Parce que je n'en peux plus d'entendre, à chaque fois que je dis que
je travaille dans l’accompagnement des demandeurs d’asile “Mais il sont
vraiment trop nombreux, non ?” “Déjà que la France est un des pays les
plus généreux en Europe ...” et autres “La France ne peut pas
accueillir toute la misère du monde"... j'ai décidé d’écrire ce texte,
pour contenir ma frustration, mon indignation qui croît chaque jour en
entendant les politiques nous abreuver de chiffres hors contexte censés
nous démontrer que nous sommes une forteresse assiégée, et contenir ma
tristesse de voir notre gouvernement de “gauche” si tétanisé par
l’influence de l’extrême droite dans le champ politique qu'il finit par
rentrer dans son jeu ...
Je comprends que les gens finissent par s'y
perdre et par se demander si, vraiment, on accueille trop de demandeurs
d’asile en France.
Alors déjà pour ceux qui me citent la fameuse phrase de Rocard, il ne
faudrait tout de même pas en oublier la seconde partie : « La France ne
peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre
sa part ».
Et pour ce qui est de prendre sa part, on va le voir,
malgré son image de pays des Droits de l’Homme, la France est loin
d´être exemplaire.
En ce qui concerne les demandeurs d'asile –
c’est à dire des personnes ayant fui leur pays parce qu’elles y ont subi
des persécutions ou craignent d’en subir et qui sont en quête d’une
protection internationale – la France a enregistré 62800 demandes
d’asile en 2014, loin derriere les Etats-Unis (88400) ou d’autres pays
d’Europe comme l’Allemagne par exemple (202 700 demandeurs), la Suede
(81200) ou l'Italie (64600)1.
Et si on rapporte ce
chiffre a la proportion de la population de chaque État membre de l’UE,
ce qui est plus significatif, les taux les plus élevés de demandeurs ont
été enregistrés en Suède (8,4 demandeurs d’asile pour mille habitants),
devant la Hongrie (4,3), l’Autriche (3,3), Malte (3,2), le Danemark
(2,6) et l’Allemagne (2,5). La France n’arrive qu’en douzième position
(1 demandeur d’asile pour mille habitant).
La France est donc loin de “ployer” sous le poids des demandes comme on ne cesse de nous le répéter.
La France n’est pas non plus le pays qui accorde le plus de statuts de réfugié
(ce qui constitue l’aboutissement “positif” de la demande d’asile) : en
2014, dans l’UE, 45% des demandes d’asile ont été reconnues positives.
Le taux d’accord en France pour 2014 était quand a lui de 28%3. Donc pour la France si génereuse, on repassera.
Et si on regarde au niveau mondial, quel est selon vous, le pays qui accueille le plus de réfugiés ?
Ca
doit être en Europe pour qu’on nous répète inlassablement que c’est un
si lourd fardeau ... Et bien non, figurez vous! C’est le Pakistan qui
arrive en tête des statistiques du HCR (l’Agence des Nations Unies pour
les réfugiés), avec 1,6 million de réfugiés, suivi de l’Iran avec 857
000 réfugiés et du Liban qui en compte 856 000.
Le Liban a, sur son
sol, 178 réfugiés pour 1 000 habitants, ce qui, rapporté à la France,
donnerait quelque 12 à 15 millions... Or, on estime à environ 165 000 le
nombre de personnes disposant du statut de réfugié politique en France
(0,29% de la population). C’est une goutte d’eau, nous sommes tout à
fait en capacité de les accueillir.
Contrairement aux idées
reçues, ce sont les pays en développement qui reçoivent la majorité des
personnes en demande de protection – 90% des demandeurs d’asile et
des réfugiés vont dans des pays proches ou frontaliers, donc l’Europe
n’est absolument pas la zone du monde la plus affectée. Par rapport à la situation des réfugiés syriens par exemple, l'exemple est flagrant.Alors
que le nombre de déplacés va bientôt atteindre la barre des 4 millions,
l'ONU a demandé que 30.000 d'entre eux soient « réinstallés » dans des
pays occidentaux. L’Allemagne a promis d’en accueillir 20000, la Suède
1200, la France, devinez combien?........500. L’immense majorité de
ceux-ci (97%) s’installent au Liban, en Jordanie, en Turquie ou en Irak.
Nous sommes loin d’être envahis. Le monde entier ne rêve pas de rejoindre l'Europe. Relisez les chiffres ci-dessus pour comprendre à quel point c’est faux.
