C’est l’ouverture d’un droit, celui de pouvoir saisir ensemble la justice sur des cas de discriminations, qui était en débat ce mercredi soir à l’Assemblée… devant un hémicycle presque vide. Les (quelques) députés présents en séance ont voté la création de l’action de groupe en matière de discrimination - un dispositif qui existe depuis 2014 dans le domaine de la consommation. Le texte du socialiste Razzy Hammadi prévoit la possibilité d’un recours collectif pour des personnes s’estimant lésées pour les mêmes motifs (origine, orientation sexuelle, religion, sexe, grossesse, handicap, âge) et par les mêmes personnes (Etat, entreprise ou particulier), là où les plaintes sont aujourd’hui individuelles.
Le député (PS) qui travaille sur le sujet depuis 2012 - l’action de groupe était une promesse du candidat Hollande - souhaitait, avant la séance, «un large consensus des républicains sur tous les bancs». Œillade aux députés ex-UMP qui se sont rebaptisés «les Républicains» la semaine dernière. Le seul député de droite assistant au débat, Philippe Gosselin, a voté contre. Hammadi espérait aussi une approbation des centristes: pas un UDI lors du vote. A gauche, le texte a fait le plein des voix. Le Vert Sergio Coronado a toutefois rappelé qu’une proposition de loi de la sénatrice EE-LV Esther Benbassa avait été déposée en 2013 sur le sujet, elle et Hammadi se disputant la primeur du projet. Le texte écologiste était «plus libéral», proposant notamment que les plaignants puissent se monter en collectif pour saisir la justice. La version socialiste, examinée ce mercredi, prévoit, elle, que les victimes supposées passent par un syndicat ou une association. Une précaution pour éviter que des affaires plus ou moins farfelues se multiplient. La question de ce «filtre» a de nouveau fait débat. Coronado a proposé de le supprimer, le jugeant «rigide» et y voyant «un frein». La droite aurait voulu durcir encore cet échelon intermédiaire en limitant la possibilité d’agir aux associations qui auraient reçu «un agrément». Au final, la majorité a maintenu ce filtre mais baissé le seuil de cinq à trois ans d’existence pour les associations. Un amendement autorise aussi les syndicats de la fonction publique à porter ce type d’affaire.
 
Face aux inquiétudes sur le petit chamboulement culturel introduit par l’action de groupe, Razzy Hammadi souligne qu’il ne s’agit pas de créer une nouvelle incrimination - celle de la discrimination existe déjà - mais d’abord de faciliter l’accès aux droits alors qu’on estime qu’une victime de discrimination sur deux n’attaque pas en justice. Il a aussi tenté de «rassurer» les entreprises, vent debout contre la mesure: «Rien ne justifie qu’elles se sentent ciblées, elles se comportent bien dans l’ensemble, nous serons attentifs au cadre de l’entreprise.»

Pour Bruno Le Roux, l’action de groupe vise à briser «l’esseulement des victimes pour les conduire à faire valoir leurs droits». Le patron des députés PS s’est même un peu enflammé, en profitant pour remettre sur la table la question du contrôle au faciès: «Dans ma circonscription (Seine-Saint-Denis), je vois beaucoup de jeunes subir des contrôles d’identité multiples, ce n’est pas pour stigmatiser certaines équipes de police mais il ne faut pas se voiler la face.» Le gouvernement avait reculé sur le récépissé pour lutter contre le contrôle au faciès, promesse de campagne en 2012. Mais on peut imaginer, si l’action de groupe est définitivement adoptée, que des personnes systématiquement contrôlées parce qu’arabes ou noires puissent se retourner contre l’Etat.

La proposition de loi Hammadi doit ensuite être examinée au Sénat, avant de revenir à l’Assemblée pour une seconde lecture. Les députés pourraient débattre à nouveau de ces recours collectifs dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIe siècle. Dans son texte qu’elle doit présenter en conseil des ministres début juillet, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, envisage une action de groupe «socle» qui couvrirait tous les domaines (santé, environnement et discrimination).