Les femmes font massivement face aux violences sexuelles sur le chemin de l’exil
1
février 2016 | Par Carine
Fouteau, Médiapart
Les
femmes fuyant leur pays sont toutes ou presque la cible de violences
sexistes le long de leur parcours migratoire. Mediapart a documenté
cette réalité qui suscite une relative indifférence. Dans les pays
d'accueil, y compris en France, la réaction des pouvoirs publics est
quasi inexistante.
Il
y a peu de chances, voire aucune, d’en réchapper. Les violences
subies par les femmes le long de leur parcours migratoire sont
protéiformes et omniprésentes. Chantage, agressions, exploitation
sexuelle, mariages forcés, viols : les hommes rencontrés en
chemin, qu'ils soient passeurs, policiers, agents de sécurité ou
réfugiés, représentent à tour de rôle un danger potentiel. Un
danger d’autant plus incontournable que ne pas se soumettre à
leurs abus risque de compromettre le voyage.
Les
mères de famille et les jeunes filles sont pourtant de plus en plus
nombreuses à affronter les périls de l’exil : elles
représentent 48 % des 232 millions de migrants internationaux,
c’est-à-dire de personnes vivant hors de leur pays natal, selon
l’Organisation
des Nations unies. Dans l’exode sans précédent de réfugiés
que connaît l’Europe (plus d’un million en 2015), principalement
constitué de ressortissants syriens, afghans et irakiens, elles
occupent une place croissante (de 27 % en juin 2015 à 55 %
en janvier 2016 avec les enfants, selon le Haut-commissariat
des Nations unies pour les réfugiés). Celles qui avancent
seules ou avec des enfants sont les plus vulnérables aux prédateurs
sexuels, mais les épouses ne sont pas épargnées. Ces faits ne sont
pas nouveaux. Peu documentés par les médias, ils font l’objet de
réponses limitées, pour ne pas dire inexistantes, des pouvoirs
publics, comme si une forme d’indifférence entourait la condition
des femmes migrantes.
À Calais, lors
d'une distribution de vêtements, le 9 août 2015. © Reuters
Rencontrée
à la Coordination des familles en demande d’asile (Cafda), que
gère à Paris le Centre d'action sociale protestant (Casp), Marthe,
Camerounaise francophone de 23 ans originaire de Yaoundé, a fui son
pays en 2011, à la suite d’un drame familial. Après avoir tué
son père, son oncle est venu prendre possession du domicile
conjugal. « Il est arrivé chez nous, et il a dit :
“C’est moi maintenant l’homme de la famille.” Malgré la
résistance de ma mère, il s’est installé. Il a d’abord essayé
de me violer, puis a organisé un mariage avec un vieil homme. Je
devais être sa deuxième épouse, j’ai refusé, mais il m’a
forcée. Avec ma maman, nous ne nous sentions plus en sécurité.
