Par Eric Albert (Londres, correspondance), Le Monde
| 03.08.2015
Paris et Londres tentent de faire front commun face à la crise des
migrants à Calais. Alors que les tensions politiques de chaque côté de
la Manche sont vives, avec des centaines de clandestins qui tentent
chaque nuit d’entrer dans l’Eurotunnel pour atteindre le Royaume-Uni, le
ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et son homologue
britannique Theresa May, ont publié, dimanche 2 août, une tribune
commune pour essayer de calmer les esprits. « Pour la France comme
pour le Royaume-Uni, les choses sont claires : mettre fin à cette
situation est une priorité absolue. Nos deux gouvernements sont
déterminés à y parvenir, et à y parvenir ensemble », écrivent-ils dans Le Journal du Dimanche et le Sunday Telegraph.
Les
deux ministres tentent de replacer dans son contexte global les
tensions actuelles autour du tunnel sous la Manche. Il s’agit « d’une crise migratoire mondiale qui ne concerne pas seulement nos deux pays ». Pour eux, « il n’existe pas de solution simple », et celle-ci doit se trouver dans toute l’Europe, et pas seulement autour des 650 hectares du terrain d’Eurotunnel.
Mais cette tentative de calmer le jeu risque d’être noyée par les
déclarations politiques de plus en plus virulentes dans les deux pays.
Côté britannique, la dirigeante par intérim du Parti travailliste,
Harriet Harman, a demandé à la France de verser des compensations
financières aux routiers et aux vacanciers britanniques qui se sont
retrouvés bloqués des heures, voire des jours, aux abords du tunnel. « Il faut employer toutes les pressions diplomatiques nécessaires », demande-t-elle au premier ministre britannique, David Cameron.
Depuis
juin, l’opération « Stack », qui consiste, côté britannique, à fermer
des tronçons d’autoroute près du tunnel pour y installer les camions en
attente, a été mise en action 24 fois en quarante jours. Pour les
commerces locaux dans le Kent, les conséquences économiques sont très
négatives : faute d’autoroute pour se déplacer, de nombreux clients ne
viennent plus les voir.
« Tactique » de David Cameron
Les
tabloïds britanniques sont déchaînés. En ce début de mois d’août creux
en actualité, ils n’hésitent pas à jeter de l’huile sur le feu. Avec une
ligne d’attaque répétée : la France est inefficace pour arrêter les
migrants. Le Daily Mail offre une pleine page à l’historien Andrew Roberts, qui titre : «
Est-ce que les Français sont responsables du chaos à Calais ? Oui.
Est-ce qu’on peut s’attendre à plus qu’un simple haussement d’épaules de
leur part ? Non. » Selon lui, la « police française choisit simplement de regarder ailleurs alors que les migrants lancent chaque nuit leurs assauts ». Pour Nick Ferrari, éditorialiste influent du Sunday Express, un tabloïd très anti-immigration, la réaction des autorités françaises est « faible, terne et inefficace ». A voir les images des clandestins escaladant les grillages, il conclut que la police ne cherche pas vraiment à faire face.
Pourtant, David Cameron n’a pas une seule fois attaqué publiquement
les autorités françaises sur ce terrain. Selon M. Ferrari, il s’agit
d’une simple tactique de la part du premier ministre britannique, afin
de se garder une marge de manœuvre dans le cadre de ses négociations
avant le référendum sur l’Union européenne. « Il faudrait que nous ayons un peu moins peur du gouvernement français »,
lance pour sa part Nigel Farage, le chef de file du Parti pour
l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, anti-européen, anti-immigration).
Face
à ces attaques, les réactions fusent en France. Le député (Les
Républicains) de l’Aisne, Xavier Bertrand, candidat de droite aux
élections régionales dans le Nord - Pas-de-Calais - Picardie, y est allé
de sa charge dans Le Journal du dimanche. Il menace de
demander aux autorités françaises de laisser passer les migrants
jusqu’au Royaume-Uni. Après tout, le contrôle des frontières pourrait
logiquement revenir au Royaume-Uni, qui est le pays où souhaitent se
rendre les migrants. « Je dis à nos amis anglais : notre
exaspération est totale. Un bras de fer ne serait pas la meilleure
solution, mais il faut qu’ils sachent ce que beaucoup de Français
pensent : si on n’a pas su empêcher [les migrants] de venir [en Europe], eh bien, on va arrêter de les empêcher de partir [en Angleterre]. » Le premier adjoint au maire de Calais, Emmanuel Agius, adopte la même approche : «
Si ça continue comme ça, avec autant de provocation outrancière, je
crois qu’à un moment donné, nous aussi nous allons faire de la
provocation, et nous allons dire : “laissons passer les migrants”, et
M. Cameron va se débrouiller. Ils seront sur son territoire, sur le port
de Douvres. »
Derrière ce match de petites phrases se trouve
souvent une vision déformée de la réalité. Au Royaume-Uni, les images
de désespérés essayant, soir après soir, de pénétrer dans le tunnel
donnent l’impression que le pays est pris d’assaut par les immigrants du
monde entier. Le système d’aides sociales soi-disant trop généreux est
pointé du doigt.
Le tunnel sous la Manche forme un goulot d’étranglement où se retrouvent en masse de nombreux candidats au départ.
