Face au cataclysme provoqué dans les écuries politiques et présidentielles par le succès du Front National de Marine Lepen au premier tour des élections cantonales, devons-nous nous en inquiéter autant qu’ils le disent? Serions nous forcément visés dans l’attraction exercée par la Madone frontiste auprès d’une certaine frange déboussolée de l’électorat français? Est-ce notre problème?
Autant de questions qui feraient oublier la réalité humaine et cosmopolite d’un pays attachant, puissance économique et mondiale, dans lequel l’écrasante majorité de la population a un bon fond (comme on dit familièrement). Alors pourquoi succomberait-elle plus aujourd’hui que sous Jean-Marie LePen, aux sirènes du Front National version Marine Lepen?
Indéniablement la fille apporte une fraîcheur esthétique qu’on peine à retrouver dans les autres familles politiques, où les nouveaux hierarques généralement présentés comme la jeune génération semblent aussi imbus d’eux-mêmes et rompus à la langue de bois que certains illustres aînés. Pourtant si le Front national propose une jouvence cosmétique à travers la figure de Marine Lepen, son fond idéologique reste fondamentalement inchangé. Le ravalement de la façade frontiste avec les références à Jean Jaurès, à la laïcité, ou à la solidarité nationale…dissimule la motivation restée intacte d’un électorat désormais décomplexé.
En effet, comme il y a une vingtaine d’années, lorsque l’électeur frontiste n’accable pas les partis de gouvernement (le fameux UMPS) et leurs dirigeants jugés (seuls) responsables de son égarement dans l’urne; il incrimine en bloc la précarité sociale et économique, l’union européenne, la mondialisation (avec sa cohorte de délocalisations), l’ouverture des frontières, l’insécurité et les étrangers….Ces deux-là allant évidemment de pair avec l’obsession d’une France qui aurait perdu ses valeurs, sa vraie identité (nationale), et serait menacée d’envahissement par des hordes d’étrangers (lesquels?), qui prendraient inévitablement la place des vrais et bons français (sous-entendus les bleus marins).
Une sorte de péril étranger en la demeure française, qui nous laisse pantois
Parce que rien ne justifie de redouter plus qu’avant, ce qui nous est présentée aujourd’hui comme la nouvelle poussée électorale du front national. L’arrivisme ou le carriérisme effréné (qui touche toutes les formations politiques), l’escalade du discours réactionnaire officiel, l’incessant durcissement de la législation sur les étrangers, la persistance du conditionnement identitaire et racial…sont des lieux communs de la France de 2011. Le Front National de Marine LePen agit simplement comme un miroir grossissant et surfe remarquablement sur cette triste réalité, sans pour autant apporter la moindre solution à la misère humaine, aux difficultés socio-économiques, à la peur du déclassement des classes moyennes…qui s’amplifient et s’installent durablement dans les villes et les campagnes de France.
Bref la peur de perdre son statut social (pour les frontistes, son statut racial) aurait donc changé de camp. Longtemps cantonné aux anciens et nouveaux arrivants, elle semble progressivement gagner les autochtones (les français dits de souche), à mesure que le référent culturel qui opérait pour eux comme un rempart identitaire et sécuritaire à l’égard des descendants d’indigènes, s’est démocratisé et mondialisé, au point de mettre le concept d’assimilation à nu: plus que jamais un déni du droit à la différence et de la diversité française.
La France officielle ne correspond plus à la France réelle
Et on se prend à rêver que le spectre agité d’une poussée électorale du Front National contraigne enfin la France officielle à une exigence de représentativité réelle.
Car on ne peut pas en permanence manier la condamnation du Front National et des dérapages xénophobes de tel ou tel officiel, pour ne point remarquer qu’ils prospèrent d’abord sur l’amalgame soigneusement entretenu entre le faciès prêté aux populations indexées, leur supposée religion (Islam) et le statut d’étranger qui leur est généralement accolé.
La sous-représentativité des français issus de l’immigration maghrébine, noire africaine, asiatique dans les instances de décision ou de représentation de l’État français entretient le cliché de femmes et d’hommes venus de loin, incapables ou indignes de représenter la vraie France, d’avoir des convictions intrinsèques. Très souvent cette marginalisation se fait au nom du Peuple français, supposé moins disposé à voir des citoyens français de couleur occuper des postes de responsabilité. C’est comme si certains français évoluaient sur une planète imaginaire où ils cotoyeraient uniquement des créatures bleues marines… Ce n’est plus le cas nulle part dans l’Hexagone, y compris au sein du Front National de Marine Lepen.
Pour terminer, à un Front National qui se trompe dans le diagnostic et dans la thérapie proposés aux français, opposons la réalité d’une France plurielle dans laquelle la fonction de représentation ne peut être assignée à certains, chargés uniquement de s’indigner pour le compte ou au nom des autres…les éternels invisibles, dont on dit pourtant trop visibles au quotidien, au point d’empêcher les (vrais) français de ne plus se sentir chez eux en France.
Une France à laquelle nous sommes individuellement attachés, et qui nous donne collectivement vocation à la mettre à l’abri de toutes les formes d’intolérances. Notamment celles qui lui font courir à sa perte.
Je vous remercie
Joël Didier Engo
Patrick Weil: «L'immigration n'est pas une chance, c'est un fait»
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