Nous lui avons proposé de lui laisser la maison, cela n’a pas
suffi. Nous avons décidé de partir loin. Il nous a dit que, où que
nous irions, il nous retrouverait. » Toutes leurs économies
en poche, elles quittent le pays. Avec elles : les frères et
sœurs de Marthe, ainsi que son premier enfant alors âgé d’un an
et demi. Tout au long du parcours, des passeurs se relaient. À
chaque fois, il faut débourser des centaines d’euros. Entre le
Nigeria et le Niger, les ennuis commencent. Des motos les mènent à
travers la brousse et les champs. La jeune fille manque de se faire
violer. À Tamanrasset, en Algérie, cela recommence. « À
notre arrivée, des hommes du désert nous tournaient autour. Ils
disaient qu’ils voulaient nous kidnapper, sinon ils nous
violeraient. Ils nous lançaient des cailloux. On s’est défendu. À
un moment, je me suis retrouvée toute seule, on a dû aller à
l’écart, j’ai eu très peur, puis j’ai retrouvé ma maman. Ils
nous ont demandé de l’argent, c’est ainsi. »
Les
deux femmes et leurs enfants reprennent la route vers le nord jusqu’à
la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Une « auto-mafia »
les conduit jusqu’à Nador, ville portuaire en bordure de
Méditerranée. « On était tellement serrés dans cette
voiture, il y avait des gens dans la malle arrière », se
souvient-elle. La famille est débarquée dans une forêt où
survivent des centaines de personnes sous des bâches et des
branchages. Effrayée à la vue de cette vie exposée aux
intempéries, Marthe se rassure en pensant n’y rester qu’une
semaine ou deux. Mais faute d’argent, le passage en Europe est sans
cesse reporté. Une année finira par s’écouler avant qu’elle ne
puisse quitter cet enfer. « C’était le premier hiver de
ma vie. J’ai eu très froid sous la tente. Ça a été terrible. On
n’avait plus d’argent, on allait faire la manche dans les
marchés. Des couples se formaient dans la forêt. Des femmes se
faisaient violer par les Marocains. Un homme m’a proposé de
l’argent pour coucher avec lui. Des gens sont morts là-bas. Trop
de choses se sont passées. Pour survivre, nous nous organisions
entre femmes : nous échangions nos marmites et nos couverts,
nous coopérions. Mais nous avions besoin d’un homme pour aller
puiser l’eau avec les bidons de 10 litres à une ou deux heures de
marche. Il fallait être protégé par quelqu’un. Ma mère et moi
avons chacune eu un ami qui nous aidait. Nous n’avions pas le
choix. » Jamais, dit-elle, les autres réfugiés ne s’en
sont pris à elles. « Au contraire, ils nous protégeaient. »
En revanche, les « connection men », ces migrants
devenus passeurs, représentaient un danger : ils proposaient
aux femmes de coucher avec eux en échange d’un passage en mer
gratuit (au lieu des 1 000 à 1 500 euros exigés).
Lors
de cette étape éprouvante au Maroc, rythmée par les descentes des
policiers, Marthe réalise qu’elle est enceinte. Au moment des
contractions annonçant l’accouchement, elle appelle une ambulance
qui refuse de venir la chercher dans cette « jungle ».
Après 40 minutes à pied, elle arrive à l’hôpital. Quand elle ne
s’y attend plus, le passage vers l’Europe est programmé. En deux
temps : d’abord sa mère et les enfants, puis elle avec son
nouveau-né. Dans un Zodiac surchargé, elle traverse la
Méditerranée, multiplie les prières, pense que sa dernière heure
est venue. La terre est en vue. Après avoir atteint l’Espagne,
elle rejoint rapidement sa mère en France qui l’a précédée d’un
mois. Depuis février 2014, plus aucun homme ne lui a posé de
problème, assure-t-elle. Sa demande d’asile a été déposée dans
la foulée, mais l’Office français de protection des réfugiés et
apatrides (Ofpra) l’a fait patienter un an avant de la convoquer.
Elle trouve le temps long. Lors de l’entretien, prévu le 1er
février, elle devait expliquer les raisons l’ayant conduite à
fuir son pays. La France, espérait-elle, allait enfin reconnaître
les violences dont sa mère et elle avaient été victimes.
