Discriminations, inégalités de traitement, préjugés, méfiance : à l’heure de la crise des réfugiés, le Défenseur des droits Jacques Toubon déplore dans un rapport rendu public ce lundi une «logique de suspicion» envers les étrangers, et pointe «l’ensemble des obstacles qui entravent l’accès des étrangers aux droits fondamentaux» comme la scolarisation ou la santé.

Intitulé «Les droits fondamentaux des étrangers en France», ce rapport de 305 pages (accessible en ligne ici) s’appuie sur un recensement des actions juridiques menées par le Défenseur des droits, et mesure «l’écart entre les droits proclamés et les droits effectivement exercés» par les extra-nationaux. Le texte pointe notamment la banalisation de la discrimination à l'égard des étrangers sur le territoire française : «L’idée de traiter différemment les personnes n’ayant pas la nationalité française, de leur accorder moins de droits qu’aux nationaux est si usuelle et convenue qu’elle laisserait croire que la question de la légitimité d’une telle distinction est dépourvue de toute utilité et de tout intérêt», écrit le Défenseur des droits.

Jacques Toubon appelle notamment à «déconstruire» les «idées préconçues» et les «mythes» qui circulent sur le sujet, comme la crainte de l'«appel d’air», ou celle d’une remise en cause de «l’identité française» ou de «grand remplacement». «Aucune période de l’histoire de l’immigration, aussi intense soit-elle, n’a modifié le socle des valeurs républicaines communes», peut-on lire dans le rapport, qui va également à l'encontre d'un supposé «tourisme social», idée véhiculée par l'extrême droite.

«Atteinte à la dignité humaine»

Une première partie consacrée à l’entrée des étrangers fait état d'«atteintes au droit dans la délivrance des visas», notamment pour les parents de Français sur le motif du «risque migratoire». Le Défenseur déplore que «la France tend(e) à réduire les voies d’immigration légales, alors même que la situation en Syrie accroît la pression migratoire». L'institution, qui avait déjà fait part de ses réticences sur l’accord UE-Turquie visant à dissuader les migrants, se montre critique vis-à-vis de l'«objectif de "sécurisation" des frontières», «en rien dissuasif, les exilés ayant derrière eux un parcours migratoire déjà semé d’obstacles et de prises de risques».

Pour ceux qui atteignent le territoire français, le rapport pointe l'existence d'«entraves au droit de demander l’asile à la frontière» ainsi que «le maintien en zone d’attente, source de privation des droits». En préfecture où ils entament leurs démarches, les migrants risquent de longues heures d’attente, qui portent «atteinte à la dignité humaine», et des refoulements, «entrave au droit des étrangers à voir examinée leur demande». Les délais de traitement «excessifs» des dossiers «ainsi que d’importantes lacunes dans l’information» donnée sont aussi dénoncés.

Le Défenseur s’inquiète aussi de la «précarité du droit au séjour» pour les victimes de violences conjugales notamment, et des «discriminations» dont souffrent les conjoints de Français par rapport aux Européens. Il pointe le cas particulier des étrangers malades, et «déplore la persistance de pratiques illégales, non isolées, dans l’accès aux titres de séjours pour soins». En matière d’éloignement, il dénonce des mesures «exécutées au mépris de certains droits fondamentaux» comme celui de porter plainte. 

Les mineurs non accompagnés pas assez protégés

Le parcours du combattant des étrangers ne s’arrête pas une fois la frontière passée. La deuxième partie du rapport, consacrée aux étrangers déjà en France, parle ainsi d'«une égalité de traitement avec les nationaux mise à rude épreuve». «Entraves à l’accès au droit» en matière de prestations familiales, «discriminations» pour certains minimas sociaux, refus de scolariser des enfants... Le Défenseur s’inquiète aussi de «restrictions d’accès à l’emploi», notamment pour les métiers en tension qui font l’objet d’une autorisation, ou pour les demandeurs d’asile. Il souligne combien les contrôles d’identité servent souvent «à cibler des étrangers» dans une logique de contrôle migratoire. L’institution recommande aussi «que tous les demandeurs d’asile se voient versées dans les plus brefs délais et avec effet rétroactif les allocations auxquelles ils ont droit depuis le 1er novembre 2015», date de l’entrée en application de la nouvelle loi.

Jacques Toubon revient longuement sur le sort des mineurs non accompagnés, l’un de ses sujets d’inquiétude récurrents. Accès aux droits et à la justice «défaillant», conditions de prises en charge «inquiétantes», absence de procédure spécifique pour la demande d’asile... Pendant l’évaluation de leur situation, «ces enfants devraient être protégés de manière inconditionnelle, ce qui n’est pas toujours le cas».

Le rapport souligne enfin l'importance des mots utilisés pour qualifier les étrangers. «Migrants, réfugiés, clandestins, sans-papiers, immigrés, exilés, sont autant de mots rarement utilisés de manière indifférente», détaille le rapport, qui souligne qu'employer l'appellation «réfugié» plutôt que «migrant» «est à double tranchant» car cela «peut inciter à distinguer, une fois de plus, les "bons" réfugiés, ceux qui pourraient prétendre à une protection au titre de l’asile, des "mauvais" migrants dits économiques».

LIBERATION avec AFP