mercredi 5 juin 2019

Laurent Ruquier, Christine Angot et la minimisation de l’esclavage

 Christine Angot a tenu de graves propos minimisant la traite des noirs, reprenant un argument central des suprémacistes blancs. Plutôt que de s’excuser d’avoir diffusé cet extrait, Laurent Ruquier a attaqué ceux qui remettaient en cause sa collaboratrice. Une occasion ratée d’éduquer le public sur un crime contre l'humanité trop souvent minimisé. 


On mettra cela sur le coup de l’ignorance et de la stupidité passagère. Au cours d’un échange avec Franz-Olivier Giesbert, à propos de la Shoah, Christine Angot a tenu à préciser que :

« Le but avec les juifs pendant la guerre, ça a bien été de les exterminer, de les tuer, et ça introduit une différence fondamentale, alors qu’on veut confondre avec par exemple l’esclavage et l’esclavage des Noirs envoyés aux États-Unis ou ailleurs, et où c’était exactement le contraire. C’est-à-dire l’idée c’était qu’ils soient en pleine forme [“Qu’ils soient en bonne santé, oui”, insiste Franz-Olivier Giesbert], en bonne santé pour pouvoir les vendre et pour qu’ils soient commercialisables. »

Personne ne bronche sur le plateau, et l’extrait sera conservé en postproduction.
Sans rentrer dans le débat sur la pertinence (ou non) de la hiérarchisation des crimes contre l'humanité, l'autre aspect stupéfiant de ce propos est qu'il reproduit l'argument central des suprémacistes blancs et autres amis du KKK pour minimiser l’horreur de l’esclavage. Selon eux, les noirs étaient « bien nourris » car ils représentaient une valeur marchande, puis « biens traités » dans les plantations où ils étaient logés et nourris par des propriétaires « paternalistes et bienveillants ».



 Ce révisionnisme historique ancré dans le plus pur racisme ignore superbement les faits.  

Sur la nature de la traite des noirs d’abord, on citera les travaux de l’historien Marcus Rediker qui décrit le phénomène dans son livre « À bord du négrier » (1). Il explicite les conditions sur les bateaux, loin de « l’idée, c’était qu’ils soient en pleine forme » affirmés par Mme Angot, mais « une relation fondée sur l’ingestion forcée de nourriture, les coups de fouet, la violence à tout bout de champ et le viol des femmes ». Marquage au fer rouge, torture, supplices et humiliations s’ajoutaient à des conditions de transport inhumaines, parfois 16 heures de suite assis dans une position tortionnaire, enchainés à plusieurs et parqués en cales au milieu du vomi et des excréments, soumis au travail forcé, nu et maintenu dans un univers « concentrationnaire », « le navire n’était lui-même qu’une machine diabolique, une sorte de gigantesque instrument de torture ».  

La traite c’est d’abord 1,8 million de décès en mer, 10,6 millions de captifs envoyés au Nouveau Monde, dont 1,6 million meurent la première année dans des camps de travail forcé, sans compter toutes les victimes sur le sol africain lors des rapts. L’idée n’était certainement pas de prendre soin des noirs. 5 millions d’entre eux périrent du seul fait du commerce triangulaire. 

Si l’horreur de la traite négrière reste solidement ancrée dans les consciences (mis à part celle de Christine Angot, FOG et par extension l’équipe de ONPC et Laurent Ruquier visiblement), l’autre aspect de l’esclavage demeure moins connu.

Dans son livre « The half has never been told , slavery and the making of American capitalism » (2), l’historien Edward Baptist décrit la réalité du système esclavagiste après l’abolition de la traite, entre 1808 et 1864. Les « camps de travaux forcés » où sont envoyés les noirs pratiquent une torture systémique et institutionnalisée afin d’augmenter la productivité des esclaves. Le système, décrit par ses instigateurs dans des notes d’époque comme un « pushing system » consistait à imposer des quotas de production dont le non-respect valait un nombre de coups de fouet proportionnel à l’écart entre la production et le quota. Des coups de fouet si douloureux que leurs victimes entraient souvent en transe (ou crise d’épilepsie) sous l’effet de la douleur. Ces quotas étaient ajustés quotidiennement pour placer l’esclave à la limite, et intentionnellement conçus pour être parfois manqués, afin d’entretenir une atmosphère de terreur. Les conditions de « travail » similaire au travail à la chaîne devaient permettre de déshumaniser les esclaves en les contraignant à opérer mécaniquement, et de façon ambidextre pour le ramassage de coton. Les survivants décrivent des expériences de sortie de corps, où l’individu perd souvent la raison, ce qui n’est pas sans rappeler les témoignages des survivants des camps de concentration nazis. 

