L’Italie refuse désormais d’accueillir dans ses ports le bateau humanitaire «Aquarius» avec quelque 600 migrants à son bord.
Ce n’est pas seulement une rime : Aquarius, Exodus… Le gouvernement italien vient d’annoncer par la voix de son ministre de l’Intérieur Matteo Salvini (Ligue) que l’Italie refusait désormais d’accueillir dans ses ports le bateau humanitaire Aquarius avec quelque 600 migrants à son bord.
Il a enjoint aux autorités de Malte de laisser le bateau amarrer dans
l’île, mais le gouvernement maltais a rétorqué qu’il n’avait rien à voir
dans cette affaire et qu’il refusait de laisser entrer l’Aquarius. En 1947, un bateau affrété par la Haganah, la branche militaire du mouvement sioniste et rebaptisé Exodus,
en référence à l’exode des Juifs en Egypte aux temps bibliques,
transportant plusieurs milliers de rescapés de la Shoah, avait été
arraisonné par la marine britannique et interdit de débarquer en
Palestine, but de son voyage. Le gouvernement britannique, pour ménager
les Etats arabes, avait promis d’interrompre l’immigration des juifs
d’Europe en Palestine. Le sort de ces passagers misérables, errant sur
les mers, avait touché le monde entier et favorisé, par l’émotion
suscitée, le vote d’une résolution de l’ONU prévoyant un partage de la
terre palestinienne entre Juifs et Arabes, ce qui conduisit à la
création de l’Etat d’Israël en 1948. Aquarius, Exodus : comment ne pas faire la comparaison?
Point Godwin, dira-t-on : le sort des Juifs d’Europe pendant la
guerre et celui des migrants d’aujourd’hui ne sauraient être comparé.
Certes. Mais beaucoup des migrants recueillis à bord de l’Aquarius
viennent de Libye. Or on connaît le sort de ces réfugiés dans la Libye
anarchique et violente. Beaucoup sont pris en otage à des fins de rançon
par des bandes sans scrupule, torturés, violés. Les conditions de
détention dans ce pays sont souvent inhumaines. On a même détecté la
présence dans certaines villes libyennes de «marchés aux esclaves» modernes,
qui évoquent un passé en principe révolu. Point d’extermination ni de
massacre de masse, bien sûr, distinguons les situations. Mais une
violation systématique, cruelle, barbare parfois, des droits humains les
plus élémentaires. Sur ce plan-là, et sur ce plan seulement, les
situations de l’Exodus et de l’Aquarius finissent par se ressembler.
La fermeture des ports au navire humanitaire, comme le rappelle l’opposition italienne, est totalement contraire au droit maritime et aux conventions internationales, qui prévoient l’accueil impératif des naufragés en mer. L’Italie dirigée par la coalition populiste Ligue-Cinq étoiles leur tourne le dos : immense régression. Il est vrai que l’Italie n’est pas seule responsable. Salvini a beau jeu de rappeler que d’autres pays européens manquent à leurs obligations et ferment autant que possible leurs frontières aux migrants. Du coup l’Italie, comme la Grèce, pour des raisons de proximité géographique, supporte la charge principale de l’accueil des migrants venus du sud de l’Europe. C’est l’impuissance de l’Union à organiser un accueil coordonné qui porte la principale responsabilité de cette situation. Que cette impuissance perdure et la comparaison Exodus-Aquarius deviendra de plus en plus pertinente.
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La fermeture des ports au navire humanitaire, comme le rappelle l’opposition italienne, est totalement contraire au droit maritime et aux conventions internationales, qui prévoient l’accueil impératif des naufragés en mer. L’Italie dirigée par la coalition populiste Ligue-Cinq étoiles leur tourne le dos : immense régression. Il est vrai que l’Italie n’est pas seule responsable. Salvini a beau jeu de rappeler que d’autres pays européens manquent à leurs obligations et ferment autant que possible leurs frontières aux migrants. Du coup l’Italie, comme la Grèce, pour des raisons de proximité géographique, supporte la charge principale de l’accueil des migrants venus du sud de l’Europe. C’est l’impuissance de l’Union à organiser un accueil coordonné qui porte la principale responsabilité de cette situation. Que cette impuissance perdure et la comparaison Exodus-Aquarius deviendra de plus en plus pertinente.
