Discours prononcé lors des
commémorations de la Rafle du Vel'd'Hiv' - 16 juillet 1995
1995
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président,
Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le Grand Rabbin,
Mesdames, Messieurs,
Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui
blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays.
Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce
que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler
l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la
tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme
et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de
honte.
Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français.
Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis.
Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.
On verra des scènes atroces : les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards - dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France - jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police.
On verra, aussi, des policiers fermer les yeux, permettant ainsi quelques évasions.
Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l'enfer. Combien d'entre-elles ne reverront jamais leur foyer ? Et combien, à cet instant, se sont senties trahies ? Quelle a été leur détresse ?
La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.
Conduites au Vélodrome d'hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l'on sait, d'être dirigées sur l'un des camps de transit - Pithiviers ou Beaune-la-Rolande - ouverts par les autorités de Vichy.
L'horreur, pourtant, ne faisait que commencer.
Suivront d'autres rafles, d'autres arrestations. A Paris et en province. Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n'en reviendront pas.
Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.
La Thora fait à chaque juif devoir de se souvenir. Une phrase revient toujours qui dit : "N'oublie jamais que tu as été un étranger et un esclave en terre de Pharaon".
Cinquante ans après, fidèle à sa loi, mais sans esprit de haine ou de vengeance, la Communauté juive se souvient, et toute la France avec elle. Pour que vivent les six millions de martyrs de la Shoah. Pour que de telles atrocités ne se reproduisent jamais plus. Pour que le sang de l'holocauste devienne, selon le mot de Samuel Pisar, le "sang de l'espoir".
Quand souffle l'esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l'exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d'une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais.
En la matière, rien n'est insignifiant, rien n'est banal, rien n'est dissociable. Les crimes racistes, la défense de thèses révisionnistes, les provocations en tout genre - les petites phrases, les bons mots - puisent aux mêmes sources.
Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'oeuvre.
Cet incessant combat est le mien autant qu'il est le vôtre.
Les plus jeunes d'entre nous, j'en suis heureux, sont sensibles à tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de Français décidés à regarder bien en face leur passé.
La France, nous le savons tous, n'est nullement un pays antisémite.
En cet instant de recueillement et de souvenir, je veux faire le choix de l'espoir.
Je veux me souvenir que cet été 1942, qui révèle le vrai visage de la "collaboration", dont le caractère raciste, après les lois anti-juives de 1940, ne fait plus de doute, sera, pour beaucoup de nos compatriotes, celui du sursaut, le point de départ d'un vaste mouvement de résistance.
Je veux me souvenir de toutes les familles juives
traquées, soustraites aux recherches impitoyables de l'occupant et
de la milice, par l'action héroïque et fraternelle de nombreuses
familles françaises.
J'aime à penser qu'un mois plus tôt, à Bir
Hakeim, les Français libres de Koenig avaient héroïquement tenu,
deux semaines durant, face aux divisions allemandes et italiennes.
Certes, il y a les erreurs commises, il y a les
fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une
certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses
traditions, à son génie. Cette France n'a jamais été à Vichy.
Elle n'est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les
sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle
est à Londres, incarnée par le Général de Gaulle. Elle est
présente, une et indivisible, dans le coeur de ces Français, ces
"Justes parmi les nations" qui, au plus noir de la
tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l'écrit Serge
Klarsfeld, les trois-quarts de la communauté juive résidant en
France, ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur. Les valeurs
humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui
fondent l'identité française et nous obligent pour l'avenir.
Ces valeurs, celles qui fondent nos démocraties,
sont aujourd'hui bafouées en Europe même, sous nos yeux, par les
adeptes de la "purification ethnique".
Sachons tirer les
leçons de l'Histoire. N'acceptons pas d'être les témoins passifs,
ou les complices, de l'inacceptable.
C'est le sens de l'appel que j'ai lancé à nos
principaux partenaires, à Londres, à Washington, à Bonn. Si nous
le voulons, ensemble nous pouvons donner un coup d'arrêt à une
entreprise qui détruit nos valeurs et qui, de proche en proche
risque de menacer l'Europe tout entière.
Quand l'Histoire d'une grande démocratie (grande nation de surcroît) est marquée par une pareille horreur humaine, la repentance doit aller de soi.
Les hésitations et tergiversations officielles n'honorent pas la France. Bien au contraire...
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