vendredi 20 octobre 2017

Migrants : Agadez sous pression des hotspots de Macron (Reportage, Le Point Afrique)

Surpopulation, insécurité croissante : la ville du nord du Niger, devenue carrefour des migrants, s'interroge sur les dégâts collatéraux de ces postes-frontière français avancés installés en Afrique.

Par Morgane Wirtz, à Agadez
Publié le | Le Point Afrique
Dernière étape avant la grande traversée du désert, Agadez est sous pression des nombreux migrants venus de différents pays de la région. © Morgane Wirtz
 
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« Hotspots », « missions de protection », voilà deux mots avec lesquels il va falloir s'habituer à chaque fois qu'il sera question de parler des migrants notamment africains. Dans le dessein d'éviter que ceux-ci arrivent en Europe en prenant des risques inconsidérés dans le désert du Sahara, mais aussi en mer Méditerranée, le président français, Emmanuel Macron, a émis l'idée de recevoir les candidats à une migration vers l'Europe dans des centres installés en Afrique. Autrement dit, faire en sorte que la décision de recevoir un migrant au titre de l'asile soit prise dans ces centres appelés « hotspots » par les uns et « missions de protection » par les autres. Ville située au nord du Niger, aux portes du désert, Agadez est devenue au fil des ans un carrefour de migrants. Autant dire donc qu'elle est en première ligne dans le dispositif que la France veut mettre en place pour contenir les migrants en terre africaine. Il n'y a bien sûr pas qu'Agadez qui est concernée. Nombre d'autres villes au Tchad et ailleurs ne manqueront pas de servir de hotspots. Sur place, au-delà de la question de souveraineté qui est posée avec une sorte de police des frontières françaises et Européennes installées au cœur de pays africains, il y a la crainte des conséquences économiques, sociales et politiques qu'ils ne manqueront pas d'entraîner. Le président français s'est engagé à accueillir 3 000 personnes parmi celles identifiées comme pouvant bénéficier de l'asile d'ici 2019. À Agadez, on sait que beaucoup de migrants ne seront pas acceptés à ce titre. De quoi alimenter bien des interrogations sur ce qui va advenir demain.

La crainte du surpeuplement

« C'est un bon projet », affirme Bilal Gallo, conseiller principal du sultan de l'Aïr. « Beaucoup de gens voyagent sans être ni informés ni encadrés. Ces missions permettront de les superviser et de leur apporter du secours, en cas de besoin », précise-t-il. « De nombreux candidats à la migration fuient des problèmes politiques ou la guerre. Ils pourront venir dans ces missions et y trouver des facilités pour migrer vers l'Europe », renchérit Hamed Koussa, adjoint au maire d'Agadez.

Mais pourquoi instaurer ces missions au Niger et au Tchad ? La quasi-totalité des migrants visés par les politiques du président français est en transit dans la région. Ils viennent du Mali, du Sénégal, de Guinée, de Gambie, du Nigeria, du Burkina Faso ou du Ghana et ont déjà effectué une bonne partie du chemin vers l'Europe. « Il serait préférable d'installer ces missions dans les pays d'origine des migrants. Proposer ces services dans les ambassades européennes, par exemple, pour voir comment, de là-bas, on peut les aider à avoir des papiers pour voyager » , propose Hamed Koussa.

À Agadez, la priorité des autorités est d'éviter une surpopulation de la ville. « Les candidats à la migration sont très nombreux. J'imagine que ceux qui répondront aux critères [pour obtenir le statut de demandeur d'asile­] seront, quant à eux, très peu nombreux », explique Issouf Maha, porte-parole du conseil régional d'Agadez. « Ce projet pourrait provoquer le surpeuplement d'Agadez et de ces environs. Déjà aujourd'hui, nous avons du mal à gérer la situation », poursuit-il. La ville souffre de carences en eau potable et en électricité.

Que faire des migrants refoulés ?

La question de savoir ce qu'il adviendra des personnes refoulées par les missions de protections est sur toutes les lèvres. Et chaque hypothèse ne présage que de sombres conséquences. S'ils sont relâchés, les migrants voudront, par tous les moyens, continuer leur route frauduleusement. « Il n'y a pas de stabilité en Libye. Il faut voir les dangers qu'encourent ces personnes. Il y a souvent des pertes de vies humaines. Nous les déplorons beaucoup parce qu'il s'agit de la jeunesse africaine. Il s'agit de cette jeunesse qui doit construire nos pays, qui doit construire l'Afrique. C'est elle qui est en train de partir et de périr dans la mer ou dans le désert », s'inquiète l'adjoint au maire.

Il semble aussi impensable de garder dans des centres ou de reconduire à la frontière les migrants qui n'auront pas été acceptés dans la procédure de demande d'asile. C'est que le Niger est membre de la Cedeao (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) et doit garantit la libre circulation des personnes sur son territoire surtout si elles sont originaires de pays membres de ladite communauté. « Si vous voyez des gens avec un passeport du Mali ou du Tchad, qu'est ce que vous pouvez leur dire ? Vous allez les refouler ? Si nous leur apportons des complications, cela créera une révolte. Moi, si je vais au Mali et qu'on me met en prison, comment est-ce que je réagis ? Je me révolte ! » explique Bilal Garo. « Est-il assez honnête qu'au nom de la coopération, on nous fasse piétiner nos principes et nos règlements pour satisfaire ceux des Européens ? » s'indigne Rachid Kollo, président du Cadre d'action pour la démocratie et les droits de l'homme.

Ces hotspots, le signe d'un retour de la Françafrique ?

« Le véritable président du Niger, Emmanuel Macron, a décidé tout simplement d'instaurer dans une de ses sous-préfectures des bureaux pour filtrer les Africains qui vont aller en Europe, en France. Et c'est bien triste, c'est bien dommage de constater que nous n'avons encore que des sous-préfets, non des présidents de la République », s'indigne Rachid Kollo. Pour ce représentant de la société civile nigérienne, l'Union européenne instaure ses politiques de répression migratoire sans se soucier du sort de la ville. « Le fait de stopper la migration appauvrit Agadez. Tous ces migrants viennent et restent entre une semaine et dix jours à Agadez avant de continuer. Ils achètent dans de petits commerces. Cela fait vivre certaines familles. Après, ils achètent leurs billets de transport, cela fait vivre d'autres familles », poursuit Rachid Kollo. « L'UE met en place des projets. Elle envoie des ONG européennes et leur donne des moyens pour répondre à la question migratoire. La commune d'Agadez peut trouver les solutions. Elle a besoin d'être soutenue dans cette démarche. La solution ne peut venir que de nous », renchérit l'adjoint au maire. Les autorités communales espèrent être prises en considération lors de la mise en place des missions de protections. Selon elles, c'est l'unique moyen de prévenir les conséquences néfastes de la dernière idée du président français.

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