De plus, on réduit le migrant à son statut de migrant, comme si
l’unique but de sa vie était de venir frapper à notre porte, mais
derrière chaque demande d’asile se cache un homme ou une femme avec son
histoire, son passé, un homme ou une femme qui a grandi quelque part, a
eu une enfance, a des attaches, un endroit où il s’est sentí chez lui.
Je me souviens de ce Monsieur tchétchéne qui m’évoquait les larmes aux
yeux les montagnes de son enfance, car jamais il n’aurait pensé ne pas
vieillir a leurs pieds ou de ce Monsieur bangladais qui s’était effondré
dans mon bureau car il venait d’apprendre la mort de son père au pays
et savait qu’il ne pourrait même pas lui rendre un dernier hommage… Qui
voudrait vivre ca ? Franchement, qui ? Sans parler des trajets
abominables pour atteindre l’Europe tristement illustrés par les récents
naufrages en Mediterannée…4
Vous pensez que quand
on vient de pays comme la Somalie ou l’Erythrée on vient parce que le
système d’allocations est plus avantageux en France que chez soi ? Il
faut arrêter la plaisanterie, imaginez un instant ce que cela représente
de tout quitter et vous comprendrez qu’on part parce qu’on n’a pas le
choix.
Vous voudriez vous, rester dans un Etat où règne la
terreur, la guerre, où vous avez peur chaque jour pour vos enfants ? Un
Monsieur sri-lankais que je suivais et qui dormait dehors faute de
solution d’hébérgement m’a dit un jour “C’est tres dur. Mais au moins
ici je suis libre et je n’ai plus peur en permanence.”
Renseignez-vous
sur les régimes politiques en Somalie ou en République Démocratique du
Congo, demandez-vous si vous resteriez en Syrie dans la situation
actuelle. Ou en Russie si vous êtes menacé de mort parce que vous avez
écrit un texte qui déplaît aux autorités. En Guinée où votre fille se
ferait potentiellement exciser comme vous dès le plus jeune âge.
L’espoir
d’une vie meilleure est équitablement partagé sur notre planète et ne
nous est pas réservé parce que nous sommes né du bon coté de la
barrière.
Plus généralement, l'immigration est toujours
présentée comme un problème, alors même que de nombreuses études
indiquent que l’immigration est positive pour l’État francais, en termes
démographiques, en termes de croissance, de savoir, de diversité et
qu’elle rapporte même de l’argent (12 milliards par an tout de même
selon une équipe de chercheurs de l’Université de Lille)5.
C’est donc le regard médiatico-politique sur les migrants qu’il faut
réussir à changer. Et ne pas céder aux discours populistes qui
prospèrent à l’aune de la montée du Front National qui trouve là un
terrain fertile en ces temps de récession économique.
Nos
démocraties peuvent tout à fait accueillir ces migrants, et au lieu de
succomber à un populisme mortifère, devraient réfléchir à une politique
migratoire de manière plus sereine et apaisée et arrêter de faire des
migrants les boucs émissaire de nos sociétés.
Sinon c'est notre humanité qu'on perd peu à peu.
1- Chiffres Eurostat
2- Chiffres Ofpra
3- Chiffres Ofpra
4- A ce propos, lire le magnifique livre de Fabrizio Gatti “Bilal sur la route des clandestins”, ed. Liana Levi, 2008.
5-Courrier international, Les très bons comptes de l’immigration, 27/04/2012
«La distinction entre réfugiés et migrants est appliquée de manière injuste»
Sylvain MOUILLARD Liberation 24 juin 2015
INTERVIEW
Spécialiste des migrations et des
frontières, Ruben Andersson analyse la gestion par les pays européens de
la crise migratoire en Méditerranée.
La mission européenne Navfor Med, pour Naval Force in Mediterranea,
a été lancée lundi.
Elle vise à lutter contre les réseaux de passeurs au départ des côtes
libyennes. Anthropologue à la London School of Economics, spécialiste
des migrations et des frontières, Ruben Andersson revient sur la
situation migratoire en Méditerranée. Il alerte sur l'approche
sécuritaire privilégiée par les autorités européennes, qui risque selon
lui de générer
«plus de chaos».
Comment évaluez-vous la réponse des autorités française et européenne à la crise migratoire en Méditerranée ?
Face à l'austérité, les peuples et responsables politiques cherchent
des bouc-émissaires. Les migrants représentent le choix le plus simple.
La tendance est inquiétante en Europe comme en France. L’attention
portée à la situation en Méditerranée n’est pas nouvelle, c’est un sujet
dont médias et politiques se sont emparés depuis plusieurs années
maintenant. Mais la panique créée par cette migration maritime est
disproportionnée. Même si le nombre de traversées connaît un pic avec
les conflits en Syrie et Libye, cela reste gérable pour une Union
européenne de 500 millions d’habitants, avec des ressources importantes.