Migrants : l’Italie avait-elle le droit de fermer ses ports à l’«Aquarius» ?
Le
ministre de l’intérieur italien a refusé l’entrée du navire
humanitaire, et à ses 629 passagers, dans ses ports. Madrid propose de
l’accueillir.
LE MONDE
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Par Delphine Bernard-Bruls
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L’Espagne a annoncé, lundi 11 juin, être prête à accueillir l’Aquarius, le navire de l’ONG française SOS-Méditerranée immobilisé entre les îles sicilienne et maltaise. L’Italie et Malte ont successivement renoncé à ouvrir leurs eaux territoriales, et a fortiori leurs ports, à ce bateau et ses 629 passagers partis de Libye.
A quelles conditions peut-on opposer un tel refus ? La convention des Nations unies du droit de la mer recèle quelques ambiguïtés.La localisation est primordiale
Tout d’abord, la localisation du navire humanitaire est capitale, note Thibault Fleury-Graff, professeur de droit public, spécialiste du droit international et des migrations à l’université Rennes-I et membre du collectif Les Surligneurs.Selon que le bateau se trouve dans les eaux territoriales (jusqu’à 12 milles marins des côtes, soit 22,2 kilomètres) d’un Etat ou dans les eaux internationales, des juridictions différentes s’appliquent.
« L’Aquarius a reçu l’instruction du centre de coordination des secours maritimes italien (IMRCC) de rester en stand-by à sa position actuelle, soit 35 milles nautiques de l’Italie et 27 milles nautiques de Malte », a tweeté l’ONG SOS-Méditerranée dimanche dans la nuit.
La position géographique du bateau incarne l’enjeu de la tension entre Malte et l’Italie. Conformément à la convention Search and Rescue (SAR) de 1979, dont l’objectif est de coordonner la recherche et le secours en mer, chaque Etat est doté d’une zone de recherche des navires en détresse.
La notion de « passage inoffensif »
« Les Etats sont obligés de coopérer pour trouver une place sûre pour débarquer les migrants secourus dans leur zone de recherche et de sauvetage », a expliqué le porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Leonard Doyle, citant des experts juridiques.Le problème, c’est que l’Aquarius a passé la journée de lundi dans une zone SAR commune à Rome et La Valette. Cela peut expliquer le fait que l’Italie et Malte se soient renvoyé la balle.
Le ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, n’a pas mis de texte juridique en avant pour appuyer sa décision d’interdire à l’Aquarius l’accès à ses ports.
Selon M. Fleury-Graff, c’est la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay (1982), qui fait autorité. Celle-ci régit notamment le droit au « passage inoffensif dans la mer territoriale ».
L’article 17 de cette convention dispose que « les navires de tous les Etats (…) jouissent du droit de passage inoffensif dans la mer territoriale ». Les articles 18 et 19 définissent cette notion de « passage inoffensif ». Mais ils laissent place à « une certaine ambiguïté », selon M. Fleury-Graff.
« Zone grise du droit »
A propos de l’arrimage de navires dits « inoffensifs », le premier article dispose qu’« on entend par “passage” (…) se rendre dans les eaux intérieures ou les quitter, ou faire escale dans une (…) installation portuaire ou la quitter. (…) Le passage comprend l’arrêt et le mouillage, mais seulement (…) par suite d’un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en détresse. »Les 600 migrants à bord du navire ayant été secourus, ils pourraient ne plus être considérés, par les autorités italiennes, comme étant en situation de détresse.