Fatima,
elle, n’a toujours pas été entendue par les officiers de
protection. Cette Nigériane anglophone de 28 ans est pourtant
arrivée à Paris il y a six ans, via un réseau de
prostitution tenu par des compatriotes. Mais différents aléas de
procédure ralentissent l’examen de sa situation par l’Ofpra et
retardent sa mise à l’abri. Après avoir quitté sans argent son
pays en 2007 pour échapper à l’excision, elle ne s’est rendu
compte qu’une fois arrivée à Madrid qu’il lui faudrait
rembourser les frais de voyage en se prostituant. Au total 40 000
euros, lui a annoncé son « patron ». « J’ai
pleuré quand j’ai compris ce qu’il était en train de me dire »,
dit-elle. Elle n’en revient toujours pas : comment a-t-il pu
lui demander une telle somme, alors qu’elle a failli mourir en
traversant le désert du Ténéré et risqué de se faire violer dans
les taillis environnant Melilla ? Après cinq mois de
prostitution dans la capitale espagnole, elle rembourse ce qu’elle
peut – 3 000 euros – et s’efforce d’échapper à la
surveillance du proxénète. L’arrivée en France ne marque pas la
fin de ses soucis. Pendant trois ans, rattrapée par la communauté
nigériane de Château-Rouge à Paris, elle se prostitue aux abords
de parkings du quartier. La naissance de son enfant, il y a deux ans,
l’encourage à interrompre cette activité. Elle quitte le père du
bébé. « Il ne me tapait pas mais m’empêchait de
manger quand nous nous disputions. » Désormais
hébergée en hôtel avec sa fille par le Samu social, elle vit grâce
aux dons des associations. « J’aimerais des papiers,
indique-t-elle, mais par-dessus tout j’aimerais rencontrer un
homme qui m’aime pour ce que je suis. »
Ce
que ces femmes ont subi est exemplaire de ce qu’elles subissent
toutes ou presque. Les violences sont la norme plutôt que
l’exception. C’est ce qu’explique Omar Guerrero, psychologue
clinicien au centre parisien de soins Primo-Levi, où ont été
accueillis des milliers de réfugiés depuis plus de dix ans. « Dans
certains pays, les violences sexuelles sont considérées comme une
arme pour détruire non seulement une personne, mais aussi une
famille, voire un village. Le viol entraîne le bannissement. Comme
lors d’une irradiation, les effets se font sentir longtemps. »
En premier lieu, lors du trajet. « Les passeurs se servent.
Le corps des femmes est utilisé comme une monnaie d’échange »,
observe-t-il. Deux récits lui viennent à l’esprit : celui
d’une Érythréenne à qui l’on a dit que sa « disponibilité »
permettrait de payer le voyage ; et celui d’une Tchadienne,
sommée de coucher avec un homme sous peine de voir son enfant passé
par-dessus bord. Une fois en Europe, ces femmes migrantes ne sont pas
au bout de leurs peines. « Quand elles arrivent, sans
repères, elles sont particulièrement vulnérables. Surtout si elles
ont déjà été victimes. Leurs défenses naturelles sont
fragilisées. »
« Les femmes ne veulent pas causer de problèmes susceptibles de perturber leur voyage »
Le
déplacement massif de population provoqué par les conflits au
Proche et Moyen-Orient n’échappe pas à la règle. Le chemin de
l'exil est parsemé de violences. Pour les femmes, celles-ci
commencent dès le Liban, comme en témoigne le rapport d'Amnesty
International publié le 2 février. « Beaucoup
de migrantes, notamment celles qui dirigent leur foyer, se retrouvent
exposées au harcèlement, à l’exploitation et aux violations des
droits humains, au travail et dans la rue »,
indique l'ONG. Une précédente synthèse, réalisée à partir d'une
quarantaine
de récits recueillis en Allemagne et en Norvège, est tout aussi
alarmante. « Beaucoup
ont indiqué que, dans presque tous les pays qu’elles ont
traversés, elles ont connu agressions physiques et exploitation
financière, ont été touchées de manière inappropriée ou ont
subi des pressions visant à les inciter à avoir des relations
sexuelles avec des passeurs, des employés chargés de la sécurité
ou d’autres réfugiés »,
assure ce document publié le 18 janvier 2016.
