samedi 1 avril 2017

France: Les vraies-fausses solutions des candidats sur l’immigration


Marine Le Pen donne le ton et entraîne François Fillon. Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et Benoît Hamon traitent le sujet a minima.

LE MONDE | | Par


Poste-frontière de Menton, le 7 février.
Fermeture des frontières, remise en cause du regroupement familial et du droit du sol, « priorité nationale »… En matière de politique migratoire, Marine Le Pen donne le ton de la campagne présidentielle. Rien d’étonnant, puisque le Front national s’est construit à partir de ce thème. Alors, avec ses onze engagements sur la question migratoire – sur 144 –, la candidate frontiste entraîne dans son sillage le candidat de la droite républicaine, François Fillon, l’obligeant à se positionner, quand les trois autres ténors, eux, ne prennent pas la peine de déconstruire son discours et traitent le dossier a minima.

« Arrêter l’immigration » : la mesure phare de Mme Le Pen est un vrai slogan politique. Comme son vieux refrain d’un solde migratoire annuel réduit à 10 000 nouveaux venus par an. Vingt fois moins qu’aujourd’hui, puisque, en 2016, 227 550 étrangers ont obtenu un premier titre de séjour, et l’on s’accorde à penser qu’environ 150 000 restent en France. Mais cette donnée, stable dans le temps, est loin d’être imputable au « laxisme de gauche » que fustige le FN, puisque sous Nicolas Sarkozy, l’ordre de grandeur était identique, avec 193 120 entrées en 2012. Ce taux d’immigration annuel de 0,3 % de la population est d’ailleurs identique un peu partout en Europe.

Réduire l’immigration familiale

Lorsqu’on s’intéresse au total des entrées, 32 282 l’ont été pour « raison humanitaire » en 2016 et 22 575 pour motif de travail. A côté apparaissent les deux plus grosses masses : les 70 250 étudiants et les 88 010 entrants de l’immigration familiale. Difficile de rester populaire en coupant dans les entrées d’étudiants alors que la « course aux talents » est devenue mondiale. En revanche, Marine Le Pen, comme François Fillon, rêve de réduire l’immigration familiale.

Pour que l’argument passe, la candidate fait comme si toute cette immigration relevait du regroupement familial – dont elle voudrait durcir les conditions d’application. Pourtant, le regroupement concernait seulement 11 514 personnes en 2015. Les autres entrants sont très majoritairement des conjoints de Français. Aussi, comme l’observe l’historien et politologue Patrick Weil, « il faudra que Mme Le Pen surveille les mariages pour éviter que chaque année, quelque 50 000 Français choisissent un conjoint à l’étranger ».

Le démographe François Héran lui emboîte le pas, rappelant que les seuls qui ont prohibé le droit à vivre en famille « sont les pays communistes et ceux du Golfe. Car pour séparer de force les conjoints et empêcher les enfants de rejoindre leurs parents, il faut une coercition omniprésente, incompatible avec l’Etat de droit et les conventions internationales. Prétendre qu’on pourra “arrêter l’immigration” et se dégager aisément de nos engagements juridiques internationaux, c’est faire croire qu’on peut abolir la réalité », insiste l’ex-patron de l’Institut national d’études démographiques.

« Dissuasion migratoire »

Plus prudent, parce qu’il ne chiffre pas ses objectifs, M. Fillon veut « réduire au maximum » l’immigration. Il propose de conditionner le regroupement familial à « une maîtrise de la langue française par l’ensemble de la famille ». De plus, il soumettrait ces entrées à des « quotas » discutés chaque année au Parlement, après inscription dans la Constitution d’un lien direct entre « capacités d’accueil » et « immigration ». Déjà dans le programme Sarkozy en 2007, reprise dans celui de François Hollande entre les deux tours, en 2012, cette mesure n’a jamais été appliquée. En fait, elle n’est applicable que sur une immigration de travail, qui en France est inférieure à 10 % des entrées…

Outre ces formules à tendance électoraliste, Mme Le Pen et M. Fillon tablent tous deux sur ce qu’on pourrait appeler une « dissuasion migratoire » passant par un durcissement des conditions d’accueil. Ainsi, M. Fillon veut supprimer toute prestation sociale avant deux ans de résidence régulière en France, en finir avec l’Aide médicale d’Etat (AME), et cantonner ces derniers à un hébergement d’urgence spécifique, différent de celui offert aux Français. Mme Le Pen, qui veut aussi supprimer l’AME, pousse la logique un cran plus loin en disant vouloir mettre fin à toute régularisation de sans-papiers et en préconisant une « priorité nationale », inscrite dans la Constitution – qui permettrait notamment aux seuls Français d’obtenir un logement social.