De plus, seule une petite minorité de migrants arrivent en Europe par
la mer. Mais l’attention médiatique et politique aux frontières sud de
l’Europe continue d’aller de pair avec davantage de patrouilles, de
surveillance et de coopération policière, ce qui mène pourtant depuis de
nombreuses années des gens désespérés à prendre plus de risques et à
recourir aux réseaux de contrebande. Au lieu d'organiser un processus
d’arrivée, d’identification et d’insertion en Europe, on a généré plus
de chaos. Ce cercle vicieux pourrait être aggravé par des opérations
militaires en Méditerranée.
Que révèle la terminologie distinguant «migrants» et «réfugiés»?
«Migrants» est un terme attrape-tout qui cache plusieurs cas de
figure. Quand on parle d’une «crise des migrants» en Europe, on a en
tête des personnes bien spécifiques : les non-Européens pauvres
cherchant les moyens de vivre, plutôt que les importantes migrations de
travailleurs et résidents au sein même de l’UE. Les réfugiés, selon la
Convention de Genève, sont des gens vivant en dehors de leur pays
d’origine en raison d’une crainte fondée de persécution, et qui ont donc
besoin de la protection internationale. Cette assurance accordée aux
réfugiés est importante, mais elle a été érodée au fur et à mesure des
années. Notamment en bloquant tous les points d’accès sécurisés à
l’Europe et en traitant ceux fuyant les persécutions de migrants» tout
court et en limitant leur accès à l’asile. Cela a encore été le cas
lorsque les médias ont évoqué des "quotas de migrants" pour les Etats
membres; en fait, la Commission européenne a proposé une mesure de
responsabilité – partager les demandeurs d’asile, pas les migrants
économiques – mais les lignes sont continuellement brouillées. Cela sape
les fondements de la protection internationale.
Existe-t-il une forme de «tri» entre les «bons» demandeurs d'asile, et les «mauvais» migrants économiques ?
Une fois en Europe, certaines nationalités ont de bien meilleures
chances d’obtenir l’asile, notamment les Syriens et Erythréens, pour des
raisons évidentes et urgentes. Mais cela nous laisse avec de nombreuses
personnes étiquetées comme «migrants économiques» ou pire, «migrants
illégaux». Cela inclut la plupart des Africains subsahariens arrivant en
Italie ou encore en Espagne. Dans ce dernier pays, des bureaux d’asile
ont été installés, mais ils ne sont utilisés que par les Syriens. Les
Africains, de leur côté, passent par les enclaves de Ceuta et Melilla,
en escaladant les murs qui y ont été dressés. Pourtant, beaucoup d’entre
eux auraient un besoin légitime de protection internationale.
Cette politique est-elle légitime ?
Cette distinction entre migrants et réfugiés fait sens au regard de
la législation internationale. Nous devons prendre garde à ne pas éroder
le concept de protection des réfugiés. Mais si cette distinction est
faite pour exclure, elle échoue à rendre compte des décisions complexes
prises par les gens se lançant dans un voyage dangereux. Cette
distinction est souvent appliquée d’une manière injuste. Par exemple,
les Africains de l’ouest sont souvent qualifiés de "migrants
économiques", mais cela ignore complètement les dangers et conflits dans
cette région: la violence persistante au Mali et au Nigeria, la
répression en Gambie, etc. Par ailleurs, les Africains subsahariens sont
victimes en Libye de violence, du banditisme, de la répression, commis
tout à la fois par des criminels, des milices et des forces de sécurité.
Ils sont détenus plusieurs mois ou années sur place et doivent payer
d’importantes sommes pour être libérés. Ils sont aussi trop effrayés
pour s’échapper ou tenter de rentrer dans leur pays d’origine. Quand ils
partent pour l’Italie, ils fuient donc réellement les persécutions –
certes pas dans leur pays d’origine, mais en Libye, où certains vivent
et travaillent d’ailleurs depuis des années. En dessinant des
distinctions abruptes, on oublie que le désespoir économique, la
répression et les conflits vont souvent de pair. L’économie malienne
s'est ainsi écroulée depuis le conflit en 2013. Mais les catégories
actuelles ne laissent pas de place à cette approche mixte, qui est
pourtant devenue un enjeu majeur.
Sylvain MOUILLARD
Paris débloque sous la pression des places d'hébergement pour les migrants
Sous l’impulsion des nouvelles arrivées de migrants et des mobilisations
citoyennes qu'elles suscitent, la Ville de Paris et l'État modifient
par à-coups leur stratégie de mise à l'abri. Désormais orientés vers des
centres d'urgence, les exilés ont le choix entre demander l'asile (sans
garantie de l'obtenir) et… repartir dans leur pays d'origine.