Tout
au long du trajet, via
la route des Balkans, l’obligation de dormir dans des camps aux
côtés de centaines d’hommes, réfugiés comme elles, revient
comme un cauchemar. « Les
tentes étaient toutes mixtes et j’ai été témoin de violences
(…),
indique une Syrienne de 20 ans. Je
me sentais plus en sécurité lorsque j’étais en mouvement, en
particulier dans un bus, le seul endroit où je pouvais fermer les
yeux et dormir. Dans les camps, il y a tellement de risques de se
faire toucher, et les femmes ne peuvent pas vraiment se plaindre et
ne veulent pas causer de problèmes susceptibles de perturber leur
voyage. »
Des violences perpétrées par des policiers sont également
signalées, notamment en Hongrie et en Grèce. Dans ce pays, une
Syrienne de 16 ans a déclaré à Amnesty International avoir reçu
des coups de bâton. « Ils
m’ont frappée sur le bras. Ils s’en sont même pris à des
enfants. Ils ont frappé tout le monde sur la tête. J’ai été
prise de vertige et je suis tombée par terre, des gens m’ont
marché dessus. Je pleurais et j’ai été séparée de ma mère.
Ils ont appelé mon nom et je l’ai retrouvée. Je leur ai montré
mon bras et un policier l’a vu et a ri, j’ai demandé à voir un
médecin, et ils nous ont dit à toutes les deux de partir. »
Ces accusations sont corroborées par Human
Rights Watch qui, dans un rapport publié le 21 septembre,
dénonce les abus envers les femmes dans le centre d’enregistrement
pour migrants de Gazi Baba, en Macédoine, à proximité de la
frontière grecque, ainsi que par le HCR
qui signale des cas de mariages forcés le long de la route
migratoire.
À la gare de
Presevo en Serbie pour aller en Croatie, le 20 janvier 2016. ©
Reuters
À
Paris aussi, des faits graves ont été recensés. Le directeur de
France terre d’asile, Pierre Henry, est affirmatif : « Des
viols ont eu lieu à Pajol », devant la halle sur laquelle
plusieurs campements se sont succédé au printemps dernier avant que
la mairie ne mette en place un dispositif d’hébergement plus
adapté aux besoins. « Nous en sommes certains, car un de
nos intervenants qui parlait l’arabe et venait tous les jours sur
place a recoupé les témoignages : certains migrants ne s’en
cachaient pas, ils disaient à qui voulaient l’entendre qu’ils
s’étaient “amusés” avec telle ou telle femme. Ils ne voyaient
pas où était le problème », indique-t-il. Ainsi
repérées, les femmes ont été mises à l’abri et séparées de
leurs agresseurs quand une offre de logement leur a été faite. Les
faits délictueux ont été signalés. Mais aucune n’a porté
plainte.
Au
lycée désaffecté Jean-Quarré, dans le XIXe
arrondissement de la capitale, squatté par des migrants jusqu’en
octobre 2015, des allégations de viols et de prostitutions ont
circulé. Élu EELV de Paris, Bernard Jomier, chargé des questions
de santé, a été effaré en visitant les lieux : « Imaginez
une demi-douzaine de femmes au milieu de 600 hommes vivant dans une
extrême précarité… » Pour faire face, les femmes
s’étaient regroupées dans une pièce au rez-de-chaussée. Une
affichette indiquait que les hommes n’étaient pas les bienvenus.
La porte était gardée à tour de rôle. « J’ai entendu
parler de ces rumeurs, affirme-t-il. J’ai demandé des
éclaircissements, mais je n’ai pas eu de confirmation par le
commissaire du quartier. Cela ne veut cependant pas dire que de tels
agissements n’ont pas eu lieu. D’ailleurs, à la suite de notre
visite, les femmes ont été exfiltrées. » L’adjoint au
maire regrette que cette problématique soit « instrumentalisée »
pour disqualifier les réfugiés dans leur ensemble, à l’inverse
de Pierre Henry qui reproche aux « soutiens » de
la taire « de crainte que cela ne nuise au combat en faveur
des migrants ».
Déjà
exceptionnelles en temps normal, les poursuites judiciaires sont
rarissimes dans le contexte migratoire. Beaucoup de victimes hésitent
à en parler autour d’elles pour de multiples raisons entremêlées :
pudeur parfois, honte souvent, et stratégie aussi. En l’absence de
réponse adaptée, elles redoutent que leurs confidences ne
contribuent à les isoler davantage et, au bout du compte, ne se
retournent contre l’avancement de leur périple.