L’Aquarius est-il « inoffensif » ? « C’est là que l’interprétation de Rome devient capitale : on est dans une zone grise du droit », estime le spécialiste de l’asile et de l’immigration. En droit international, « le passage est inoffensif tant qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’Etat côtier », selon l’article 19 de la convention de Montego Bay. Ces atteintes peuvent concerner la menace de son « intégrité territoriale ou [son] indépendance politique », mais également ses « règlements (…) d’immigration ».
Le navire de SOS-Méditerranée enfreint-il ces règles internationales ? C’est ce que semble penser M. Salvini, qui a déclaré, vendredi 8 juin, que les ONG intervenant en Méditerranée agissaient « comme des taxis ». Convaincu que « certaines [ONG] font du bénévolat » mais que « d’autres font des affaires », il a réclamé une intervention de l’OTAN. Avant de prendre les devants vingt-quatre heures plus tard.
« Relocalisation » des migrants : la France a-t-elle tenu ses engagements vis-à-vis de l’Italie ?
Le
gouvernement italien, fustigé par l’exécutif français pour son refus
d’accueillir l’« Aquarius », renvoie la France à sa promesse de prendre
en charge près de 20 000 migrants arrivés en Italie et en Grèce.
LE MONDE
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Par Les Décodeurs
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« Le pays le plus en tort par rapport à nous, c’est la France. » Accusé, mardi 12 juin, par le gouvernement français d’être cynique et irresponsable parce qu’il a refusé d’accueillir l’Aquarius, un bateau de l’ONG SOS-Méditerranée avec 629 migrants secourus à son bord, le ministre de l’intérieur d’extrême droite italien, Matteo Salvini, n’entend pas « accepter de leçons hypocrites de pays ayant préféré détourner la tête en matière d’immigration ».
Et de poursuivre :« [La France] n’a pris jusqu’à présent que 640 migrants quand elle s’était engagée pour 9 610 personnes. »Une référence au programme de relocalisation des demandeurs d’asile mis en place en 2015 par la Commission européenne, pour faire face à la crise migratoire. En raison de l’afflux massif de migrants en Italie et en Grèce cette année-là, la Commission avait décidé de contourner la « procédure Dublin », qui oblige les migrants à déposer leur demande d’asile dans le premier pays où ils arrivent, et de répartir dans les différents Etats membres (et dans d’autres pays volontaires, comme la Suisse ou la Norvège) les demandes de près de 100 000 migrants.
La France n’a pas atteint ses objectifs vis-à-vis de l’Italie
Les chiffres cités par M. Salvani correspondent, dans l’ensemble, à la réalité : d’après les derniers chiffres de la Commission européenne, datant de mai 2018, la France aurait accueilli seulement 635 migrants arrivés en Italie… alors qu’elle s’était engagée à en recevoir 7 115, soit moins de 9 % de son quota.« La relocalisation à partir de l’Italie n’a pas très bien fonctionné parce qu’une fois arrivés là, les migrants peuvent repartir seuls vers l’Europe du Nord », rappelle le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), Pascal Brice, qui observe ainsi pourquoi ces derniers n’ont pas souhaité entrer dans le dispositif.
Les populations qui traversent l’Italie comptent beaucoup de Soudanais et d’Erythréens, deux nationalités dont les communautés sont nombreuses en Europe du Nord et au Royaume-Uni, mais pas vraiment en France. A ce point s’ajoute le fait que les Italiens ont attendu 2016 pour autoriser la France à venir dans les centres d’accueil (les « hot spots ») sur son territoire.
De meilleurs résultats concernant les migrants arrivés en Grèce
En revanche, l’Ofpra a très tôt pu se rendre en Grèce et entendre des migrants éligibles à l’asile, afin de leur proposer une relocalisation en France. L’Ofpra a pu travailler en continu à Athènes, ce qui explique, en partie, le fait que les engagements français vis-à-vis des Grecs aient été mieux tenus.L’engagement de la France vis-à-vis de la Grèce pourrait d’ailleurs être amené à évoluer : près de 16 000 personnes sont encore en attente de prise en charge en Grèce.
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