Elle supprimerait le droit du sol qu’elle qualifie de « semi-automatique », alors qu’il « n’a rien d’automatique, puisqu’il faut aujourd’hui être né sur le sol français, y vivre encore à sa majorité et y avoir vécu entre-temps au moins cinq ans pour l’obtenir » rappelle M. Héran.

La gauche peu prolixe

Dans ce paysage où le slogan est roi, la gauche ne prend plus le temps de déconstruire les mensonges. Les propositions de Benoît Hamon illustrent bien le malaise du PS sur cette thématique. S’inscrivant dans la droite ligne d’un quinquennat durant lequel le chef de l’Etat n’a fait qu’un seul discours sur l’immigration, où une loi sur les titres de séjour a été présentée au Parlement au cœur de l’été 2015 pour éviter les débats, il n’aborde l’immigration que sous son angle le plus consensuel : l’asile. La création d’un visa humanitaire pour éviter aux réfugiés les dangers de la route et la fin du règlement de Dublin qui rend le pays d’entrée dans l’Union européenne responsable du dossier lui tiennent lieu de maigre programme.

Jean-Luc Mélenchon n’est pas plus prolixe. Partisan du « chacun chez soi », le candidat de La France insoumise focalise ses rares propositions sur les pays d’origine, privilégiant l’arrêt des guerres, le codéveloppement et la lutte contre le dérèglement climatique. « Le premier devoir est de tarir le flux et nous devons avoir comme mot d’ordre : chacun doit pouvoir vivre dans son pays », insistait-il, le 13 mars, en meeting. Et il se limite pour les exilés à « faciliter l’accès à la nationalité » des migrants légaux et à « rétablir la carte de dix ans comme séjour de référence ».

Entre l’approche « asile » du PS et le verrouillage à droite, Emmanuel Macron essaie de se faire une petite place discrète sur ce thème, en piochant dans des idées qui traînent à droite et à gauche, mais en oubliant qu’elles ont déjà échoué. Ainsi met-il en exergue l’« immigration choisie », prônée haut et fort par Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2011 – et conservée en catimini sous François Hollande –, même si les « visas compétences talents » n’ont été délivrés qu’à 220 personnes en 2016 et les « visas scientifiques » à 3 350. Le candidat d’En marche ! reprend aussi l’idée de renvoyer les déboutés du droit d’asile, lesquels restent aujourd’hui à 97 % sur le territoire – un sujet sur lequel droite comme gauche ont échoué. Difficile de croire que le raccourcissement des délais de procédure qu’il prône suffira à changer la donne.

Obsession des territoires infranchissables

Il y a quand même un sujet qui inspire l’ensemble des cinq candidats : la très symbolique « gestion des frontières ». Avec des nuances. Si MM. Fillon, Hamon, Macron et Mélenchon sont favorables à un maintien de la France dans l’espace Schengen, Mme Le Pen fait de cette sortie un préalable. Elle propose d’ailleurs de recréer 6 000 postes de douaniers, des effectifs à mettre en lien avec les 5 000 gardiens des frontières de l’Europe que M. Macron estime nécessaires, ou avec le triplement du budget de Frontex proposé par M. Fillon. Mais quand elle rêve de murer l’Hexagone, ses challengers, eux, plébiscitent le même type de protection plus loin, aux limites de l’UE.

M. Fillon est le seul à ajouter à ces frontières lointaines « la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures ». C’est oublier au passage que l’opération est en place depuis les attentats de novembre 2015… Cette obsession des territoires infranchissables autour de la France ou de l’UE dessine en tout cas une ligne de convergence à laquelle M. Mélenchon est le seul à ne pas souscrire, lui qui refuse « la militarisation de la politique de contrôle des flux migratoires ».

 Maryline Baumard
Journaliste

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