FIGAROVOX/ANALAYSE - D'après les Échos, l'exil fiscal s'accélère
chez les hauts revenus. Mais pour Jean-Yves Archer, le plus préoccupant
est l'exil des jeunes diplômés. 28% d'entre eux envisagent leur avenir
professionnel à l'étranger.
Jean-Yves Archer est économiste. Il
dirige le cabinet Archer et anime le think tank de recherche économique
Archer 58 research. Il est diplômé de l'ENA (promotion de 1985) et
titulaire d'un doctorat en économie à l'université Paris 1
Panthéon-Sorbonne. En savoir plus sur son site.
Le pic de l'exil n'est pas encore atteint
Depuis
des années des parlementaires, tels que Charles de Courson, Philippe
Marini ou Alain Lambert et Jean Arthuis tout autant que Jérôme Cahuzac
(lorsqu'il était dans l'opposition, en charge de la présidence de la
commission des Finances de l'Assemblée Nationale) ont tenté d'obtenir
des chiffres exacts quant à l'impact de l'exil fiscal sur nos finances
publiques.
Bien souvent, les réponses ont été parcellaires voire
lacunaires au grand dam des élus communistes que sont le sénateur Pierre
Laurent et le vif député André Chassaigne toujours préoccupés par l'ISF
et les «riches».
Des derniers chiffres connus, il ressort que
l'année 2011 a été charnière ce qui montre que la pression fiscale
accrue de la dernière année du mandat de Nicolas Sarkozy a eu un effet
immédiat: tant sur le nombre d'expatriations que sur le plan électoral.
Certains regretteront donc que la Ministre du Budget d'alors n'ait pas
versé un avis politique argumenté au cœur du dossier technique qu'elle
devait traiter. Vaste sujet.
Un point de repère est acquis:
l'année 2013 a vu 3744 expatriations en provenance de contribuables
dotés d'un revenu fiscal de référence excédant 100.000 Euros. Soit une
augmentation de 40% par rapport à l'année 2012. Les Français ont donc
l'épiderme sensible en matière fiscale comme l'a appris à ses dépens le
toujours surprenant Pierre Moscovici dont le socle de certitudes a
clairement du mal à être validé par les lois de l'économie. Mais, hic et
nunc, doit-on encore parler de certitudes? Triste sujet.
Si la moyenne des revenus des
expatriés fiscaux s'élève à 265.832 Euros par an, les assujettis à
l'Impôt de Solidarité sur la Fortune qui quittent notre pays ( environ
750 par an ) détiennent un patrimoine moyen de plus de 6 millions
d'Euros.
En matière d'ISF, les chiffres avancés sur le rendement
de cet impôt sont à prendre avec précaution. Depuis la crise de 2008 il y
a eu une accélération comparative des prix de l'immobilier ( valeur
refuge ) dans les grandes villes et surtout à Paris. A partir du moment
où le prix moyen du mètre carré est au-delà de 7000 Euros, bien des
ménages se sont trouvés redevables de l'ISF du fait de la valeur de leur
seule résidence principale, par-delà l'abattement lié à celle-ci.
Dès
lors, au plan d'ensemble, le départ de grandes fortunes est difficile à
retracer sauf à prendre ses sources dans le registre de la vie des
affaires. Qui ne se souvient de la tentation belge du Président Bernard
Arnault? Qui ne voit où résident les familles Darty, Zacharias (
ex-Vinci ), Defforey ( Carrefour ) Wertheimer ( Chanel ), etc ou nos
grands sportifs avec une mention particulière aux joueurs de tennis?
Tout
ceci relève de calculs individuels qui ont leur degré de légitimité et
de légalité - parfois ondulante - qui sont éloignés de la logique de
personnalités comme Pierre-Emmanuel Taittinger qui s'estiment redevables
face à la nation qui les ont vues s'épanouir pendant tant d'années. La
France me coûte mais je dois à la France aurait pu être une maxime, déjà
du temps de La Rochefoucauld.
Le Président Kennedy avait déclaré
pour sa part qu'il fallait cesser de se demander ce que son pays
pouvait faire pour soi et au contraire se demander ce que l'on pouvait
faire pour lui. Sur un plan fiscal, voilà une interrogation digne de
réflexions posées. Grand et beau sujet.
Sur le plan humain, on ne peut que constater que le pic de l'exil des jeunes n'est pas atteint.
Patrick a réussi une école de commerce, il a 26 ans: voici près de deux ans qu'il travaille dans la finance à New-York.
Clara
a terminé un master de sociologie, elle a 24 ans: voici près d'un an
qu'elle travaille pour une association humanitaire au Chili.
Hadj
a lutté pour parvenir au statut d'ingénieur: venu d'un quartier
sensible du nord de Montreuil, il est désormais installé en Australie
dans le secteur de la construction.
Jean-Michel a décroché au
plan scolaire: plutôt que de continuer la «galère «en France, il a
rejoint Shanghai et trouvé une place dans une entreprise de commerce
textile.
Quatre exemples pris parmi des milliers qui dessinent
les quatre côtés de ce carré complexe que l'on nomme expatriation et
parfois, de manière plus connoté, exil.
Une phrase court dans le
pays comme une rumeur: «Si vous avez de l'argent et de l'âge, partez
pour Bruxelles. Si vous êtes entreprenant et jeune, partez pour
Londres». De fait, la rumeur a bien un fondement statistique. Laissons
ceux qui pensent que l'herbe est nécessairement plus verte dans le pré
d'à-côté alors que la réalité est - heureusement - dotée d'une
capillarité plus fine comme vont le démontrer les futurs succès de
l'Ecole 42 de Xavier Niel et l'incubateur de start-up de la halle
Freycinet. Notre France est loin d'être inerte. Même si le propos du
tonique Philippe Bourguignon ( Ex-Pdt du Club Med et d'Accor ) demeure
terriblement fondé: «les entrepreneurs français doivent être encore plus
forts que les autres tellement il y a de contraintes «. ( BFMtv 11 mai
2013 ).
