« Les flux de migrants sont positifs pour les économies des pays d’accueil. Notre plus grand défi, c’est leur intégration. »
En commentant le rapport 2016 de l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) « Perspectives des migrations
internationales », Angel Gurria, son secrétaire général, a donné le ton.
Ce rapport devait être dévoilé lundi 19 septembre lors de la
« réunion de haut niveau pour gérer les mouvements massifs des réfugiés
et des migrants », qui se tient à New York entre chefs d’Etat et de
gouvernement en marge de l’Assemblée générale des Nations unies.
Alors que la crise des migrants a mis à mal la cohésion européenne et
multiplié les surenchères populistes nationales, la question de
l’impact économique des migrations – qu’elles soient pour des raisons
économiques, humanitaires ou familiales – demeure brûlante. La France
n’est pas en reste. Craintes pour l’emploi, angoisses sécuritaires sur
fond de menace terroriste, rejet dans les villes censées accueillir des
réfugiés… La défiance persiste, les doutes se multiplient.
Malgré le chômage, « des besoins non pourvus »
Pourtant, les chercheurs ne sont pas alarmistes. « L’effet de l’immigration sur le marché du travail ou les finances publiques est extrêmement faible », assure El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine.
« Pour la France, nous disposons désormais d’études très précises, réalisées à partir des déclarations sociales des entreprises. Les personnes immigrées occupent le plus souvent les postes pénibles, permettant aux natifs d’aller vers des emplois plus élaborés, donc mieux rémunérés. L’effet positif sur les salaires des natifs varie de 3 % à 5 %, selon les études », détaille M. Mouhoud.
Et ce, même en période de chômage de masse. « Même dans une économie avec 10 % de chômage, il y a des pénuries d’emplois. Le marché du travail n’est pas homogène », relève
M. Mouhoud. Selon l’OCDE, 28 % des entrées en emploi dans des
professions dites en déclin (artisanat…) sont le fait de migrants,
contre 15 % pour les professions en croissance, plus qualifiées.
« L’immigration répond à des besoins non pourvus », souligne Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l’OCDE.
En matière fiscale aussi, « les migrants contribuent en général
plus en impôts et cotisations sociales qu’ils ne perçoivent de
prestations individuelles », indique M. Dumont. Un argument à
relativiser pour la France, qui compte davantage d’immigrés âgés issus
d’arrivées plus anciennes. L’effet chez nous est seulement neutre.
Mais « dans la plupart des pays de l’OCDE, les migrants sont jeunes, ils utilisent peu les fonds de retraite ou maladie. Nos sociétés vieillissantes ont besoin d’eux », souligne M. Gurria.
D’autant que les migrations récentes tranchent avec le profil du
réfugié peu éduqué : 40 % des migrants syriens ont fini leurs études
secondaires et 15 % leurs études supérieures.
Effets importants au niveau local
Si les économistes sont sereins sur le sujet, pourquoi reste-t-il aussi inflammable ? « Ceci
est en partie dû au sentiment que les flux migratoires sont très élevés
et que les pays ont perdu le contrôle sur la gestion de ces flux », estime le rapport de l’OCDE.
En 2015, les pays développés comptaient 4,8 millions de nouveaux
migrants permanents (ayant obtenu un droit d’installation dans un pays),
un record depuis 2007. Mais c’est seulement 0,4 % des populations de
ces Etats.
La France a enregistré l’an dernier 73 500 demandeurs d’asile, issus
majoritairement du Soudan, de Syrie et du Kosovo. Un plus haut
historique qui correspond à… 0,1 % de la population. Et encore, cette
augmentation s’explique-t-elle essentiellement par l’effort des
autorités pour convaincre les immigrés de demander l’asile en France
plutôt que de continuer leur route jusqu’au Royaume-Uni.
Autre explication à la peur de l’immigré : « L’impact de la migration n’est pas le même pour tout le monde »,
note Stefano Scarpetta, directeur de la division emploi, travail et
affaires sociales à l’OCDE. Les immigrés se concentrent presque toujours
dans des zones urbaines spécifiques, souvent les plus défavorisées.
Les effets au niveau local peuvent donc être beaucoup plus forts
qu’au niveau national, aggravant des problèmes structurels et
d’infrastructures en matière de logement, de transports ou d’éducation.
« Intégrer 12 000 personnes [l’objectif du gouvernement pour évacuer les réfugiés de Calais],
soit à peine plus de 100 personnes par département, ce n’est rien !
Mais la question ne se pose évidemment pas en ces termes », admet M. Dumont. « On
ne peut pas décider d’une répartition sur la base du nombre de places
d’hébergements sans prendre en compte les perspectives d’emploi », abonde M. Scarpetta.
De fait, même pour les économistes, tout n’est pas idyllique.
« Même s’il n’a pas d’effet sur l’emploi lui-même, l’afflux d’immigrés peut avoir des effets négatifs sur le salaire médian des natifs travaillant dans des secteurs peu qualifiés, comme le bâtiment pour les travaux publics. Il s’agit souvent des travailleurs issus d’une vague d’immigration précédente », indique M. Mouhoud.
Distinguer court et long termes
C’est peut-être là le nœud du problème : en matière d’immigration, il
faut distinguer court et long termes. Et raisonner en termes
d’investissement. Contrairement à un migrant économique, qui trouve un
emploi dès son arrivée, un réfugié constitue initialement un coût. « Mais
ce coût peut être compensé par une meilleure qualification et une
productivité plus élevée si l’on met en place une véritable politique
d’accueil », note M. Mouhoud. Apprentissage de la langue,
reconnaissance des compétences, scolarisation des enfants : autant de
clés qui permettent d’accélérer l’intégration des migrants et de
multiplier leurs chances de contribuer à l’économie.
Les « bons élèves » en la matière, selon l’OCDE ? La Suède ou le Canada. La France, elle, reste à la traîne. « Si
les immigrés avaient, par âge, sexe et niveau d’éducation, le même taux
d’emploi que les natifs, le gain fiscal serait de plus d’un demi-point
de PIB. Investir dans l’intégration est rentable ! », martèle M. Dumont.
Selon lui, la France manque d’une politique d’intégration à long
terme, par exemple en impliquant les employeurs pour aider les migrants à
décrocher un premier emploi. Plus profondément, regrette M. Mouhoud,
« nous restons incapables d’avoir un débat rationnel sur l’immigration.
Tous les problèmes structurels de la société française sont ramenés à
cette question ». Et d’évoquer les lacunes de la politique d’aménagement du territoire, la crise des banlieues…
« Si l’immigration est bien gérée, il n’y a pas de raison d’en avoir peur. Mais il est très difficile en France de poser les termes d’un débat apaisé, qui ne se contente pas de relayer les craintes de la population » déplore M. Dumont.
A sept mois de l’élection présidentielle, cette situation a malheureusement peu de chances d’évoluer.
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Audrey Tonnelier
Journaliste au Monde
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