En 1930, après soixante ans de progrès technique et d’ingénierie biologique visant à augmenter la rentabilité des champs de coton et la facilité du ramassage, les travailleurs libres qui les exploitaient restaient 50 % moins productifs que les esclaves de 1860, malgré l’incitation financière. 

Le commerce des esclaves noirs était également marqué par des abus sexuels (les femmes étant souvent violées) alors qu'on arrachait systématiquement les enfants à leurs familles pour les vendre et ainsi éviter la solidarité intergénérationnelle et l'humanisation. Certaines femmes étaient contraintes de tomber enceintes pour « produire » de nouveaux bras. Une femme de Louisiane se vit ainsi arracher 16 enfants. L’espérance de vie des esclaves des plantations de coton était très en dessous de celles des fermiers blancs.

1,5 million de noirs américains ont subi une migration forcée sur des milliers de kilomètres vers le sud-ouest des USA, enchaîné les uns aux autres pendant des mois, au point de révulser les habitants des villes que traversaient ces sinistres cortèges (et de jeter les bases du courant abolitionniste). De nombreux esclaves se sont mutilés ou suicidés pour éviter d’atterrir dans les camps.

Dans les plantations de sucre, l’espérance de vie d’un adulte ne dépassait pas douze ans. Il était plus rentable d’épuiser un esclave productif que de le maintenir en bonne santé, contrairement à ce que semble penser Christine Angot. Tout cela était systémique, et non pas le fruit d’atrocités ponctuelles.
Plutôt que de reconnaître cette erreur, fruit d’une ignorance consternante, mais pardonnable, Laurent Ruquier a accusé les critiques de vouloir lancer une polémique dans un tweet daté du 3 juin : 

« La Shoah fut une abomination. L’esclavage en Afrique et le commerce des esclaves fût une abomination. Aucun doute. Ceux qui tentent de nous faire dire ou penser le contraire à Christine Angot ou à moi cherchent à créer une polémique inutile. »

Ainsi, l’animateur du service public cherche à faire dire à Angot le contraire de ce qu’elle disait, et insulte son public au passage. L’écrivaine a raté une occasion de se taire, préférant étaler son ignorance. Et Ruquier manque une occasion d’éduquer son public en expliquant pourquoi les propos de sa « polémiste » étaient gravissimes, à l’heure où l’esclavage refait surface aux portes de l’Europe.

***
  1. Merci à Mathilde Larrere pour cette source : https://twitter.com/LarrereMathilde/status/1135291311790186498 qui rejoint ce que j’ai pu lire dans les musées de plantations de Louisiane notamment, et dans le livre de Baptist cité en 2.
  2. Un résumé incomplet de l’ouvrage via le NYT : https://www.nytimes.com/2014/10/05/books/review/the-half-has-never-been-told-by-edward-e-baptist.html

Communiqué de l’association des Amis du général Dumas


 


Paris le 5 juin 2019

Propos de Christine Angot sur l’esclavage sur France 2 : l’association des amis du général Dumas, organisatrice des commémorations du 10 mai à Paris et Villers-Cotterêts (journée nationale des mémoires de la traite et de l’esclavage) sous le haut patronage du Président de la République, et présidée par l’écrivain Claude Ribbe, dépose plainte contre X pour apologie de réduction en esclavage (article 24 de la loi du 29 juillet 1881).

L’association des amis du général Dumas, déclarée à la préfecture de police de Paris (récépissé du 28 juin 2006) a pour objet de « faire connaître la vie du général Thomas-Alexandre Davy de La Pailleterie, dit Alexandre Dumas (1762-1806), figure emblématique issue de l’esclavage, général républicain, d’origine africaine par sa mère, né esclave à Saint-Domingue (république d’Haïti), mort libre à Villers-Cotterêts (Aisne) ; honorer et défendre sa mémoire, au regard notamment de ses origines africaines et de la condition d’esclavage qui fut la sienne dans sa jeunesse ; honorer et défendre la mémoire de sa famille : ascendants, descendants ou collatéraux » (journal officiel de la République française du 5 août 2006, p 3812)

Depuis 2009, l’association des amis du général Dumas, qui est à l’origine de l’installation du monument Fers, place du général-Catroux à Paris, 17e arrondissement, organise, tous les 10 mai - à l’occasion de la journée nationale des mémoires des traites, de l’esclavage et de leurs abolitions- une commémoration populaire et consensuelle de l’abolition de l’esclavage à Paris, place du général-Catroux et à Villers-Cotterêts (depuis 2018 dans la cour du château), en présence de nombreuses personnalités.