À
Calais, dans la « jungle »
où vivotent entre 4 000 et 5 000 personnes en attendant de
passer en Grande-Bretagne, un militant associatif évoque la présence
d’un, voire deux lieux de passe au vu et au su de tous. « Entre
les petits business montés par des Afghans venus de Belgique et les
réseaux d’armes à feu »,
précise-t-il. « Les
bénévoles ne savent pas comment réagir à cette
situation anarchique. Les policiers non plus »,
observe-t-il. À la suite d'une visite dans le bidonville, des
soignants ont évoqué la situation d'une femme qui les a
particulièrement touchés. « Elle
avait passé la nuit dehors et paniquait à l’idée d’en passer
une seconde, car des hommes avaient voulu l’emmener de force dans
leur tente,
ont-ils écrit dans une tribune au Monde.
Nous
avons appelé le centre Jules-Ferry [qui
accueille des femmes].
Qui l’a inscrite en position 56 sur la liste d’attente. Nous nous
sommes vus lui donner un duvet et lui trouver un petit coin dans la
tente d’une autre Érythréenne. Le lendemain, on l’a trouvée en
pleurs. On saura seulement que le mari de l’autre femme était
revenu ivre dans la nuit. Elle gardera pour elle les détails. Et
nous notre honte de ne pas l’avoir mise à l’abri. »
Référente
à Calais pour Médecins du monde (MDM), Aurélie Denoual explique
comment son équipe intervient dans la « jungle »,
où des maraudes sont organisées en direction des femmes isolées.
« Le viol et la prostitution, cela existe. La question est
de savoir ce que nous pouvons faire pour aider les femmes et non leur
compliquer la vie. D’abord, nous allons voir celles qui sont seules
dans leur coin. Plus elles sont isolées, plus elles sont des proies
potentielles. Quand nous identifions un cas problématique, nous nous
présentons, nous faisons savoir à la personne que nous sommes
disponibles pour la rencontrer, qu’elle peut venir nous voir, nous
laissons un numéro de portable joignable à tout moment. Nous
revenons, en essayant de trouver l’équilibre entre la nécessité
de garder le contact pour que la personne se confie et ne pas en
faire trop pour ne pas la mettre en péril. »
Les
bénévoles, sur lesquels l’État se défausse d’une partie de
ses responsabilités, se retrouvent démunis face à ces drames vécus
dans la solitude par les femmes migrantes. « En présence
d’éléments concordants permettant de désigner une tête de
réseaux, il peut nous arriver de faire des signalements auprès des
autorités compétentes, ces femmes sont soumises à des pressions
multiples, de natures différentes, que nous ne maîtrisons pas de
bout en bout », indique le responsable de FTDA, en train de
mettre en place entre Paris et Calais une équipe d’une dizaine de
personnes dédiée à la prévention et à la lutte contre la traite
des êtres humains. Financé par la Grande-Bretagne, ce programme est
une première en France, signe de la difficulté des acteurs à
prendre cette question à bras-le-corps.
Les
abus sont parfois d’autant plus invisibles qu’ils viennent des
maris, voire d’autres femmes. « Les violences
intrafamiliales existent comme partout, mais peut-être avec une
intensité supplémentaire sur les routes migratoires en raison des
bouleversements culturels induits par les déplacements »,
indique Marie Paindorge, à la tête du pôle asile du Casp, qui a
reçu 2 392 familles à Paris en 2015. « Le
décalage est tel entre la vie dans le pays d’origine et les
coutumes du pays d’accueil que certains couples sont désarçonnés »,
poursuit-elle, évoquant le cas d’une femme tchétchène dont le
mari n’a pas supporté qu’elle se dévoile à son arrivée en
France. « Avec l’excision, le danger est principalement
féminin. Souvent, ce sont les tantes ou les grand-mères qui font
subir l’opération », note-t-elle.