A côté du départ médiatisé de personnes ayant rencontré
le succès ( Gérard Depardieu, etc ) qui peuvent induire un effet
d'entraînement, il est à noter une élévation du nombre de jeunes qui s'expatrient.
Notre
Nation est confrontée à une sortie du territoire d'un potentiel Antoine
Riboud ou Claude Bébéar des années 2030. Ce sont autant d'emplois
nationaux évaporés pour demain.
La première des grilles
d'analyses relève de la sphère économique. Notre pays a
incontestablement une difficulté avec sa jeunesse. Même celle qui est
bien formée et adaptée à tel ou tel profil de poste doit accepter de
passer par la case des stages puis la case répétitive des CDD avant de
pouvoir se poser sur l'échiquier de la vie professionnelle dans l'espoir
d'enfin démarrer une carrière. Ce temps de latence entre la sortie du
système éducatif et le moment où l'emploi semble stable est une période
vécue comme longue et difficile pour les jeunes. Comment reprocher
l'expatriation face à une société dont les entreprises ne vous
accueillent parfois que du bout des lèvres?
Parallèlement,
certains pays proposent des situations pécuniairement plus
intéressantes. Cela étant, il faut regarder les cas à la loupe. En
effet, déjà Keynes écrivait sur «l'illusion du salaire nominal», et bien
des financiers français de Londres conviennent que si les rémunérations
sont supérieures, la vie quotidienne est plus coûteuse, à commencer par
l'incontournable prix du logement. Le vrai raisonnement consiste à
établir l'indice de parité du pouvoir d'achat.
Toujours au plan économique, la
spécialisation internationale entraîne désormais un brassage des
cerveaux. De la même manière que les Etats-Unis savent attirer des
informaticiens indiens de haute volée, ils savent proposer à nos jeunes
entrepreneurs en biotechnologies des conditions remarquables. La France
propose parfois un emploi, là où d'autres pays façonnent une carrière.
Tel est le défi.
Envie de travailler tout de suite et d'être
reconnu ( tentation de l'hubris ), perspectives d'évolution
professionnelle, optimisation fiscale comparée sont les trois grandes
clefs explicatives de l'exil des jeunes.
Exil qui peut par
conséquent s'expliquer mais ne justifiera jamais d'oser gommer le «poids
des morts et des savants qui ont fait la France» pour reprendre les
termes de l'historien Pierre Chaunu.
Selon le Ministère des
Affaires étrangères, près de 285.000 français âgés de 25 à 35 ans
seraient résidents étrangers. Par ailleurs, il faut noter la tendance:
selon le baromètre Ifop-Deloitte, 28% des jeunes diplômés envisagent
leur avenir professionnel à l'étranger contre 13% en 2012.
Cette
grille d'analyse économique est pertinente mais trop réductrice car il
faut la croiser avec trois autres éléments: liberté et envie de
découverte, esprit pionnier, fierté d'appartenance.
Quand on
vient de passer la borne de ses vingt ans, on ne peut concevoir la vie
comme un parcours balisé voire fléché à l'excès. Fort heureusement, on
détient une part de rêve et une envie de découverte. A l'heure de
l'avion, le Brésil est à la France ce que Morlaix était à Paris il y a
cent ans. Qu'il s'agisse d'un brillant diplômé ou d'un jeune issu de la
diversité scarifié par les discriminations, comment ne pas comprendre
que la soif de découverte est un ressort du jeune adulte?
En
addition de ce ressort de l'esprit de découverte, il y a aussi l'esprit
pionnier. Certains se voient en Sylvain Tesson, d'autres en golden boy
de Wall Street. Peu importe. Ils ne se voient pas au 37ème étage d'une
tour à La Défense à émettre des rapports et à lire les aléas budgétaires
auxquels sont confrontés notre pays.
Dernier point qui doit
être évoqué, c'est précisément la notion de fierté d'appartenance. De
nombreuses entreprises semblent attractives pour les jeunes: des
classements sont régulièrement établis et sacrent ainsi L'Oréal, AXA,
Danone, Nestlé, etc. Les pays n'échappent pas à cet énoncé de
préférences. Or, pour des raisons multiples, la France a souvent
décroché dans le cœur de bien des jeunes. Si un pays vous fait
positivement vibrer, on ne le quitte pas pour un taux marginal
d'imposition légèrement plus élevé. En revanche, un pays atteint de
sinistrose et atteint d'un rapport difficile à l'Autre ( le vivre
ensemble ) ne saurait être attractif. Oui, notre Nation a devant elle le
défi de redevenir séduisante pour sa jeunesse: tout n'est pas question
d'économie mais de rupture avec une identité froissée.
«La vie
n'est pas ce que tu crois. C'est une eau que les jeunes gens laissent
couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme des mains,
ferme des mains, vite. Retiens-là. Tu verras, cela deviendra une petite
chose dure et simple qu'on grignote, assis au soleil». Jean Anouilh, Antigone.
La
jeunesse actuelle est mûre plus tôt qu'autrefois et sait promptement
apprendre à fermer les mains. L'eau de la vie est une notion qu'elle
visualise mieux que ces aînés mais il est clair qu'elle veut vivre bien
souvent sous d'autres rayons du soleil que ceux que la France propose.
France de l'Hexagone comme France ultramarine où les taux de chômage
sont alarmants.
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