Depuis 2018, la commémoration organisée par l’association des amis du général Dumas est placée sous le haut patronage du Président de la République.

Le samedi 1er juin, lors de la diffusion de l’émission (préalablement enregistrée) « On n’est pas couchés », animée par Monsieur Laurent Ruquier, sur la chaîne de service public France 2, Madame Christine Angot a déclaré:

« Les Juifs, pendant la guerre, ça a bien été de les exterminer, c'est-à-dire de les tuer. Et ça introduit par exemple une différence fondamentale, alors que l'on veut confondre, avec par exemple l'esclavage des noirs, envoyés aux Etats-Unis, ou ailleurs... C'était exactement le contraire : l'idée c'était au contraire qu'ils soient en pleine forme, en bonne santé pour pouvoir les vendre et qu'ils soient commercialisables. Donc non, ce n'est pas vrai que les traumatismes sont les mêmes, que les souffrances infligées aux peuples sont les mêmes »

L’animateur de l’émission, M. Ruquier, n’est pas intervenu pour modérer sa chroniqueuse. Bien au contraire, il a maintenu la séquence au visionnage pour qu’elle soit diffusée et il a ultérieurement déclaré que les réactions indignées provoquées par les propos de Madame Angot constituaient une « polémique inutile ».

Il est par ailleurs constatable que M. Franz Giesbert, qui était aux côtés de Madame Angot pendant l’émission, approuve manifestement ce qu’elle dit, non seulement en hochant la tête, mais en lui suggérant des mots : « pour qu’ils soient en bonne santé, bien sûr… travailler massivement, oui… »
L’incident a très profondément choqué l’opinion et a donné lieu à plus de 900 signalements au conseil supérieur de l’audiovisuel.

Ces propos, en l’occurrence appliqués aux victimes de l’esclavage à un moment et à un lieu donnés, ne concernent pas seulement les Africains déportés en Amérique. Ils sont manifestement et logiquement transposables à toutes les victimes de l’esclavage, quelle que soit leur origine ou la couleur de leur peau, et en particulier aux victimes de l’esclavage contemporain, puisqu’ils tendent à démontrer que, de manière générale, l’esclave est en quelque sorte préservé, voire bien traité par l’esclavagiste et que, dès lors, il ne subit pas de préjudice, où en tout cas un préjudice mineur.

Il est d’ailleurs assez courant que le parallèle soit fait, notamment à l’occasion des journées mémorielles, tant par la presse que par les responsables politiques, entre l’esclavage du passé et l’esclavage contemporain.

De ce fait, les propos tenus par Madame Angot et diffusés par la chaîne France 2 sont de nature à atténuer la culpabilité de tout auteur du crime de réduction en esclavage et ils sont par conséquent constitutifs du délit d’apologie du crime de réduction en esclavage visé et réprimé par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.

C’est la raison pour laquelle, Claude Ribbe, en sa qualité de président de l’association des amis du général Dumas, a déposé plainte le 5 juin 2019 contre X du chef d’apologie du crime de réduction en esclavage entre les mains du Procureur de la République de Paris.

Association des Amis du général Dumas

Esclavage : Christiane Taubira se paie Christine Angot

A.Po Mardi 11 juin 2019
Esclavage : Christiane Taubira se paie Christine Angot 
« Je sais que vous avez été nombreux à être émus par des propos inqualifiables, qui ont été tenus récemment, sur une télévision publique […] Moi je dis que nous avons là une circonstance intéressante, pour tester notre placidité, notre impavidité, notre aptitude à faire front, notre capacité à résister à ces inepties blessantes et injurieuses. Parce qu’il faut quand même un esprit sacrément tordu pour vouloir comparer les tragédies humaines entres elles. Il faut être particulièrement inculte pour penser que l’esclavage a pu être cela à n’importe quelle période et en particulier en cette longue période spécifique où l’esclavage a été organiquement lié à la traite, c’est-à-dire en clair au commerce d’êtres humains, à la vente et à l’achat de femmes, d’hommes, d’enfants, au point qu’il leur fallu inventer des théories raciales, racialistes et racistes, pour justifier leur commerce. Et montrer de la désinvolture, face à une réalité humaine aussi massive et aussi douloureuse, est une marque d’immaturité et l’attitude est obscène. Et puis quand même, il faut une dose extraordinaire d’imbécilité pour s’habiller, sortir de chez soi, passer au maquillage, entrer sur le plateau d’une télévision publique et déblatérer en proférant des énormités archaïques et odieuses, autant qu’elles sont invraisemblables. Vous voyez que nous n’avons pas à nous en faire, il y a des gens à qui nous n’avons rien à dire, parce qu’il n’y pas entre nous le minimum essentiel : la conviction de l’unité de l’espèce humaine, la certitude que dénier sa dignité à une seule personne au monde met en péril l’espèce toute entière. Nous n’avons rien à dire à des personnes qui ne savent pas qui nous sommes : survivants obstinés, résilients magnifiques, voilà ce que nous sommes. »
Source: franceguyane.fr 
 Lire également sur le même sujet: De quoi est révélateur la concurrence mémorielle en France ?