« Lors des consultations, les “maris”, “amis” et autres “protecteurs” restent à la porte »
Les
associatifs en contact avec les migrants se posent tous la même
question : comment tisser des liens avec les femmes en
difficulté afin de les aider à s’en sortir ? Dans la lande,
MDM s’est rendu compte à l’usage que son dispositif de soins
initial n’était pas accueillant à l’égard des femmes. « Au
départ, les médecins étaient tous des hommes. Beaucoup de migrants
venaient aux consultations. Les femmes ne représentaient que 5 %
des patients. On ne proposait pas de plages horaires pour elles, la
salle d’attente était mixte. Certaines ont dû hésiter à venir
pour ces raisons », indique Aurélie Denoual. « Lors
des consultations, nous avons établi une règle : les “maris”,
“amis” et autres “protecteurs” restent à la porte afin de
s’assurer d’un minimum de confidentialité avec les patientes. »
Médecins
sans frontières (MSF), dont le dispensaire continue de fonctionner,
s’apprête également à faire circuler dans la lande une équipe
constituée d’une infirmière et d’une interprète afin d’aller
au-devant des femmes « qui n’osent pas venir »
dans l’Algeco. Dès que le contact est établi, dès que des
solutions sont proposées, la confiance s’installe et des portes
s’ouvrent, soulignent les intervenantes de MDM et MSF qui, en cas
de besoin, orientent les patientes vers l’association Gynécologie
sans frontières (GSF) et la Permanence d’accès aux soins de
santé, porte d’entrée vers l’hôpital public. Les pathologies
dont elles souffrent sont caractéristiques de la vie en bidonville
(gale, infections sexuellement transmissibles, problèmes
dermatologiques), de la saison (syndromes respiratoires, ORL) et des
circonstances (blessures physiques liées aux tentatives de passage).
Présente
dans cinq campements du Nord-Pas-de-Calais depuis le 15 novembre, GSF
a eu du mal à se faire une place. « Franchir les portes
d’un cabinet de gynéco est stigmatisant, observe Richard
Matis, gynécologue-obstétricien et vice-président exécutif de
l’association. Les réticences sont fortes : les gens
pensent que vous venez pour un avortement – ce qui peut être le
cas. Nous devons à la fois être visibles et discrets. »
Lors des 110 consultations réalisées en un mois, une quarantaine de
grossesses ont été détectées. « Nous les accompagnons à
leurs rendez-vous à l'hôpital, ce qui crée parfois des tensions
avec les passeurs qui leur déconseillent de se faire connaître de
l’administration française et les menacent de partir sans elles si
elles s’absentent trop longtemps. »
Pour
éviter les agressions, les femmes livrées à elles-mêmes
n’attendent pas les bénévoles pour s’organiser. À Calais, les
plus isolées, principalement des Érythréennes et des Soudanaises,
recréent leur propre réseau de solidarité autour de cuisines
communautaires, où elles se retrouvent pour préparer et partager
leur repas ; elles échangent leurs savoir-faire pour
s’abriter de la pluie, se chauffer et se soigner ; quand elles
ont à faire hors du bidonville, elles se déplacent à plusieurs ;
comme les hommes, elles tentent de rejoindre l'Angleterre la nuit :
la plupart d’entre elles ne disposent pas des 5 000 à 6 000
euros demandés ces jours-ci par les trafiquants pour un passage
soi-disant garanti (les éventuels gains de la prostitution sont si
faibles qu’ils sont consacrés à la survie), ce qui explique
qu’elles recourent aux techniques habituelles consistant à monter
dans les remorques des camions. Les échecs étant fréquents, elles
se relaient pour retrouver leurs affaires dans la lande.
Les
pouvoirs publics, en leur réservant un espace dans le centre
Jules-Ferry, ont montré qu’ils étaient conscients des dangers
spécifiques encourus. Mais les efforts, tardifs, restent
insuffisants : des dizaines de migrantes continuent de dormir
dehors chaque nuit. Au-delà des violences occasionnées par des
hommes, l’élu parisien Bernard Jomier fustige la violence
institutionnelle qui consiste pour un État à laisser à la rue des
femmes en situation d’extrême précarité. En matière de soins,
les défaillances sont tout aussi problématiques. « Quand
elles poussent la porte de l’hôpital, il est souvent trop tard,
indique-t-il. Elles sont dans un état de souffrance physique et
mentale catastrophique. » Dans les campements du
Pas-de-Calais, il arrive que des femmes accouchent en plein air.
Lorsqu'elles sont hospitalisées, il arrive aussi qu'elles soient
renvoyées quelques jours à peine après la naissance.
Le
manque de réactivité et de soutien financier des institutions
publiques est également dénoncé par le responsable de GSF. « Pour
nos activités dans le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie,
nous avons reçu des fonds du ministère des affaires étrangères.
Depuis que nous sommes à Calais, nos demandes de subventions à
l’échelon municipal, régional et national sont restées sans
réponse », affirme Richard Matis, qui note que le maire
EELV de Grande-Synthe Damien Carême fait exception. Quant à
l’action des forces de l’ordre, elle aussi est dommageable. « En
cas de violences, nous incitons les femmes à porter plainte. Mais
encore faut-il qu’elles soient prises au sérieux lorsqu’elles
débarquent dans un commissariat », souligne Marie
Paindorge.
À
l’initiative de la Ville de Paris et de l’État, un établissement
réservé aux femmes migrantes enceintes ou accompagnées d’enfant
doit ouvrir ses portes dans les semaines à venir à Bourg-la-Reine,
dans les Hauts-de-Seine. Le Casp s’est vu confier la prise en
charge de ce lieu qui ne connaît pas d'équivalent en France. Seules
une cinquantaine de places seront disponibles. Que se passera-t-il
quand toutes les chambres auront été attribuées ? Rien n’est
prévu pour les femmes sans enfant, qui pourtant subissent les
pressions des proxénètes. Comment expliquer un tel retard en
France ? La difficulté des victimes à se confier est souvent
mise en avant pour justifier la lenteur des actions publiques. Il est
toutefois vraisemblable que l'existence de réponses
institutionnelles adéquates encouragerait les femmes à prendre la
parole et à faire valoir leurs droits.
Migrants homosexuels, la difficile épreuve des camps pour demandeurs d’asile aux Pays-Bas
Syrien homosexuel de 20 ans, Omar a demandé l’asile aux Pays-Bas après avoir vu des images de la célèbre Gay Pride d’Amsterdam. Une fois arrivé, son rêve néerlandais a bien failli s’écrouler face aux harcèlements de ses compagnons de fortune.
Liberté d’expression ?
Les Pays-Bas sont le premier pays au monde à avoir
légalisé le mariage entre personnes du même sexe, en 2001, mais
dans leurs centres pour demandeurs d’asile, l’acceptation de la
diversité sexuelle n’est pas la norme, dénoncent les ONG de
défense des homosexuels. « Arriver aux Pays-Bas, le pays
de la liberté d’expression, et être harcelé en tant que gay,
c’était complètement fou », regrette Omar. « J’étais
surpris que ces gens, après avoir traversé tout ce qu’ils ont
traversé, soient capables de me harceler pour cela »,
s’étonne ce Syrien qui a atteint la Grèce en bateau avant de
rejoindre les Pays-Bas en septembre grâce à un faux passeport
espagnol.
Svelte, cheveux impeccablement coiffés, il raconte
avoir choisi de se rendre aux Pays-Bas après s’être renseigné
sur internet. « J’ai lu des articles disant que les
Pays-Bas étaient très tolérants envers les homosexuels et
qu’Amsterdam était la capitale de la communauté LGBT ». Mais
la situation est différente dans les camps pour demandeurs d’asile,
déplore celui qui a fui la guerre et l’intolérance. « On
menaçait de me tuer, on me disait que j’étais la honte des
réfugiés, on me bousculait pour me dépasser dans les files »,
soupire ce natif de Damas issu d’une famille aisée.
Agressions
Les écouteurs dans les oreilles, le plus souvent
possible dans sa chambre, il évitait la compagnie d’autres
demandeurs d’asile. « J’ai de la chance de ne pas
avoir été agressé physiquement », assure le jeune
homme, qui a finalement trouvé refuge chez Lianda, une Néerlandaise
homosexuelle de 25 ans qui lui a offert un toit. Selon
l’association de défense des droits des homosexuels COC, les
violences contre certains migrants gays ont été jusqu’aux
agressions sexuelles. Apeurés, isolés, certains n’osent plus
sortir de leur chambre.
Le quotidien néerlandais AD a, lui, évoqué des
vêtements brûlés ou des lits souillés d’excréments et de
nourriture. Selon le journal, un migrant homosexuel a dormi une
semaine dans les bois par peur de retourner dans sa chambre. Comme
Omar, ce dernier aurait finalement été hébergé par un
Néerlandais.
L’association Secret Garden assure que deux
migrants homosexuels ont tenté de se suicider. COC dit avoir
collecté 14 plaintes de mi-octobre à fin décembre alors que
l’association n’en recevait auparavant qu’une ou deux « tous
les quelques mois ». « Nous redoutons que ce ne soit que
la partie visible de l’iceberg »; explique à l’AFP
le directeur Koen van Dijk, en soulignant que la plupart des migrants
homosexuels ne portent pas plainte, par peur de représailles ou ne
sachant pas vers qui se tourner. « Je crois que les
LGBT fuient vers n’importe quel endroit plus sûr que leur pays,
mais s’ils viennent aux Pays-Bas, ils s’attendent évidemment à
un pays sûr et accueillant envers eux », souligne-t-il.
Situation d’urgence
Face à ces problèmes, la municipalité d’Amsterdam
a mis à disposition d’octobre à décembre deux maisons
« refuge » pour une dizaine de migrants
homosexuels, une mesure « d’urgence » et
« exceptionnelle » pour une situation « qui
l’était tout autant », selon une
porte-parole. Amsterdam se dit prête à mettre en place
d’autres « solutions sur mesure » si
nécessaire. Et l’association COC prône l’ouverture d’autres
maisons de ce type, même si elles ne peuvent constituer une solution
permanente, selon elle.
Les homosexuels qui avaient été hébergés dans ces refuges temporaires ont désormais rejoint des centres pour demandeurs d’asile plus adaptés. Cinq d’entre eux sont par exemple installés dans une aile séparée d’un centre plus petit – il compte 350 places, contre 6.700 pour le précédent – dans lequel il est plus facile d’observer et contrôler d’éventuels abus.
Les homosexuels qui avaient été hébergés dans ces refuges temporaires ont désormais rejoint des centres pour demandeurs d’asile plus adaptés. Cinq d’entre eux sont par exemple installés dans une aile séparée d’un centre plus petit – il compte 350 places, contre 6.700 pour le précédent – dans lequel il est plus facile d’observer et contrôler d’éventuels abus.
L’organisation qui gère l’accueil des
demandeurs d’asile aux Pays-Bas, le COA, tente de son côté de
sensibiliser les demandeurs d’asile à la tolérance et dit
infliger des sanctions en cas de harcèlement. Dans les cas les
plus graves, la police est appelée, indique l’organisation, en
soulignant que d’autres groupes « vulnérables »
peuplent les centres pour demandeurs d’asile, comme les femmes
battues, les victimes de trafic d’êtres humains, les enfants.
Omar estime que seul un permis de séjour lui
permettra d’entamer la nouvelle vie espérée et de reprendre ses
études de droit. En attendant, il a trouvé auprès de nouveaux
amis une partie de ce qu’il cherchait: « Je voulais
rencontrer des gens qui m’accepteraient tel que je suis, j’ai
finalement pu les rencontrer », sourit ce jeune Syrien.
« Savoir que l’on peut se promener main dans la main dans
la rue avec son copain sans craindre la réaction des gens, c’est
fantastique. »
source: AFP et Rédaction en ligne
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