Sale temps pour les associations de protection de l’environnement. Un peu partout en France, elles font face à une baisse drastique de leurs financements publics. «Cela s’accélère et s’aggrave. Depuis quelques mois, on assiste même à des retraits complets, sans préavis», constate Sophie Fleckenstein, coordinatrice du lien fédéral pour la fédération France nature environnement (FNE), qui regroupe 3 500 associations. Sous la présidence de Laurent Wauquiez, la région Auvergne-Rhône-Alpes a ainsi réduit de moitié la subvention annuelle de l’emblématique Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna, lire plus bas), s’attaquant aussi aux associations d’éducation à l’environnement comme celles du réseau Graine, à l’agriculture biologique ou aux Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne).

En Ile-de-France, la présidente, Valérie Pécresse, vient de couper les vivres à une foule de structures consacrées à la nature, au climat ou au bio, jugées «sans intérêt direct pour les Franciliens». La région Hauts-de-France, dirigée par Xavier Bertrand, prévoit pour 2017 une baisse de 40 % du budget «développement durable, troisième révolution industrielle et transition énergétique» et de 35 % pour les associations environnementales. «Alors qu’un quart de la flore régionale est menacé et que de nombreuses espèces d’oiseaux sont en danger d’extinction, Xavier Bertrand décide de les sacrifier en coupant les subventions aux associations telles que le Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer (GDEAM), le Groupe ornithologique et naturaliste du Nord-Pas-de-Calais ou encore la Ligue de protection des oiseaux (LPO)», déplore EE-LV Nord-Pas-de-Calais.

Bras de fer. Pourquoi un tel assèchement? Un an après la vague Les Républicains (LR) des dernières élections régionales, Sophie Fleckenstein considère que «l’explication politique est dans certains cas une réalité». Si le phénomène concerne aussi d’autres secteurs comme la culture, la jeune femme estime que les associations environnementales sont «un peu plus touchées» parce que le débat s’est focalisé autour de bras de fer très médiatisés comme la «ZAD» de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou la mobilisation contre le Center Parcs de Roybon (Isère). «On paie pour avoir lutté contre certains grands projets, les dossiers Center Parcs ont fait du mal à beaucoup de nos associations. Et on entend des discours du type "on ne va pas financer des associations qui par ailleurs nous attaquent", c’est nouveau.» Les régions ne sont pas seules en cause. Plusieurs départements ont aussi baissé ou coupé les vivres. Ainsi, le président LR du Conseil départemental du Morbihan, François Goulard, n’a pas hésité à justifier la coupe de 55 000 euros de subventions à l’association Bretagne vivante par son activisme en faveur de la protection des réserves naturelles : «Nous ne pouvons pas subventionner des personnes qui nous assignent en justice», a expliqué sans complexe ce proche de François Fillon.

Dégâts. Cette période de vaches maigres sera difficile à traverser pour des associations qui souffrent aussi de retards de versements des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal, services déconcentrés de l’Etat) ou des financements européens. Ajoutez à cela des difficultés liées à la réforme territoriale et le fait que les fonds européens manquent souvent à l’appel, les obtenir relevant de plus en plus du parcours du combattant… In fine, les effets sont dévastateurs, surtout pour les petites structures, souvent très dépendantes des financements publics (parfois jusqu’à 90 %). Les plus grosses, elles, résistent mieux. C’est le cas de la LPO, qui compte presque 400 salariés. Son directeur général, Yves Verilhac, constate une baisse pour l’ensemble des LPO locales de 434 000 euros de la part des régions en 2016 par rapport à 2015 avec «sans surprise Rhône-Alpes-Auvergne, Hauts-de-France et Paca en tête». Il pointe aussi une perte de 158 000 euros de la part des départements sur la même période. «On résiste assez bien grâce au privé, qui représente environ 60 % du budget de la LPO France (dons, legs, ventes en boutique, contrats et prestations)», explique Yves Verilhac, qui s’insurge contre le mot «subventions» : «Nous ne recevons plus aucune subvention de fonctionnement, cela s’est perdu dans les années 90. Nous sommes désormais uniquement sous contrats pour service rendu. On n’est pas sous perfusion, contrairement au monde de l’agriculture industrielle ou de la chasse.»

La LPO n’a pas encore été contrainte d’abandonner de missions ni de licencier. Mais d’autres structures sont déjà obligées de laisser tomber des projets. «La Frapna, par exemple, ne pourra plus s’occuper de qualité de l’air», constate Sophie Fleckenstein. La FNE s’alarme ainsi des menaces qui pèsent sur les missions d’intérêt général assurées par les associations : gestion des espaces naturels, sensibilisation et formation, renseignement de bases de données naturalistes, participation à moult commissions nationales et locales…
Les dégâts humains, eux, sont déjà bien concrets. La Frapna a dû supprimer 18 emplois sur 108, Bretagne vivante 9, Mirabel-FNE Lorraine 2, Alsace Nature 1. Et l’Office pour la protection des insectes et de leur environnement (Opie) est contraint depuis juin de mettre son équipe au chômage partiel… L’année 2017 risque fort d’être plus dure encore. Le syndicat des travailleurs associatifs Asso et l’union syndicale Solidaires se sont inquiétées début décembre des «menaces qui pèsent sur l’emploi des salarié(e)s des associations environnementales et d’éducation à l’environnement». «La disparition accélérée des aides publiques condamne l’emploi de plusieurs centaines de salarié(e)s et entre en contradiction avec les résolutions gouvernementales prises pour répondre à l’urgence climatique», écrivent-ils dans un communiqué commun.

«Clivage». Que faire, alors ? «On se demande s’il ne faudrait pas tenter de faire davantage appel aux dons ou au mécénat, travailler différemment nos projets ou serrer les rangs avec d’autres milieux associatifs, notamment dans la culture, évoque Sophie Fleckenstein. En attendant, quand on peut, on fait appel aux bénévoles.» Mais tout ne pourra pas reposer sur ces derniers, aussi motivés soient-ils. Car la complexité croissante des activités des associations nécessitera toujours «un minimum de temps salarié, de frais de fonctionnement, de production d’outils, de déplacements, de locaux, de matériel», souligne FNE. «Le risque, c’est de perdre en expertise et de gagner en clivage : plus on tapera sur les associations, plus elles perdront de salariés, plus les bénévoles et les convaincus se radicaliseront», conclut Marie Fauvarque, directrice de Picardie Nature. Sans compter le risque qui pèse sur l’indépendance : «Imaginez si demain un aménageur vous dit, "je mets 300 000 euros au pot, mais vous ne parlerez pas de l’impact de mon projet sur les chauves-souris".» Pour elle, comme pour ses collègues, le financement public est aussi et surtout garant de la liberté d’action des associations environnementales.


L’Auvergne-Rhône-Alpes préfère les braves chasseurs aux écolos bobos

Coup de massue pour la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna), pilier régional de la «défense des biens communs (sol, air, vivant et eau)». Alors que la dernière convention signée avec le conseil régional prévoyait une participation de 771 000 euros annuels pour 2015-2017, celle-ci a été réduite de moitié en 2016. Décision du nouvel exécutif de Laurent Wauquiez (LR), qui a en revanche octroyé 3 millions d’euros sur trois ans à la Fédération régionale des chasseurs… «C’est un rééquilibrage, ces derniers n’étaient pas pris en compte avant», justifie-t-on à la région. La Frapna déplore que l’exécutif «laisse tomber des pans entiers du champ d’actions nécessaires pour se prémunir des conséquences du changement climatique». Et s’interroge : s’agit-il là d’une «récompense du soutien [des chasseurs] à la majorité actuelle pendant la campagne électorale» ? Pour certaines Frapna départementales, c’est la double peine. L’Ain ne verse plus un centime. En Isère, les financements ont été sabrés de 75 %. La Frapna, qui a perdu 18 postes salariés sur 108, a lancé un appel aux dons sous le hashtag #AdopteUnBobo, référence à la caricature dont elle fait l’objet. «Il s’agit de sanctions politiques», estime Céline Labracherie, directrice de Frapna Régions. L’association a attaqué en justice le Center Parcs de Roybon (Isère), soutenu par Wauquiez qui lui a fait voter une subvention de 4,7 millions d’euros…

Coralie Schaub