Vidéo: "Malcolm X, aux noms de l'identité noire", un documentaire de France Ô
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Assassiné le 21 février 1965, Malcolm X a connu plusieurs vies. Cinquante ans après sa mort, ce révolutionnaire africain-américain continue de vivre à travers les clips, les films et les livres. Une récente biographie apporte des éclairages nouveaux sur le parcours du leader charismatique du nationalisme noir.
Par Tirthankar Chanda, RFI
Dimanche, 21 février 1965. Il y a cinquante ans tombait sous les balles de ses adversaires Malcolm X,
l’une des principales icônes de la lutte africaine-américaine pour la
dignité et contre la suprématie blanche. Orateur charismatique, l’homme
venait de prendre la parole dans une salle de spectacle de Harlem, à New
York (Etats-Unis), quand, à la faveur d’un brouhaha provoqué pour faire
diversion, trois hommes ouvrent le feu sur lui. Malcolm s’effondre,
mortellement touché. Les trois tueurs,
dont deux réussirent à échapper avant d’être finalement appréhendés par
la police, étaient tous membres de la secte Nation of Islam (NOI).
Malcolm X savait que sa vie était en danger depuis que les tensions
avaient éclaté entre lui et la NOI dont il avait fait longtemps partie :
rivalités personnelles, divergences religieuses et idéologiques avec
les dirigeants, notoriété de plus en plus grande pour Malcolm X… Avant
de commencer son discours, ce dernier avait pourtant persuadé son
service de sécurité de ne pas faire preuve de zèle car il craignait
qu’un dispositif de contrôle trop contraignant ne chasse son auditoire.
Il avait même renvoyé de la tribune les orateurs vedettes qui l’avaient
précédé, comme s’il voulait aller seul vers son destin. Selon ses
biographes, Malcolm X avait déclaré à ses proches, seulement quelques
jours avant sa mort, que « dans sa famille, les hommes ne mouraient pas de mort naturelle ». Et ce qui devait arriver arriva.
Accoutumance à la violence
Est-ce parce qu’il avait été trop accoutumé à la violence que Malcolm
X n’avait pas pris au sérieux les menaces de mort qui planaient sur
lui ? Né en 1925 à Omaha (Nebraska) dans une famille très engagée dans
le mouvement de libération des Noirs, Malcolm avait vu pendant son
enfance sa maison brûler suite à une attaque punitive des hommes du Ku
Klux Klan. En 1931, son père Earl Little, pasteur baptiste et disciple
de Marcus Garvey qui militait pour le retour des Noirs d’Amérique en
Afrique, était assassiné par des proches de l’organisation suprémaciste
blanche. Le père Little mourut dans des conditions épouvantables (il fut
poussé sous un tramway et son corps fut coupé en deux).
A la violence physique suivit la violence psychique. Le jeune Malcolm
fut traumatisé de voir sa mère perdre son équilibre mental, après la
disparition brutale du père. Louise Norton, nerveuse et bouleversée, dut
être placée dans une asile psychiatrique, alors que ses enfants furent
dispersés au hasard des placements sociaux. Recueillis par une famille
de Blancs du Michigan, Malcolm, lui, put s’inscrire à l’école. Il se
révéla brillant élève, mais perdit rapidement l’intérêt pour les études
lorsqu’il se rendit compte qu’en tant que jeune Noir désargenté, il
n’avait aucune perspective de mobilité sociale.
Obligé de subvenir à ses besoins, l’adolescent partit alors rejoindre
l’une de ses sœurs à Boston, avant de débarquer à New York. Il vécut
d’expédients : vols, trafics en tous genres, proxénétisme... En 1946, il
fut arrêté pour vol et condamné à dix ans de prison. Or,
paradoxalement, c’est derrière les barreaux que le jeune homme acquit sa
solide culture.
La plongée dans les livres de la bibliothèque de la prison, qui
portaient autant sur l’histoire africaine-américaine que sur l’antiquité
occidentale, la philosophie et la rhétorique, éveilla chez Malcolm « le désir profond, latent, de vivre intellectuellement ».
C’est aussi en prison qu'il entendit pour la première fois le nom
d’Elijah Muhammad, le « Guide » de la NOI, et découvrit ses idées sur la
séparation des races et l’affirmation du « pouvoir noir ».
Dès sa libération sur parole en 1952, Malcolm rejoignit la NOI. Il
changea de nom, remplaçant le patronyme « Little » hérité de l'époque de
l’esclavage par la lettre X, symbole de l’inconnu en mathématiques. Au
service de la NOI, il propageait le message de la confrérie appelant au
séparatisme noir. Son charisme, sa dialectique caustique et son sens de
la provocation et de la rhétorique contribuèrent au succès grandissant
du mouvement dont le nombre d’adhérents sextupla en l’espace de dix
ans. Mais la popularité grandissante de Malcolm fit de l'ombre au chef
suprême de la NOI qui décida de l’écarter.
La rupture entre Elijah Muhammed et Malcolm fut consommée en 1964
quand ce dernier quitta la NOI pour fonder la Muslim Mosque Incorporated
(MMI) et, surtout, l’Organization of Afro-American Unity (OAAU), une
branche américaine du mouvement panafricaniste. Cette organisation fut
le point culminant du développement internationaliste de la pensée de
Malcolm X, qui effectua dans les années 1960 de nombreux voyages au
Proche-Orient et en Afrique où il rencontra des penseurs et hommes politiques, dont le Ghanéen Nkrumah, père du panafricanisme.
