lundi 14 janvier 2019

Quota annuel sur l'immigration : Macron réveille le grand fantasme de la droite




 
Dominique Sopo,Président de SOS Racisme

"La lettre d'Emmanuel Macron précisant les contours du débat national a opportunément fuité. Elle intègre comme nous le craignions la thématique de l'immigration, en laissant lourdement sous-entendre que nous accueillions trop d'immigrés et que ces derniers et leurs enfants n'étaient pas suffisamment "intégrés". Propos graves et irresponsables qui sonnent comme une diversion nauséabonde. Petite info: la lettre d'Emmanuel Macron ferme la porte au rétablissement de l'ISF et à la suppression de l'augmentation de la CSG pour les retraités. Nous le répétons : nous n'accepterons pas que les immigrés et leurs enfants soient les boucs émissaires que le pouvoir a choisis pour détourner l'attention de sa politique fiscale injuste."
 
En reprenant une idée de la droite dure, éloignée des principes républicains et européens, le chef de l'Etat espère sans doute diviser les "gilets jaunes".

Par Pascal Riché
L'OBS, Publié le 14 janvier 2019

Emmanuel Macron s’était jusque-là bien gardé de se positionner de façon tranchée sur l’immigration, sujet qu’il sait complexe et passionnel, deux traits qui se marient généralement mal. Dans sa lettre aux Français, il jette pourtant une grenade dans le grand débat qui s’ouvre : "En matière d'immigration, une fois nos obligations d'asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ?" Comprendre : faut-il fixer un quota annuel d’immigrés ?

Cette idée n’était pas dans son programme de campagne, mais dans celui de la droite dure. Macron, lui, jouait alors plutôt sur le registre de "l'éthique de l'hospitalité" chère à son maître affiché Paul Ricœur. Seuls Marine Le Pen et François Fillon la défendaient. Le candidat LR entendait faire voter chaque année des plafonds selon l’origine géographique des immigrés. La dirigeante du FN, elle, avait même chiffré cet objectif annuel à 10.000 (vingt fois moins qu'aujourd'hui). Sans vergogne, elle avait repris la théorie conspirationniste du "grand remplacement", qui trouve aujourd’hui un écho chez une partie des "gilets jaunes".

L’immigration, avait-elle dit, est "volontairement accélérée dans un processus fou dont on se demande s'il n'a pas pour objectif le remplacement pur et simple de la population française". Une bonne grosse "fake news" : le solde migratoire est stable depuis trente ans et l'immigration est moindre qu’en Allemagne, qu’en Espagne ou qu’au Royaume-Uni.

La question posée aux Français par Macron est d’autant plus curieuse que, jusque-là, les "gilets jaunes" n’avaient pas fait de l’immigration un thème central de leurs doléances, à la surprise (voire au grand dam) de ceux qui cherchaient à les dépeindre comme de simples frontistes qui s’ignorent. Mais l’intention du président est sans doute de chercher de ce côté-là : réveiller ce débat clivant ne manquera pas de diviser le mouvement. On voit mal La France insoumise, par exemple, endosser l’idée d’un plafonnement chiffré du nombre d’immigrés. "Vous pouvez inventer des quotas, il y aura toujours quelqu'un qui passe à côté. Vous le jetez à la mer ?" avait lancé Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen lors d’un débat pendant la campagne.

Contraire à la tradition républicaine

A la différence des Etats-Unis, qui avaient instauré des quotas dès les années 1920 pour limiter l’arrivée de migrants d’Europe centrale (non sans arrières-pensées antisémites), la France ne s’est jamais engagée sur cette voie jugée peu conforme aux principes républicains. Puis, à partir des années 2000, la droite classique a commencé à caresser l'idée. Nicolas Sarkozy, chantre de l'immigration "choisie" et non "subie", l’a évoquée à plusieurs reprises, sans l’appliquer quand il est devenu président.

Car à partir du moment où l’on met le doigt dans le chiffrage des entrées, les questions pratiques et éthiques commencent. Que chiffrer exactement ? Faut-il des quotas par pays d’origine ? Si oui, quels pays privilégier par rapport aux autres ? Et pour quelles raisons ? Comment concilier ce "tri" avec les droits fondamentaux, et notamment le principe "d’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race et de religion" prévu dès l'article 1 de la Constitution ? Faudra-t-il, parce que le "quota" est atteint, bloquer des regroupements familiaux légitimes et ruiner ainsi la vie de ménages ? Ce serait pour le coup contraire au préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celle de 1958 : "La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement"...

En janvier 2008, le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux avait confié à l’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud la tâche d’examiner la question. Sa commission avait rendu une copie tranchée [PDF] :

""Une politique de contingents migratoires limitatifs serait sans utilité réelle en matière d'immigration de travail, inefficace contre l'immigration irrégulière et, s'agissant des autres flux, incompatibles avec nos principes constitutionnels et nos engagements européens et internationaux.""

La Commission Mazeaud soulignait enfin la vacuité d’une politique rigide et purement hexagonale :
""Une meilleure maîtrise de l'immigration doit être recherchée par des voies empiriques et multiformes, en étroite concertation avec nos partenaires européens, plutôt que dans des recettes radicales purement nationales.""

Imaginer qu’on puisse aujourd’hui infléchir la politique d'immigration hors du cadre de l'Union européenne, jugeaient déjà ces experts il y a plus de dix ans, relevait en effet du fantasme. C’est encore plus vrai en 2019.
Pascal Riché

Pascal Riché

Journaliste

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