La
Grèce renvoyait ce lundi ses premiers réfugiés vers la Turquie : des
Pakistanais, des Bangladais et deux Syriens ont quitté les îles grecques
de Lesbos et Chios pour retourner en Turquie dans le cadre de l’accord
controversé signé entre l’Union européenne et Ankara le 18 mars dernier.
La présidente d’Amnesty International France, Geneviève Garrigos,
revient sur les conséquences de cette politique européenne.
Pourquoi l’accord entre l’Union européenne et la Turquie est-il contestable à vos yeux ?
Cet accord se fait au détriment des droits des réfugiés et est
contraire aux principes mêmes de l’Union européenne. La Turquie a
ratifié partiellement la convention de Genève de 1951, relative au sort
des réfugiés. Encore aujourd’hui, elle ne donne le statut de réfugiés
qu’aux seuls ressortissants européens, à l’exception des Syriens en
raison du conflit. Les personnes originaires d’Irak,
d’Afghanistan, etc., ne peuvent pas faire de demande d’asile dans ce
pays et subissent des renvois massifs. Le jour même de la signature de
l’accord,
une trentaine d’Afghans ont été arrêtés
par des gardes-côtes turcs et emmenés dans des centres de rétention,
avant d’être renvoyés de force vers Kaboul, malgré la menace des
talibans. Le deuxième aspect que nous contestons concerne les Syriens
eux-mêmes. L’accord spécifie que pour un Syrien renvoyé en Turquie, un
autre sera installé dans l’Union européenne. Il s’agit d’un marchandage
assez ignoble quand on sait que ces réfugiés ont risqué leur vie pour
atteindre la Grèce. Enfin, le nombre de personnes qu’accueillera l’Union
européenne est limité à 72 000. On est extrêmement loin des besoins
d’installation.
Quelles sont les conséquences sur le long terme de cet accord ?
Les centres de rétention turcs dans lesquels sont emmenés les
réfugiés sont de plus en plus fermés. On a également des témoignages de
mauvais traitements. Nous craignons qu’à terme, les réfugiés décident de
prendre l’autre route, celle du Sinaï, en passant par l’Egypte ou la
Libye. Or, ce parcours est extrêmement dangereux. Les réfugiés risquent
de se faire kidnapper contre une rançon par exemple. Cet accord permet
aux institutions européennes de gagner du temps, mais il est illégal,
non applicable et risque d’aggraver la situation.
Quelles solutions prônez-vous pour sortir de cette crise ?
Aujourd’hui, on paye l’absence de politique concertée au niveau de
l’Union européenne pour l’accueil des réfugiés. En septembre 2015,
Jean-Claude Juncker
[président de la Commission européenne, ndlr] avait fait un discours tout à fait remarquable
qui remettait la question de la protection des réfugiés au centre des
valeurs de l’Union européenne. Mais lors des négociations qui ont suivi
pour relocaliser les personnes arrivées en Grèce et en Italie, très peu
de pays se sont engagés. L’Allemagne s’est retrouvée toute seule. Nous
demandons une réelle concertation entre les pays membres pour mettre en
place une vraie politique de relocalisation, ainsi que l’instauration de
visas humanitaires et de politiques de regroupement familial. Cette
opération-là est plus une politique de communication vis-à-vis du public
européen. On fait passer comme message aux réfugiés «Ne venez pas».
Cela fait cinq ans qu’on leur dit, on voit bien que cela ne marche pas.
Estelle Pattée
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