Par
Guilhem Delteil, Radio France Internationale (RFI)
C’est l’un des enseignements que l’exécutif
français veut tirer des attentats de Paris et Saint-Denis qui, le 13
novembre, ont fait 130 morts et 350 blessés. Dans son discours aux deux
Chambres du Parlement réuni en Congrès à Versailles le 16 janvier, le
chef de l’Etat a annoncé qu’il souhaitait élargir les critères de
déchéance de nationalité pour inclure les binationaux nés français qui
se seraient radicalisés.
Leur
premier recours a été rejeté. Le juge des référés du Conseil d’Etat a
refusé de suspendre les décrets de déchéance de nationalité de cinq
hommes: quatre Marocains et un Turc condamnés pour leurs liens avec le
groupe responsable des attentats de Casablanca en 2003. Fouad Charouali,
Rachid Aït El Hadj, Bachir Ghoumid, Redouane Aberbri et Attila Turk
font partie des huit Français déchus de leur nationalité depuis 2000.
Une mesure pas encore définitive dans leur cas puisque tous les cinq ont
également déposé un recours sur le fond : ils dénoncent un « excès de pouvoir ».
Déchéance prononcée par décret
C’est sur la base de l’article 25 du Code Civil
que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a signé ces décrets.
L’article prévoit quatre cas dans lesquels la nationalité française
peut être retirée : pour avoir porté atteinte aux intérêts fondamentaux
de la nation, pour avoir commis, dans le cas d’un dépositaire de
l’autorité publique, des abus d’autorité ou des manquements à ses
devoirs, pour s’être soustrait à ses obligations de service national ou
pour avoir commis des actes d’espionnage au profit d’un pays étranger.
En matière de terrorisme, c’est le premier cas de figure qui est
invoqué.
La déchéance de nationalité est prononcée par décret. Le
texte est signé par le ministre de l’Intérieur après avis conforme du
Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative. Mais il reste
attaquable devant ce même Conseil d’Etat, comme l’ont fait Fouad
Charouali, Rachid Aït El Hadj, Bachir Ghoumid, Redouane Aberbri et
Attila Turk. Et un dernier recours peut-être déposé devant la Cour
européenne des droits de l’homme.
La nationalité, un droit universel
Mais
la législation actuelle pose aussi des limites strictes à la déchéance
de nationalité. La première est qu’elle ne peut concerner que des
personnes qui ont une double nationalité. La Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948 définit comme un droit universel de disposer d’une nationalité.
D’autres textes internationaux ratifiés par la France interdisent aux États de rendre apatride un de leurs citoyens. Et la loi Guigou de 1998
retranscrit ce principe dans la législation française.
La seconde
porte sur les délais dans lesquels cette déchéance doit intervenir. Les
faits reprochés tout comme l’acquisition de la nationalité française ne
peuvent être antérieurs au décret de déchéance de plus de dix ans. Un
délai porté à quinze ans en matière de terrorisme par une loi de
2006. De ces deux dispositions, c’est la seconde que le président Hollande veut modifier :
en matière de terrorisme, il entend étendre la déchéance de nationalité
aux binationaux nés français et non aux seuls binationaux ayant acquis
la nationalité française.
Cela implique une modification de la
loi, et même de la Constitution. Car le Conseil constitutionnel n’est
pas opposé au principe de déchéance de nationalité mais il impose un
délai dans lequel elle doit être prononcée. Or, c’est précisément ce
délai que veut abolir le chef de l’État. Pour s’affranchir des limites
fixées par le Conseil constitutionnel, François Hollande doit donc
inscrire dans la loi fondamentale que la déchéance de nationalité peut
concerner des individus nés français.
Inscrire la mesure dans la
Constitution aurait également l’avantage d’éviter les procès en
inconstitutionnalité. Car pour certains, introduire une déchéance de
nationalité pour des binationaux nés français créé une «rupture d’égalité». Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, estime notamment que cela pourrait créer «deux catégories de citoyens», ceux « incontestables »et ceux« qui peuvent être contestés ». Un principe antirépublicain selon lui puisque « la République ne reconnaît qu'une seule et unique citoyenneté ».
Guilhem Delteil, Radio France Internationale (RFI)
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