. Pour le reste, on verra plus tard !

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