Depuis l’opération de démantèlement du campement installé à proximité
de la station de métro La Chapelle à Paris, mardi 2 juin, une partie des
migrants arrivés en France après avoir débarqué sur les côtes
italiennes et grecques a été mise à l’abri, pendant que d’autres,
pourchassés dans les rues de Paris par les forces de l’ordre, continuent
de dormir dehors. En un mois, ces exilés, traversant la France du sud
au nord, se sont imposés au cœur de l'actualité, suscitant un intérêt
politico-médiatique inédit.
Leur soudaine visibilité, alors même qu'ils
sont en réalité peu nombreux (un millier environ à Paris), contraint les
pouvoirs publics à réagir, selon un processus qui rappelle celui qui
avait conduit à l'accueil de quelques centaines de Tunisiens arrivés
dans la capitale à l'été 2011 dans le sillage du « printemps arabe »
(lire nos articles ici et là).
Manquant d’ampleur et d’anticipation, la réponse se construit dans la
précipitation, au coup par coup, avec une priorité : empêcher
l’apparition de
« points de fixation », selon l’expression du
ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Sous la pression des
nouvelles arrivées et des mobilisations citoyennes suscitées par les
expulsions à répétition, la mairie de Paris et l’État revoient leur
stratégie d’hébergement.
Les solutions de très courte durée (quelques nuits) sont abandonnées ou en voie de l’être.
« On s’est rendu compte que les nuits d’hôtel ou les structures comme le Chapsa de Nanterre n’étaient pas adaptées », reconnaît Dominique Bordin, coordinateur de la mission sans-abri de la mairie de Paris, interrogé par
Libération
alors que, vendredi 19 juin, il est en train d’inciter les exilés
installés dans les Jardins d’Éole à rejoindre des centres hivernaux
d’hébergement d’urgence (CHU), rouverts pour l’occasion, où des
travailleurs sociaux, leur assure-t-on, sont censés les aider dans leurs
démarches.
Par cet aveu, le responsable de la mairie de Paris reconnaît que
l’opération de La Chapelle, où résidaient depuis plusieurs mois des
ressortissants de la Corne de l'Afrique et d'Afrique de l'Ouest, n’a pas
eu les résultats escomptés. À la suite de la destruction des tentes, la
mairie et l’État ont en effet mis à disposition 461 places
d’hébergement, selon le bilan de la préfecture d’Ile-de-France. Parmi
ces propositions, certaines étaient solides : 49 personnes recensées
comme vulnérables (familles, mineurs isolés et femmes) ont été prises en
charge par la Ville pour une
« longue durée » et 145 réfugiés et
demandeurs d’asile ont bénéficié de logements pérennes dédiés à leur
situation. Malgré les dénégations officielles, le sort des 277 autres
n’a pas été réglé, loin de là : dispersés en Ile-de-France dans des
hôtels sociaux sans repas et dans des structures d’accueil de nuit pour
personnes sans domicile fixe (avec remise à la rue le matin), ils se
sont retrouvés sans repère, sans argent et sans accompagnement. Une
centaine d'entre eux ont estimé qu’en quittant le campement, ils avaient
perdu au change (leurs quelques possessions – tente, couverture, etc. –
ont été mises à la poubelle) et ont décidé de revenir à Paris, pour
retrouver un semblant de solidarité entre compatriotes, quitte à dormir
de nouveau à la rue.
À la préfecture de région, on admet à demi-mot que le dispositif n’a
pas convenu. Les personnes restées dans les hôtels ont toutes été
transférées et regroupées dans une dizaine de centres d’hébergement
d’urgence (une moitié située à Paris, l’autre en Ile-de-France),
occupant environ 500 places, obtenues pour certaines à la suite d'un
rapport de force
: les réseaux créés pour venir en aide aux
réfugiés, lors de l’occupation d’une caserne près de Château-Landon et
sur le campement des Jardins d’Éole, ont par exemple poussé les pouvoirs
publics à débloquer des solutions (110 places dans le premier cas, 230
dans le second).
L’hébergement dans des centres gérés par des structures comme Adoma constitue-t-il une avancée ?
A priori,
la réponse est positive car la situation particulière des personnes est
supposée être examinée. Le couperet de la remise à la rue devrait
tomber moins vite. Mais le flou demeure. La communication sur la durée
d’hébergement est centrale dans la gestion publique. De peur de créer un
« appel d’air », comme on le reconnaît dans l’entourage de la
maire de Paris, l’administration refuse de s’engager sur un délai, ce
qui contribue à laisser les exilés dans une forme d’incertitude et
d’anxiété.