Propos de Christine Angot : le CREFOM veut une prise de position de France Télévisions

Madame la présidente,

Le samedi 1er juin 2019, Madame Christine Angot, chroniqueuse d’« On est pas couché », une émission phare du service public, se laissait aller à des propos odieux, discriminatoires, et révisionnistes, vis-à-vis de l’esclavage dans les colonies françaises - un crime contre l’humanité- et, plus généralement de l’esclavage en général.

Elle a fait injure à tous les Ultramarins français liés à cette histoire et à tous leurs compatriotes qui la condamnent, tout en alimentant une odieuse guerre des mémoires.

Une semaine plus tard, dans la même émission, alors que la communauté ultramarine et de nombreux autres Français s’indignaient encore de l’absence de condamnation officielle des contre-vérités évoquées par Madame Angot, un prétendu « droit de réponse » d’une rare médiocrité intellectuelle nous était infligé. La chroniqueuse regrettait de « n’avoir pas réussi se faire comprendre…», tandis que pour le producteur de l’émission « ils avaient fait preuve, au cours de leur vie et de leur carrière, d’antiracisme et d’humanisme »...

Il s’agit là d’une imposture. En réalité, au lieu d’un droit de réponse accordé aux personnes réellement visées par les propos de Madame Angot, qui étaient une véritable apologie de l’esclavage et en particulier de l’esclavage raciste de masse, cette seconde émission n’a été que l’occasion, pour Madame Angot, de se montrer incapable de reconnaître ce qu’elle avait dit et tout le monde avait déjà compris, à savoir qu’il y aurait une hiérarchie des crimes contre l’humanité.

Agissant de la sorte Madame Angot refuse catégoriquement d’admettre que l’esclavage raciste de masse, un temps légalisé en Europe, était simplement une manière de tuer des gens au travail à cause de la couleur de leur peau, dans un laps de temps excédant rarement cinq ans, sans parler du fait que pour un Africain débarqué aux colonies, cinq autres avaient déjà perdu la vie.

Le Conseil Représentatif des Français d’Outremer estime que ce prétendu « mea culpa » ne retire en rien le caractère délictuel des propos tenus le 1er juin. Le CREFOM considère en outre que l’apologie de l’esclavage, qui est le fond de la pensée de Madame Angot exprimée ce jour-là, n’a pas à être véhiculée sur les antennes d’une chaîne publique. Si une réponse judiciaire est bien sûr nécessaire, une prise de position claire de la présidence de France Télévisions s’impose par ailleurs. Des mesures appropriées doivent être prises pour que de tels excès ne se reproduisent jamais.

À l’heure où l’on n’est toujours pas revenu sur le projet - non justifié et non concerté - de faire disparaître France Ô en septembre 2020 - alors que la chaîne France 4 se verra probablement accorder un sursis - on ne peut croire, au vu de l’affaire Angot, des réactions inacceptables du producteur et du silence du diffuseur, à la volonté de donner plus de place à l’Outremer sur les chaînes du service public français.

L’esclavage français doit être présenté pour ce qu’il a été : Une déportation organisée, un crime de masse, l’expression légalisée et monstrueuse d’un racisme d’État. La loi le qualifie de crime contre l’humanité.

Seule la reconnaissance de cette réalité par une prise de position officielle de l’État et de France Télévisions, avec l’annonce de mesures concrètes pour lutter contre le révisionnisme et l’ignorance de l’histoire de France, nous permettront de retrouver confiance.

La France, pays des droits de l’homme, ne doit jamais oublier que nombre d’Ultramarins ont sacrifié leur vie pour elle, tandis que la France esclavagiste avait déporté leurs ancêtres et les avait tués au travail en leur refusant la qualité d’êtres humains.

Je vous prie d’accepter, Madame la présidente, l’expression de ma parfaite considération.

Jean-Michel Martial, président du CREFOM 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire