mercredi 12 avril 2017

Le centre d’accueil, une parenthèse pour préparer le futur des exilés

Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) accompagnent les migrants à mieux appréhender la vie en France

LE MONDE | | Par
Des demandeurs d’asile dans le hall du CADA Coallia de Rennes, le 6 avril 2017.
« On est en suspension chaque jour, c’est un peu difficile. » Anastasia, 26 ans, est arrivée d’Ukraine en octobre 2015. Après avoir connu l’hébergement d’urgence, à Lorient (Morbihan), elle s’est installée avec ses deux enfants dans un studio avec kitchenette et douche au centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) à Rennes (Ille-et-Vilaine), en février 2016. Un an plus tard, elle a obtenu son statut de réfugiée et s’apprête à quitter le centre collectif géré par l’association Coallia, mandatée par l’Etat. « Enfin ! », dit la jeune femme qui maîtrise bien le français, le russe et l’anglais.
A l’image d’Anastasia, pour nombre de demandeurs d’asile, le séjour en CADA constitue une étape importante. Parce que ce temps est mis à profit pour appréhender les étapes de la procédure de demande de protection. Parce que cette période permet, aussi, de commencer à se familiariser avec la vie dans un pays que l’on découvre. Anastasia, qui s’est inscrite à Pôle emploi et a déjà trouvé un logement social dans lequel elle va emménager courant avril, en témoigne :
« Au CADA, j’ai appris beaucoup de choses sur la France – vie administrative, santé, école – ainsi que mes droits en tant que demandeur d’asile, cela m’a beaucoup aidée pour préparer mon futur. »
Pour autant, ce séjour en CADA est aussi synonyme d’attente inquiète. Car tout y est suspendu à la décision de l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) sur l’obtention, ou non, du statut de réfugié (dix ans) ou de la protection subsidiaire (un an). « On ne sait jamais quand elle va tomber », souligne Anouk Rosenfeld, travailleuse sociale.

L’attente en CADA a tendance à se réduire

Aujourd’hui, toutefois, cette attente en CADA a plutôt tendance à se réduire. « La durée moyenne est de neuf mois » quand il en fallait le double il y a encore deux ans, observe Armelle Musellec, la cheffe de service du centre rennais. « La réforme de l’asile du 29 juillet 2015 a accéléré les procédures et l’origine des populations (Soudan, Erythrée…) a écourté les délais d’instruction par l’Ofpra. » L’organisme avance « un délai moyen d’instruction passé de plus de sept mois en 2015 à cinq mois en 2016 », mais il n’est pas simple de parler de moyenne tant les délais sont variables.
« Autrefois, (…) les gens avaient le temps de digérer les choses »
 
Si elle est positive, cette accélération de l’instruction des demandes d’asile peut avoir ses revers. Dans le centre rennais (133 places), le « taux de rotation » des exilés est devenu « énorme », explique Armelle Musellec, dont l’équipe se compose, en dehors des services généraux, de cinq travailleurs sociaux, d’une secrétaire, d’une psychologue à mi-temps et d’une personne à l’accueil. Ce qui peut compliquer l’accompagnement – social et administratif –, élément essentiel du séjour. « Autrefois, la procédure était plus longue, les gens avaient le temps de digérer les choses », explique Laurence Blouin, secrétaire au centre d’accueil depuis vingt-huit ans. Auparavant, le CADA de Rennes accueillait majoritairement des familles.

Anouk Rosenfeld, quant à elle, se souvient d’une Nigériane qui « a mis deux ans à pouvoir parler de son histoire ». En contrepoint, elle évoque la rapidité avec laquelle « un jeune Eryhtréen passé par Calais est arrivé au CADA le 24 janvier, a été convoqué à l’Ofpra le lendemain, et a obtenu son statut de réfugié le 1er mars ».

Au CADA Coallia de Quimperlé, Abdul*, un Soudanais de 31 ans que nous suivons depuis son départ de Calais, dit aussi que « tout va très vite ». « Il y a un an, j’étais encore au Soudan. » Arrivé en juin 2016 à Calais, il a été convoqué à la fin de février à l’Ofpra, après à peine deux mois passés au CAO de Cancale et être arrivé dans le Finistère le 21 décembre. Il a obtenu son statut de réfugié le 9 mars, et s’inquiète :
« C’est très rapide pour comprendre ce qu’il t’arrive, c’est compliqué la vie en France. »

Dispositifs d’insertion saturés

« Les délais de prise en charge sont très courts, même pour nous », dit sa référente sociale, Marine Le Mer, qui déplore, comme ses collègues rennaises, « des dispositifs d’insertion saturés ». « La procédure s’accélère, mais si derrière on ne crée pas des places d’insertion… », souligne Armelle Musellec.

« Au Soudan, c’est une honte de ne pas travailler »
 
Ne pas pouvoir travailler pendant la durée de la procédure n’est pas simple non plus. « Au Soudan, c’est une honte de ne pas travailler à mon âge, explique Abdul. Moi, je recommence tout à zéro », « non par choix, mais parce que j’ai des raisons de devoir le faire », tient-il à nuancer. Chez ces hommes, l’inactivité couplée aux sévices vécus génère des états dépressifs.

Il est difficile pour ces populations « traumatisées par des persécutions dans leur pays, auxquelles se surajoutent un trajet terrible et des conditions d’errance en France depuis plusieurs années parfois » d’être dans une dynamique d’asile. « Auparavant, les familles arrivaient avec un trajet plus court, le parcours était différent », précise Alice Fimoud, travailleuse sociale au centre rennais. « Certaines personnes sont larguées », renchérit Anouk Rosenfeld.

« Faire le deuil de leur statut professionnel »

Suivi psychologiquement, Mohammed*, 32 ans, qui a déposé un recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), et dont les seules activités consistent « à manger et à dormir », a vécu « des choses terribles au Soudan ». Sa référente, Mme Rosenfeld, a déniché dans un garage solidaire de quoi occuper bénévolement cet ancien mécanicien une journée par semaine, et ce en dépit du problème linguistique. Cependant « par réalisme, beaucoup sont amenés à faire le deuil de leur statut professionnel », dit Armelle Musellec.

Le cas échéant, le travailleur social dirigera une personne en détresse vers Marie-Laure Choquet, psychologue depuis treize ans au CADA de Rennes. Elle estime « entre trente et cinquante » le nombre de personnes qu’elle voit en moyenne cinq à dix fois dans l’année. Depuis deux ans, elle reçoit de nombreux hommes isolés originaires du Soudan. Aux « lointains » traumatismes d’origine s’ajoutent ceux vécus durant leur périple, a-t-elle noté, dont « la Libye », passage obligé pour nombre d’entre eux, véritable carrefour de l’immigration irrégulière où le trafic a explosé depuis la chute de Mouammar Kadhafi.

 
Fait récent, le Soudan se retrouve dans le carré de tête des arrivées dans les quatre CADA gérés par Coallia d’Ille-et-Vilaine, avec la venue de 45 demandeurs d’asile isolés en provenance des centres d’accueil et d’orientation (CAO), où ce public a été incité à se rendre après le démantèlement de la « jungle » de Calais, à la fin d’octobre 2016. Les CADA observent aussi « le retour » des Afghans.

Une grande majorité de primo-arrivants non francophones
 
Un changement notable pour l’équipe du centre de Rennes, composée, en dehors des services généraux, de cinq travailleurs sociaux, d’une secrétaire, d’une psychologue à mi-temps et d’une personne à l’accueil. « Le public a changé », admet Armelle Musellec, qui précise que l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Offii) « demande d’accueillir en priorité des personnes isolées ». Ce sont dans leur grande majorité des primo-arrivants non francophones, « présentant des lacunes en termes de repères (temps, espace, codes sociaux) ». « On doit les préparer pour l’extérieur », rappelle-t-elle.

A Rennes, « chaque ménage [une personne isolée ou une famille] a deux référents », dit Armelle Musellec. L’un intervient dans le volet social (accès aux droits communs, couverture maladie universelle, obligation scolaire, etc.), l’autre dans celui de la procédure. Documents traduits, interprète, chacun des travailleurs sociaux s’occupe d’une vingtaine de « ménages ».
« Le volet santé est très important, souligne Alice Fimoud. Certains découvrent leur diabète à leur arrivée en France. Et il faut parfois des mois d’accompagnement pour qu’une personne puisse appeler elle-même un médecin ! »
« Quand les gens n’ont plus besoin de nous, c’est bon signe », lance-t-elle en souriant.

Dignité et solidarité

« On entend des récits de vie terribles, dit Anouk Rosenfeld. Ce qui me frappe, c’est la dignité de ces gens, leur capacité à faire face. C’est assez rare qu’ils s’écroulent devant nous. » Globalement « ils nous font confiance », disent Anouk et Alice, qui « apportent tout leur soin au récit » et pointent l’importance de la préparation à l’entretien à l’Ofpra, une étape cruciale : s’ils essuient un refus, « un moment toujours difficile à vivre, où leur parole est mise en doute », les exilés pourront déposer un recours devant la CNDA, où là encore, il faudra attendre une convocation dans des délais qui varient. Et s’ils sont à nouveau déboutés de leur demande à ce stade, ils auront un mois pour quitter le dispositif.
Anouk Rosenfeld (à droite) et Alice Fimoud (à gauche), deux des cinq travailleurs sociaux du CADA Coallia de Rennes.
« Certaines nationalités considèrent le personnel de service féminin comme leur propre femme de ménage », déplore Nadia Lemmouchi, agente de service depuis vingt-sept ans au centre, qui estime « qu’elle avait plus de contacts avec les résidents il y a quelques années ». Un poste de chargé d’information collective a été créé l’an dernier pour répondre aux besoins spécifiques de ce public. Rédiger son CV, déclarer ses impôts, faire une demande de logement social, les valeurs de la République, les modes de garde ou encore la gestion d’un budget sont quelques-uns des intitulés des sessions auxquelles sont conviés les résidents.

Toutes les intervenantes du centre rennais observent « la solidarité qui existe entre ces personnes isolées qui se sont côtoyées à Calais puis en CAO ». Courses, cuisine, difficultés financières, « ils s’entraident », « c’est un soutien pour nous aussi », remarque Alice Fimoud, « nous ne sommes qu’un passage dans leur vie ». Mais si la misère de leur exil les a amenés à se côtoyer, « il faut également privilégier un travail individuel, pour ne pas qu’ils s’oublient », fait remarquer Armelle Musellec.

A ce titre l’apprentissage du français demeure essentiel. Les résidents du CADA de Rennes sont invités à suivre « les ateliers de français » dispensés par Katell Merrien, rattachée au centre provisoire d’hébergement (CPH) qui jouxte le CADA. Cette professeuse de 36 ans travaille sur l’insertion culturelle dans la ville, proposant visites et activités. « Les jeunes venus de Calais s’y rendent en nombre », dit-elle. Gratuité des transports, de la carte de bibliothèque, « Rennes est une ville très aidante ».
Car l’étape suivante sera celle de l’intégration, tout retour dans le pays d’origine étant désormais interdit lorsqu’on est réfugié. « Nous avons deux ressentis contradictoires », explique Abdul* :
« Nous sommes très heureux de nous sentir protégés mais nous avons le mal du pays. C’est un cauchemar de se réveiller en pensant être dans sa famille. (…) Il n’y a pas de solution magique finale. »
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intervenants.

 
Anne Guillard
Journaliste au Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire