Tribune
La deuxième mort d’Adama Traoré
Dans une lettre ouverte adressée à Yves Jannier, procureur de Pontoise, le président de SOS Racisme revient sur la façon dont l'investigation a été menée après le décès du jeune homme de 24 ans, à Beaumont-sur-Oise.
Monsieur le procureur de Pontoise,
Le 19 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, Adama Traoré, un jeune de 24 ans, est mort une première fois. Quelques dizaines de minutes après avoir été interpellé par la gendarmerie, son décès était constaté et annoncé à la famille.
Quasi instantanément, comme pour orienter avec vigueur les regards vers la responsabilité de la victime elle-même et d’un malheureux concours de circonstances médicales, se produisit un schéma malheureusement habituel : la communication déployée en direction des médias, de façon anonyme ou de façon ouverte par vos soins, sombra dans ce qu’il est convenu en bon français de qualifier de mensonges, fussent-ils pour certains le fruit d’omissions.
Un homme est mort pendant le temps où il était aux mains de la gendarmerie – c’est-à-dire aux mains de la République – et vous vous précipitez devant la presse pour créer un écran de fumée entre la vérité d’un côté et la famille tout autant que l’opinion publique de l’autre.
Adama Traoré, mort dans des circonstances troubles qui commandaient une investigation guidée par la rigueur, le respect et la vérité, est en quelque sorte mort une seconde fois lorsque vous avez parlé du haut de votre autorité de représentant de la République.
Votre attitude est peut-être le fruit d’une panique liée aux émeutes
que le décès d’Adama Traoré a entraînées. Mais une panique peu
admissible lorsque l’on occupe vos fonctions. A moins que cette attitude
ne reflète un mépris insupportable : le mépris de celles et de ceux qui
estiment que la mort de certains fait partie des aléas de l’interaction
entre les forces de l’ordre et des jeunes de quartiers populaires
d’origine maghrébine ou subsaharienne. Nous ne savons pas si Adama
Traoré est mort d’être un Noir de quartier mais votre communication
entretient un rapport brutalement caricatural avec ces caractéristiques
du défunt.
Pourquoi Adama Traoré s’est-il enfui à la vue de gendarmes? Une question qui n’est pas sans rappeler les décès de Zyed Benna et Bouna Traoré mais qui semble vous être suffisamment illégitime pour qu’elle n’appartienne pas à votre géographie mentale, pas plus qu’à celle de la police et de la gendarmerie.
Pourquoi les gendarmes ont-ils couru derrière Adama Traoré alors qu’il n’était pas concerné par l’opération en cours ? Car, bien loin de s’être interposé entre les gendarmes et des personnes en cours d’interpellation comme quelques sources l’ont initialement distillé auprès des médias, c’est à l’issue d’une course-poursuite qu’Adama Traoré a été interpellé.
Quel est le fondement de l’interpellation d’Adama Traoré? Le fait de courir est-il dans notre pays constitutif d’un délit nécessitant une interpellation aboutissant à un menottage à l’issue de l’utilisation de la technique du plaquage ventral?
Les techniques d’interpellation qui sont appliquées peuvent-elles entraîner la mort? L’on sait depuis longtemps, à travers notamment les conséquences de la technique du pliage, que la réponse est positive. Est-il alors normal, au-delà du cas d’Adama Traoré, que ces techniques puissent continuer à être employées?
Pourquoi les gendarmes, alors qu’Adama Traoré leur a indiqué qu’il étouffait et qu’il a perdu connaissance dans la voiture, n’ont pas immédiatement vérifié son état médical et emmené à l’hôpital une personne sous leur responsabilité? N’y a-t-il pas là non-assistance à personne en danger ?
De quoi Adama Traoré est-il mort ? Pour y répondre sereinement, il faut envisager toutes les hypothèses avec sérénité. Au regard de votre communication, c’est le chemin inverse qui a d’emblée été emprunté.
Voilà quelques questions qui, bien qu’elles ne ramèneront pas Adama Traoré à la vie, auraient eu le mérite de montrer un respect posthume envers la victime et un respect présent à la douleur de la famille.
Je crains que vous ne vous posiez aucune de ces questions. Si cette crainte se confirmait, nous ferions en sorte qu’elles soient posées, fut-ce contre vous.
Le 19 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, Adama Traoré, un jeune de 24 ans, est mort une première fois. Quelques dizaines de minutes après avoir été interpellé par la gendarmerie, son décès était constaté et annoncé à la famille.
Quasi instantanément, comme pour orienter avec vigueur les regards vers la responsabilité de la victime elle-même et d’un malheureux concours de circonstances médicales, se produisit un schéma malheureusement habituel : la communication déployée en direction des médias, de façon anonyme ou de façon ouverte par vos soins, sombra dans ce qu’il est convenu en bon français de qualifier de mensonges, fussent-ils pour certains le fruit d’omissions.
De «lésions d’allure infectieuse» à «l’asphyxie»
Quel est l’enchaînement des circonstances ayant entraîné la mort d’Adama Traoré ? Nul ne le sait encore avec précision mais la question de la responsabilité des gendarmes ayant procédé à son interpellation est légitimement posée, que vous le vouliez ou non. C’est donc cette question que l’on a voulu écarter. Vous avez évoqué, sur la base d’une autopsie encore partielle, l’existence d’«une infection très grave touchant plusieurs organes» et l’absence de «traces de violences significatives». Autrement dit, et en contradiction avec les premières conclusions de l’autopsie – confirmées par la seconde autopsie – qui avait pourtant donné la cause de la mort, vous avez pris la responsabilité de taire ladite cause : l’asphyxie. En outre, la première autopsie ne parlait pas d’«une infection très grave touchant plusieurs organes» mais de «lésions d’allure infectieuse» sur deux organes. Je ne vous ferai pas l’injure de penser qu’il s’agit là d’une nuance dans votre esprit.Un homme est mort pendant le temps où il était aux mains de la gendarmerie – c’est-à-dire aux mains de la République – et vous vous précipitez devant la presse pour créer un écran de fumée entre la vérité d’un côté et la famille tout autant que l’opinion publique de l’autre.
Adama Traoré, mort dans des circonstances troubles qui commandaient une investigation guidée par la rigueur, le respect et la vérité, est en quelque sorte mort une seconde fois lorsque vous avez parlé du haut de votre autorité de représentant de la République.
Les questions à se poser
Alors, plutôt que ce réflexe de la construction a priori d’une impunité dans l’investigation, voici ce que vous auriez pu, monsieur le procureur, vous poser comme questions, et les forces de l’ordre avec.Pourquoi Adama Traoré s’est-il enfui à la vue de gendarmes? Une question qui n’est pas sans rappeler les décès de Zyed Benna et Bouna Traoré mais qui semble vous être suffisamment illégitime pour qu’elle n’appartienne pas à votre géographie mentale, pas plus qu’à celle de la police et de la gendarmerie.
Pourquoi les gendarmes ont-ils couru derrière Adama Traoré alors qu’il n’était pas concerné par l’opération en cours ? Car, bien loin de s’être interposé entre les gendarmes et des personnes en cours d’interpellation comme quelques sources l’ont initialement distillé auprès des médias, c’est à l’issue d’une course-poursuite qu’Adama Traoré a été interpellé.
Quel est le fondement de l’interpellation d’Adama Traoré? Le fait de courir est-il dans notre pays constitutif d’un délit nécessitant une interpellation aboutissant à un menottage à l’issue de l’utilisation de la technique du plaquage ventral?
Les techniques d’interpellation qui sont appliquées peuvent-elles entraîner la mort? L’on sait depuis longtemps, à travers notamment les conséquences de la technique du pliage, que la réponse est positive. Est-il alors normal, au-delà du cas d’Adama Traoré, que ces techniques puissent continuer à être employées?
Pourquoi les gendarmes, alors qu’Adama Traoré leur a indiqué qu’il étouffait et qu’il a perdu connaissance dans la voiture, n’ont pas immédiatement vérifié son état médical et emmené à l’hôpital une personne sous leur responsabilité? N’y a-t-il pas là non-assistance à personne en danger ?
De quoi Adama Traoré est-il mort ? Pour y répondre sereinement, il faut envisager toutes les hypothèses avec sérénité. Au regard de votre communication, c’est le chemin inverse qui a d’emblée été emprunté.
Ultime interrogation
S’il se confirmait qu’Adama Traoré était frappé d’une anomalie cardiaque ayant provoqué une crise cardiaque puis l’asphyxie, cause du décès, c’est avec appréhension que je vous imagine dans le triomphe malsain de celui qui aurait eu d’emblée raison d’écarter – même de façon subliminale – la responsabilité des gendarmes. Mais une autre perspective peut être dessinée. Pour cela, et afin que toute la lumière soit faite, il faudrait alors que vous vidiez cette dernière question : Adama Traoré serait-il mort à 24 ans, un certain 19 juillet, s’il n’avait pas croisé la route de ceux qui assistèrent à sa mort avec la bonne conscience des braves gens qui éprouvent le sentiment du devoir accompli ?Voilà quelques questions qui, bien qu’elles ne ramèneront pas Adama Traoré à la vie, auraient eu le mérite de montrer un respect posthume envers la victime et un respect présent à la douleur de la famille.
Je crains que vous ne vous posiez aucune de ces questions. Si cette crainte se confirmait, nous ferions en sorte qu’elles soient posées, fut-ce contre vous.
Les dernières minutes d'Adama Traoré
|Le Parisien 02 août 2016
par les gendarmes à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).
ENQUÊTE. Le scénario de l'interpellation musclée du jeune homme le 19 juillet dans le Val-d'Oise, avant qu'il ne succombe quelques instants plus tard, se précise. Les gendarmes assurent avoir utilisé la force nécessaire.
Adama Traoré est mort le 19 juillet dernier, le jour de son 24e anniversaire, dans la cour de la brigade de gendarmerie de Persan (Val-d'Oise). Depuis, sa famille ne cesse de réclamer la « vérité », estimant que son décès à la suite de son interpellation par les gendarmes à Beaumont-sur-Oise est une « bavure ». Sa mort, dans des circonstances qui restent encore inexpliquées, a provoqué plusieurs nuits d'émeute dans le secteur. Après une manifestation avortée samedi à Paris, d'autres rassemblements de soutien sont programmés. Alors qu'une information judiciaire pour recherche des causes de la mort a été ouverte par le parquet de Pontoise, le déroulement de ce funeste après-midi se précise.« Il tente de se soustraire au contrôle »
Ce 19 juillet, Adama Traoré n'est pas une cible pour les équipages du Psig (peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie, l'équivalent des brigades anticriminalité de la police) de L'Isle-Adam, contrairement à Bagui, l'un de ses frères, recherché dans le cadre d'une affaire d'extorsion. Sa photo a été diffusée aux équipages. Vers 17 h 15, trois gendarmes qui patrouillent en civil repèrent deux hommes dont l'un correspond au signalement de Bagui Traoré dans le centre-ville de Beaumont-sur-Oise. « Les deux individus nous reconnaissent et l'un des deux tente de se soustraire au contrôle [...] Voyant qu'il ne va pas être assez rapide, il lâche le vélo et continue en courant », détaille sur procès-verbal l'un des gendarmes. Alors qu'il n'est pas recherché, c'est Adama qui prend ainsi la fuite. Bagui, lui se laisse interpeller.
« Je le maîtrise sans le frapper »
Adama Traoré est vite rattrapé par un gendarme qui fait état de son refus d'obtempérer. « Je le maîtrise sans le frapper, sans utiliser mon arme ou un moyen de force intermédiaire », précise le sous-officier, rejoint par un collègue, chargé de raccompagner le fuyard menotté au véhicule. « Adama m'a demandé la possibilité de s'arrêter afin de reprendre son souffle, ce que j'ai accepté, explique ce dernier. Nous avons fait une pause de trente secondes, et il m'a dit que c'était bon [...] Il ne présentait aucun signe particulier de problème physique. »
A cause de cet arrêt impromptu, le gendarme se retrouve seul avec Adama Traoré lorsqu'il est pris à partie par un homme. « Comme il s'est trop approché de nous, je lui ai donné un coup de poing au visage pour le stopper car je pressentais le fait qu'il voulait libérer Traoré », relate le militaire. Adama en profite pour s'échapper à nouveau.
« On se trouvait à trois dessus »
Les trois gendarmes du second équipage du Psig apprennent les événements par la radio. Alors qu'ils se dirigent sur les lieux, ils découvrent que le suspect s'est réfugié dans un domicile privé. « Nous pénétrons dans le logement. Ce dernier est plongé dans l'obscurité [...]. Nous distinguons face à nous dans le salon une masse de forme humaine qui bouge enroulée dans un drap au pied du canapé. Nous comprenons instantanément qu'il s'agit de l'individu et nous nous portons à sa hauteur pour le maîtriser », relate le maréchal des logis-chef dans son PV d'interpellation. « Nous nous jetons sur lui avec mes deux collègues, précise le sous-officier lorsqu'il est interrogé dans le cadre de l'enquête. Il est virulent et s'oppose à son interpellation [...] Le gendarme G. a immobilisé les membres inférieurs en effectuant une clé de jambes. Pour ma part, avec le gendarme U. nous tentons de lui immobiliser les bras. » Et d'avancer : « Je n'ai porté aucun coup. Nous avons employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser mais il a pris le poids de notre corps à tous les trois au moment de son interpellation. » « On se trouvait à trois dessus pour le maîtriser avec la force strictement nécessaire à son immobilisation », complète un de ses collègues qui réfute pourtant une grosse pression.
« La tête qui part vers l'avant »
Les trois gendarmes en conviennent : Adama Traoré se plaint très rapidement de difficultés respiratoires. Il est néanmoins capable de marcher jusqu'au véhicule qui doit le ramener à la brigade de Persan. « Je ne constate aucun trouble physique apparent sur l'individu, pas même un essoufflement », se souvient le sous-officier. L'alerte vient du gendarme assis à ses côtés : « Arrivé devant le portail de la brigade [...] je remarque que la personne récupérée a la tête qui part vers l'avant. Je signale au chef que l'individu présente des signes d'un malaise. » A sa sortie du véhicule, Adama Traoré est inconscient et les gendarmes constatent qu'il a uriné sur le siège. Ils le placent aussitôt en position latérale de sécurité et prennent son pouls. « Mais en lui laissant les menottes dans le dos », s'indigne Me Yassine Bouzrou, l'un des avocats de la famille. Malgré l'arrivée rapide des pompiers puis du Samu, le coeur d'Adama Traoré ne repart pas. Son décès est prononcé à 19 h 5.
Des expertises au cœur de l'enquête
Malgré deux autopsies, la cause du décès d'Adama Traoré reste inexpliquée. Les deux rapports s'accordent sur une première chose : sa mort serait due à un « syndrome asphyxique » dont l'origine reste à déterminer. Second point de convergence : aucune trace de violences susceptibles d'avoir entraîné sa mort n'a été décelée.En revanche, plusieurs contradictions demeurent. Dans un premier temps, le procureur de la République de Pontoise, Yves Jannier, a indiqué que le jeune homme souffrait d'« une infection très grave ». Une déclaration imprudente puisque le premier légiste n'évoque que « des lésions d'allure infectieuse ». Les deux médecins du second collège d'experts notent, eux, « l'absence de point d'appel infectieux sévère ».
L'état du coeur d'Adama Traoré sera sans doute déterminant pour la suite de l'enquête. Dans le premier rapport, le légiste de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine) évoque « un coeur dont le poids se situe dans la limite supérieure de la normale », ce qu'un examen complémentaire a confirmé. Or ses confrères de l'Institut médico-légal de Paris ont relevé une « absence d'anomalie cardiaque macroscopiquement identifiable ».
Les deux expertises rappellent qu'il faudra attendre le résultat des analyses anatomopathologiques (examen des tissus) pour en savoir plus. Un premier rapport intermédiaire réalisé à Garches évoque une nouvelle piste, celle d'une maladie du muscle cardiaque. « L'examen anatomopathologique [...] a mis en évidence un ensemble lésionnel compatible avec une cardiomyopathie hypertrophique, qui est potentiellement la cause directe de la mort », explique son auteur qui parle d'une pathologie « susceptible de donner lieu à une mort subite par le biais d'un trouble du rythme ». « Ce n'est qu'un rapport intermédiaire qui ne parle que d'une compatibilité », nuance Me Bouzrou. « Au final, reprend le pénaliste, les deux autopsies confirment qu'Adama Traoré est mort par asphyxie et les déclarations des gendarmes indiquent clairement qu'il a subi une compression thoracique au moment de son interpellation. »
Les zones d'ombre qui entourent la mort d'Adama Traoré
Malgré deux autopsies, la mort du jeune homme, le 19 juillet, lors de
son interpellation dans le Val-d'Oise, reste en grande partie
inexpliquée. La famille dénonce une «bavure» et réclame la vérité.
Après ces nouvelles révélations, Le Figaro fait le point sur ce que l'on sait à cette heure sur la mort du jeune homme de 24 ans.
• Un syndrome asphyxique inexpliqué
Les conclusions des deux rapports d'autopsie sont formelles: le décès d'Adama Traoré est dû à un syndrome asphyxique sans toutefois pouvoir en déterminer la cause. Or celui-ci n'a à aucun moment été évoqué par le procureur Yves Jannier. Dans un premier temps, quelques heures après le décès d'Adama Traoré, le magistrat expliquera que le jeune homme est décédé à la suite d'un malaise. Plus tard, à la suite de la première autopsie, il sera alors question d'«une grave infection touchant les poumons, le foie et la trachée». Seulement, dans son rapport d'autopsie, le légiste évoque en fait «des lésions d'allures infectieuses», ce qui fait dire à Libération que «le procureur de Pontoise est donc allé trop vite». La contre-expertise viendra d'ailleurs écarter cette piste, concluant à «l'absence de point d'appel infectieux sévère».• Un plaquage ventral en question
La piste d'une bavure a immédiatement été avancée par la famille. Mais, selon les deux rapports d'autopsie, le corps ne porte aucune trace de violences susceptibles d'expliquer le décès. Les conditions d'interpellations du jeune homme posent néanmoins question. Adama Traoré aurait résisté à son interpellation et pris la fuite à deux reprises. Les gendarmes le retrouveront chez lui. Ils sont trois sur lui pour lui passer les menottes. D'après Le Monde, la technique décrite par l'un des gendarmes auditionné s'apparente à un plaquage ventral. «Cette technique entrave fortement les mouvements respiratoires et peut provoquer une asphyxie positionnelle», expliquait en mars dernier l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture dans un rapport sur les violences policières. C'est à partir de ce moment qu'Adama Traoré aurait présenté les premiers signes d'un malaise.• Une potentielle maladie cardiaque
Les circonstances du décès pourraient s'éclaircir avec les résultats de l'ensemble des analyses conduites sur le corps. Ils sont attendus d'ici la mi-août. Un premier rapport intermédiaire de l'examen anatomopathologique des prélèvements réalisés sur le cœur d'Adama Traoré a mis en évidence un ensemble de lésions compatibles avec une cardiomyopathie hypertrophique. Celle-ci «est potentiellement la cause directe de la mort», a expliqué vendredi le procureur de la République. Il s'agit d'une «pathologie cardiaque, pour laquelle il peut n'y avoir aucun signe avant-coureur», a précisé le magistrat. Selon Le Parisien, la première autopsie pointait «un cœur dont le poids se situe dans la limite supérieure de la normale». Mais la contre-expertise n'avait, elle, conclu à aucune anomalie cardiaque.![La famille d'Adama Traoré La famille d'Adama Traoré](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2016/07/23/img-4070.jpg?width=3264&height=2448&width_format=pixel&height_format=pixel)
Mort d’Adama Traoré : la communication sélective du procureur
LE MONDE
| |
Par Julia Pascual
Un « syndrome asphyxique aspécifique ». Derrière une expression un peu barbare
aux yeux du néophyte, la mort d’Adama Traoré a certainement trouvé son
origine. L’homme de 24 ans, décédé le 19 juillet à Beaumont-sur-Oise
(Val-d’Oise), lors de son interpellation par des gendarmes, a manqué
d’oxygène. C’est ce que constatent les rapports des deux autopsies
effectuées les 21 et 26 juillet, et que Le Monde a pu consulter. Ces rapports ne disent cependant pas ce qui a provoqué l’asphyxie.
Adama Traoré a-t-il manqué d’oxygène parce qu’il souffrait d’une pathologie cardiaque ? Ou parce que trois gendarmes l’ont plaqué au sol, en usant d’une technique dangereuse ? Est-ce la conjonction de sa probable maladie et de son immobilisation qui a précipité sa mort ?
Une instruction est en cours au tribunal de grande instance de Pontoise, qui vise à éclairer les circonstances de la mort. Mais
« la famille d’Adama Traoré va déposer une plainte pour violence
volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner », fait savoir au Monde l’avocat Me Yassine Bouzrou.
Pour Lassana Traoré, l’un des frères du jeune homme, les zones d’ombre sont trop nombreuses :
Il n’est alors pas question d’asphyxie, bien que le médecin légiste en fasse état. Son rapport signale aussi « des lésions d’allure infectieuse » au
niveau du foie et des poumons, mais rien quant à leur supposée gravité.
Au contraire, le médecin explique prudemment que des analyses
supplémentaires sont « souhaitables ».
En effet, le rapport d’autopsie décrit que les « lésions traumatiques très superficielles » n’ont joué aucun rôle dans le mécanisme de la mort. Mais, tout comme la première autopsie, celle-ci révèle plusieurs « abrasions » au niveau du front, du coude et de la main gauche, ainsi que de la poitrine. Surtout, le procureur ne fait, une fois de plus, pas état « des manifestations asphyxiques » pourtant détaillées dans la seconde autopsie.
Comment expliquer cette communication sélective ? « J’ai fait état des éléments saillants des différents comptes rendus, se justifie M. Jannier au Monde. Je
ne communique que pour fixer un certain nombre de points par rapport à
des informations qui circulent. Or, depuis le début, la famille a
indiqué qu’[Adama Traoré] avait fait l’objet de violence. »
M. Jannier insiste :
Grâce au signalement d’un témoin, trois gendarmes le localisent. Ils pénètrent alors dans l’appartement où Adama Traoré se cache. Un sous-officier présent explique que le jeune homme « résiste à son interpellation ». « Nous contrôlons avec le poids de notre corps l’homme afin de l’immobiliser », dit-il aussi. Un autre gendarme présent corrobore cette déclaration : « Il a commencé à se débattre et je lui ai fait une petite torsion de sa cheville gauche. Il a commencé à nous dire qu’il avait du mal à respirer. On se trouvait à trois dessus pour le maîtriser. » Ce même gendarme précise : « J’étais sur ses jambes. Mes deux autres collègues contrôlaient chacun un bras. » Cette technique correspond à un plaquage ventral.
Dans un rapport paru en mars, l’ONG française de défense des droits de l’homme Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) appelle à son interdiction car elle « entrave fortement les mouvements respiratoires et peut provoquer une asphyxie », un risque accentué par l’agitation dont peut faire preuve la personne interpellée lorsqu’elle suffoque et que les personnes renforcent la pression exercée sur elle. D’après l’ACAT, plusieurs morts ont été provoquées ces dernières années par cette technique.
Un examen anatomopathologique du cœur fait le 26 juillet, a permis de déceler un « ensemble lésionnel compatible avec une cardiomyopathie hypertrophique » chez Adama Traoré, c’est-à-dire une maladie du cœur pouvant être « potentiellement la cause directe de la mort ». A ce stade, rien ne permet cependant d’en être certain. Cette maladie a pu provoquer un arrêt cardiaque puis l’asphyxie d’Adama. Mais elle peut aussi y être totalement étrangère.
Elle peut encore expliquer une fragilité chez Adama Traoré, qui ne se serait pas révélée fatale si les gendarmes n’avaient pas plaqué le jeune homme au sol. Sa famille veut aujourd’hui obtenir des réponses.
Adama Traoré a-t-il manqué d’oxygène parce qu’il souffrait d’une pathologie cardiaque ? Ou parce que trois gendarmes l’ont plaqué au sol, en usant d’une technique dangereuse ? Est-ce la conjonction de sa probable maladie et de son immobilisation qui a précipité sa mort ?
Pour Lassana Traoré, l’un des frères du jeune homme, les zones d’ombre sont trop nombreuses :
« On est prêt à tout entendre à partir du moment où on nous dit la vérité. Mais alors que, dès la première autopsie, il est question d’asphyxie, le procureur n’en a jamais parlé. Pourquoi ? »Yves Jannier, procureur de la République de Pontoise, distille les informations avec parcimonie. Après la mort d’Adama Traoré, plusieurs communes ont connu des nuits d’affrontements entre jeunes et forces de l’ordre. Dans ce contexte tendu, le parquet a rapidement semblé vouloir écarter la piste de la bavure. Le 21 juillet, le procureur déclarait ainsi à l’Agence France-Presse (AFP) qu’Adama Traoré « avait une infection très grave », « touchant plusieurs organes » ; il précisait que l’autopsie n’a pas relevé de « trace de violence significative ».
Communication sélective
A la demande de la famille, une seconde autopsie est réalisée le 26 juillet par l’institut médico-légal de Paris. Le 28 juillet, le procureur déclare encore à l’AFP que « la nouvelle expertise ne fait état d’aucune trace de violence susceptible d’expliquer le décès ».En effet, le rapport d’autopsie décrit que les « lésions traumatiques très superficielles » n’ont joué aucun rôle dans le mécanisme de la mort. Mais, tout comme la première autopsie, celle-ci révèle plusieurs « abrasions » au niveau du front, du coude et de la main gauche, ainsi que de la poitrine. Surtout, le procureur ne fait, une fois de plus, pas état « des manifestations asphyxiques » pourtant détaillées dans la seconde autopsie.
M. Jannier insiste :
« Je ne sais pas si l’asphyxie est la cause de la mort, tout ceci est assez fragmentaire. Si on avait une conclusion précise, on la communiquerait. »Me Bouzrou n’est pas du même avis : « Nous allons faire une demande de dépaysement, compte tenu du fait que le procureur communique des éléments contraires aux constatations. » L’avocat veut sortir du ressort juridictionnel dans lequel travaillent les gendarmes qui ont interpellé Adama Traoré. Et dont l’attitude est précisée dans le cadre d’auditions et de procès-verbaux que Le Monde a pu consulter.
« A trois dessus pour le maîtriser »
Le 19 juillet à 17h15, à Beaumont-sur-Oise, des gendarmes interpellent d’abord le frère et la compagne du frère d’Adama Traoré dans le cadre d’une enquête sur une extorsion de fonds. Présent lors de la scène, Adama Traoré, décrit comme un « délinquant notoire » par les autorités – il est sorti de la prison de Fresnes quelques semaines auparavant –, prend la fuite. Il est rapidement rattrapé. Mais il parvient de nouveau à s’enfuir. Un appel radio est alors lancé, sollicitant des renforts pour le retrouver.Grâce au signalement d’un témoin, trois gendarmes le localisent. Ils pénètrent alors dans l’appartement où Adama Traoré se cache. Un sous-officier présent explique que le jeune homme « résiste à son interpellation ». « Nous contrôlons avec le poids de notre corps l’homme afin de l’immobiliser », dit-il aussi. Un autre gendarme présent corrobore cette déclaration : « Il a commencé à se débattre et je lui ai fait une petite torsion de sa cheville gauche. Il a commencé à nous dire qu’il avait du mal à respirer. On se trouvait à trois dessus pour le maîtriser. » Ce même gendarme précise : « J’étais sur ses jambes. Mes deux autres collègues contrôlaient chacun un bras. » Cette technique correspond à un plaquage ventral.
Dans un rapport paru en mars, l’ONG française de défense des droits de l’homme Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) appelle à son interdiction car elle « entrave fortement les mouvements respiratoires et peut provoquer une asphyxie », un risque accentué par l’agitation dont peut faire preuve la personne interpellée lorsqu’elle suffoque et que les personnes renforcent la pression exercée sur elle. D’après l’ACAT, plusieurs morts ont été provoquées ces dernières années par cette technique.
Maladie du cœur
Tel que le rapporte le sous-officier présent ce jour-là, Adama Traoré a bien signalé « avoir des difficultés à respirer ». Mais, au lieu d’appeler les secours, les trois gendarmes embarquent le jeune homme dans leur voiture et le conduisent à la gendarmerie, toute proche, pour « lui signifier sa garde à vue ». En y arrivant, Adama Traoré « s’assoupit et a comme une perte de connaissance », déclare un des gendarmes. « Quand on l’a sorti du véhicule, il était inconscient », confirme son collègue, qui explique aussi que, craignant qu’il simule, ils l’ont laissé menotté. Les secours sont dépêchés sur place, en vain. Le décès est déclaré peu après 19 heures.Un examen anatomopathologique du cœur fait le 26 juillet, a permis de déceler un « ensemble lésionnel compatible avec une cardiomyopathie hypertrophique » chez Adama Traoré, c’est-à-dire une maladie du cœur pouvant être « potentiellement la cause directe de la mort ». A ce stade, rien ne permet cependant d’en être certain. Cette maladie a pu provoquer un arrêt cardiaque puis l’asphyxie d’Adama. Mais elle peut aussi y être totalement étrangère.
Elle peut encore expliquer une fragilité chez Adama Traoré, qui ne se serait pas révélée fatale si les gendarmes n’avaient pas plaqué le jeune homme au sol. Sa famille veut aujourd’hui obtenir des réponses.
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Julia Pascual
Journaliste au Monde
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