Cette métamorphose coïncida avec la montée des menaces autour du
militant noir. Depuis sa rupture avec la confrérie d’Elijah Muhammad où
il ne comptait pas que des amis, Malcolm avait fait l’objet de plusieurs
tentatives d’assassinat. Une semaine avant l’attentat qui lui coûta la
vie, sa femme et ses filles avaient failli mourir dans un incendie
criminel qui avait ravagé sa maison. On connaît la suite.
Réinventions
Paradoxalement, la disparition de Malcolm X ne marque pas la fin de
l’intérêt qu’il avait su susciter de son vivant. La vie turbulente et
transgressive de cette figure incontournable du mouvement noir
outre-Atlantique et sa disparition dans des conditions non moins
turbulentes à l’âge de 39 ans ont d’ailleurs fait couler beaucoup
d’encre et ont contribué à l’icônisation du personnage dont le prestige
n’a cessé de croître depuis sa mort il y a cinquante ans.
Couverture
du livre de Manning Marable sur la vie de Malcolm X. Il a été traduit
en français sous le titre : «Malcolm X, une vie de réinventions» (Ed.
Syllepse).
DR
« La date du 21 février 1965 reste profondément gravée
dans la mémoire de nombre d’Afro-Américains comme le sont, pour
d’autres, les assassinats de John F. Kennedy ou de Martin Luther King
Jr. », écrit Manning Marable dans une énième biographie de Malcolm X, sous-titrée Une vie de réinventions.
Couronné par le prestigieux prix Pulitzer (2012), cet opus biographique
ne s’inscrit pas tout à fait dans le torrent de publications
admiratives ou critiques que le personnage de Malcolm X a inspiré. Paru
au printemps 2011, l’opus de plus de 750 pages en traduction française
(quelque 600 pages en version originale) a pour ambition de déconstruire
la légende pour révéler l’homme Malcolm X, avec toutes ses
contradictions et ses faiblesses. « Mon objectif premier dans ce livre était, proclame son auteur, de m’élever au-dessus de la légende pour mieux raconter les événements tels qu’ils se sont déroulés dans la vie de Malcolm. »
Décédé trois jours avant la sortie de son livre aux Etats-Unis,
Manning Marable était un universitaire réputé, spécialiste de l’histoire
des Noirs américains. Il avait fondé le département des études
africaines-américaines à l’université de Columbia qu’il a dirigé jusqu’à
sa mort. Son récit de la vie et la mort de Malcolm X est le résultat de
20 années de recherches au cours desquelles il a consulté une
foultitude de documents (des journaux intimes, des correspondances et
6 000 pages des dossiers secrets du FBI) et a interrogé les proches de
son sujet.
Dans la postface de son livre, Marable rapporte que le point de
départ de ce travail de longue haleine a été sa découverte à la fin des
années 1960 de la célèbre Autobiographie de Malcolm X (Grasset), considérée par le magazine Times comme
étant l’un des cent livres de non-fiction les plus influents du XXe
siècle. Son contenu avait été raconté oralement par Malcolm X à Alex
Haley (l’auteur de Racines) qui l’a publié dans la foulée de
l’assassinat du leader noir en 1965. Cette publication posthume faisait
dire à Marable que le volume autobiographique était davantage l’œuvre de
Haley que celle de Malcolm. Il soupçonnait le co-auteur, connu pour
être proche des républicains, d’avoir gommé le radicalisme des propos de
Malcolm. Marable a souligné aussi les incohérences dans le récit dicté
par ce dernier, les exagérations et les oublis volontaires ou
inconscients.
Ceux-ci concernent notamment les activités de délinquance dans
lesquelles Malcolm se dit d’avoir plongé dans sa prime jeunesse. Cet
aspect aurait été exagéré pour donner, pensait Marable, une ampleur
mystique au repêchage de l’enfant prodige par la secte Nation of Islam.
Dans son livre, Marable revient aussi sur la bisexualité de Malcolm X
que ses admirateurs passent sous silence, préférant voir en lui le
symbole d’une négritude virile, agressive, voire misogyne. Selon les
témoignages recueillis par le biographe, le héros de la Black Power
aurait dans sa jeunesse servi « d'escort gay » à de riches hommes
d'affaires blancs et aurait même entretenu au moins une relation
homosexuelle suivie et non tarifée.
Enfin, les révélations de Manning Marable portent aussi sur les
vraies raisons de la rupture de Malcolm avec Elijah Muhammad, le
dirigeant de la NOI. Elles auraient été provoquées par la jalousie
sexuelle et pas seulement par leurs divergences d’ordre politique. Mais
contrairement à la justice de l’époque, qui a tenu la NOI comme la seule
responsable du meurtre de leur « brebis égarée », Marable
n’hésite pas à pointer du doigt le FBI et la police new-yorkaise qu’il
accuse d’avoir fermé les yeux aux menaces qui pesaient sur la vie de
Malcolm X et d’avoir participé au moins passivement à son exécution.
La grande originalité du professeur Marable est peut-être d’avoir su
révéler un Malcolm X assailli de doutes sur sa théologie, sa politique,
sa vie intime, ce qui va à l’encontre de l’image d’un homme droit dans
ses bottes, radical et enfermé dans ses certitudes, que la postérité
garde de lui. Ce fut surtout une personnalité multiple qui, à travers la
série de noms qu'il s’est attribués tout au long de sa courte existence
(Malcolm X, Malcolm Little, Homeboy, Jack Carlton, Detroit Red, Big
Red, Satan, Malachi Shabbaz, Malik Shabbaz, Elt-Hajj Malik El-Shabazz),
semble vouloir attirer l’attention sur la difficulté pour un Américain
noir d’être libre encore aujourd'hui, 150 ans après la fin de
l’esclavage !
► Malcolm X, une vie de réinventions (1925-1965), par Manning Marable. Editions Syllepse, 760 pages, 23 euros.
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