L’accompagnement promis pourrait constituer un avantage, mais pour l’instant les difficultés s’accumulent.
« Nous avons des retours de travailleurs sociaux débordés »,
indique Caroline Maillary, membre du Groupe d’information et de soutien
des immigrés (Gisti), intervenue à Éole dans le cadre d’une permanence
juridique.
« Ces personnes n’ont pas de compétence en droit des étrangers, observe-t-elle.
Certaines ne savent pas comment s’y prendre pour remplir les dossiers de demandes d’asile. » « En conduisant les personnes dans ces centres, les pouvoirs publics ont juste déplacé le problème », remarque-t-elle, convaincue que ces derniers visent aussi à désorganiser les soutiens et empêcher des luttes d’émerger.
« L’objectif de cette opération [l'évacuation d'Éole]
n’était pas de trouver une solution pour les migrant-e-s, tranche le militant Denis Godard dont le témoignage a circulé sur les réseaux sociaux.
Par
des moyens plus hypocrites, elle répond à la même logique que les
expulsions policières et violentes du square Saint-Bernard et de la
Halle Pajol de la semaine passée : briser le regroupement des
migrant-e-s, leur visibilité publique, leur capacité de lutte pour leurs
droits et la solidarité qui s'étendait. »
La question est par ailleurs de savoir ce que les pouvoirs publics
entendent par suivi juridique et social. Que proposent les travailleurs
sociaux à l’abri des regard extérieurs ? Selon nos informations, deux
solutions sont offertes aux migrants : les personnes voulant demander
l’asile reçoivent l’engagement qu’elles seront aidées dans leur démarche
(sans garantie d'obtenir le statut), les autres reçoivent la visite de
l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), qui leur
propose de… repartir dans leur pays d’origine avec une « aide au
retour ». Autrement dit, une sorte de tri s’opère entre les uns et les
autres. Ceux, notamment originaires d’Afrique de l’Ouest, qui savent
qu’ils n’ont aucune chance d’obtenir le statut de réfugié mais qui
aimeraient rester en France sont dans l’impasse – et soumis au risque
d’une reconduite à la frontière. Les exilés de passage, qui souhaitent
rejoindre la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou la Scandinavie, comprennent
d’eux-mêmes qu’ils sont invités à quitter les lieux et à poursuivre
leur route.
« Le deal plus d'humanité contre plus de fermeté n’est pas acceptable », estime Karen Akoka. Cette habitante du XVIII
e arrondissement impliquée dans le comité de soutien de La Chapelle et membre du Gisti considère que
« la
mobilisation citoyenne a eu pour effet d’obliger l’État et la Ville à
moins traiter les migrants comme du bétail, mais pas encore comme de
véritables êtres humains ».
« Qu’ils soient hébergés en centres
d’hébergement d’urgence plutôt que d’être à la rue ou en hôtel pour une
nuit ou deux est plutôt une avancée. Certains retours sont bons,
d'autres un peu moins. Mais,
il faut aller plus loin et leur
proposer des lieux véritablement adaptés à leurs profils et leurs
besoins, des endroits, par exemple, où ils auraient véritablement le
temps de se poser et de réfléchir à leur parcours. Les arrivées ne vont
pas cesser du jour au lendemain », assure-t-elle, estimant que ces
changements doivent s’inscrire dans une refonte globale de la politique
migratoire plus accueillante non seulement à l’égard des demandeurs
d’asile mais aussi des migrants dits économiques.
« Il est par
ailleurs hypocrite de déclarer que toutes les demandes d'asile seront
examinées alors qu'une grande partie des migrants cherchant une
protection ont leurs empreintes en Italie et que, pour cette raison,
leur demande sera rejetée en France », observe-t-elle estimant que l'application de la convention de Dublin doit être suspendue.
À rebours de cette position, le gouvernement français cherche par
tous les moyens à distinguer les « bons » migrants relevant de la
convention de Genève (les demandeurs d’asile) des
« migrants économiques irréguliers »
à renvoyer dans leur pays d’origine. Cette nouvelle doxa, en vogue à
l’échelon européen comme l'ont montré les dirigeants de l'UE lors du
sommet à Bruxelles les 25 et 26 juin, trouve ainsi une traduction jusque
dans les centres hivernaux d’hébergement d’urgence d’Ile-de-France, où
les migrants font face soit à l’Ofpra – et s’ouvrent pour eux des
perspectives – soit à l’Ofii – et l’horizon s’assombrit.
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