Cette
idée ne résiste pas à l’étude des faits. Depuis le début de l’année,
230 000 migrants sont entrés dans l’espace Schengen. Seule une toute
petite proportion se retrouve à Calais : il y a actuellement environ 3
000 personnes dans les camps autour de la ville. De même, le Royaume-Uni
reçoit deux fois moins de demandes d’asile que la France et six fois
moins que l’Allemagne, preuve que le pays n’est pas une destination
particulièrement prisée. Simplement, pour des raisons géographiques
évidentes, le tunnel sous la Manche forme un goulot d’étranglement où se
retrouvent en masse de nombreux candidats au départ.
Ces derniers
mois, la situation a cependant empiré à Calais. Les tentatives pour
entrer dans l’enceinte d’Eurotunnel se comptent souvent par milliers
chaque nuit, même si le nombre a baissé à quelques centaines ce
week-end. En partie, il s’agit d’une conséquence logique de la crise
migratoire européenne : avec la guerre civile en Syrie et le chaos
libyen, le nombre de candidats au départ a augmenté. En dix ans, les
demandes d’asile dans l’Union européenne ont triplé. En partie, il
s’agit d’une conséquence de l’installation récente de nouvelles
barrières au port de Calais, plus difficiles à pénétrer. Beaucoup
d’immigrés se sont reportés sur le tunnel, malgré les graves dangers.
Une dizaine d’entre eux ont trouvé la mort ces deux derniers mois.
Mesures sécuritaires
Face
à cette réalité, la France et le Royaume-Uni ont annoncé des mesures
sécuritaires supplémentaires. Les deux pays vont débourser 10 millions
d’euros pour accroître la sécurité le long des voies du tunnel sous la
Manche, qui s’ajoutent aux 15 millions d’euros que le Royaume-Uni
s’était engagé à payer en septembre 2014. Cent vingt policiers et
gendarmes supplémentaires sont sur place depuis quelques jours, portant
le total à 550, tandis que de nouvelles clôtures de sécurité doivent
être installées « d’ici à la fin de la semaine prochaine ». Des chiens de garde et des caméras de surveillance supplémentaires sont également prévus.
Au
Royaume-Uni, M. Cameron veut durcir les conditions d’accueil des
demandeurs d’asile, en réduisant leurs aides sociales. Il entend aussi
s’attaquer aux propriétaires qui logent des clandestins, en renforçant
les sanctions jusqu’à cinq ans de prison.
Des deux côtés de la Manche cependant, la réaction des autorités a un
point commun : elle se concentre sur le sécuritaire et la meilleure
façon de bloquer les migrants, qui fuient souvent des guerres et des
conflits ravageurs. Cette absence d’empathie a fait sortir de ses gonds
l’Eglise d’Angleterre, qui a choisi d’entrer dans le débat politique. «
Nous sommes en train de devenir un monde de plus en plus dur, et nous
devenons durs les uns avec les autres, au point que nous oublions notre
humanité, estime l’évêque de Douvres, Trevor Willmott. Nous devons redécouvrir ce que c’est que c’est que d’être humain, et que tous les hommes comptent. »
Eric Albert (Londres, correspondance)
Journaliste au Monde
Journaliste au Monde
Migrants : comment voir le bout du tunnel
Libération 3 août 2015
DÉCRYPTAGE
Ils ne sont que quelques milliers à vivre dans ce
bidonville de bois et de plastique, après avoir fui les conflits qui
minent leurs pays (Syrie, Soudan, Erythrée). Tous les soirs, les quelque
3 000 habitants de la «jungle» de Calais tentent de traverser le tunnel
sous la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni, où ils imaginent trouver
un avenir meilleur. Onze d’entre eux ont péri depuis début juin.Passage au crible des solutions pour sortir de la crise des demandeurs d’asile, dont la «jungle» de Calais est la partie émergée.
Face au problème, les responsables politiques semblent au mieux
démunis, au pire dans l’outrance. De l’autre côté du Channel, l’extrême
droite, chauffée à blanc par une presse tabloïd qui compare cette «invasion»
migratoire à celle de Hitler en 1940, propose ainsi d’envoyer l’armée
britannique à Calais. David Cameron, le Premier ministre conservateur,
ne raisonne qu’en termes de sécurisation du tunnel. Côté français, on
n’est pas en reste. L’ex-ministre du Travail Xavier Bertrand (LR)
fustige l’inaction britannique et émet l’idée de «laisser partir les migrants» au Royaume-Uni, avant d’évoquer un «blocus maritime tout près des côtes libyennes». Henri Guaino, député LR dans les Yvelines, demande aux Britanniques de «prendre leur part du fardeau», alors que François Hollande résume : «Nous
sommes devant la situation de réfugiés en grand nombre, dont nous
devons tout faire pour qu’ils évitent de venir jusqu’à nous, tout en les
traitant dignement.» Un numéro d’équilibriste qui illustre
parfaitement l’absence de réflexion autour d’une politique migratoire
commune. Pourtant, des solutions existent. Elles proviennent
d’associations, mais aussi d’organismes publics, et dressent les pistes
pour tenter de répondre, au-delà des effets d’annonce et des larmes de
crocodile, à cette crise humaine.
Signé en 2003, quelques mois après la fermeture du centre de Sangatte, le traité du Touquet prévoit des contrôles communs menés par les autorités françaises et britanniques dans les ports maritimes des deux pays. Censé juguler l’immigration clandestine vers la Grande-Bretagne, ce texte est accusé d’avoir alimenté la crise à Calais. Début juillet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommandait même de dénoncer ces accords bilatéraux qui ont conduit «à faire de la France le "bras policier" de la politique migratoire britannique». La CNCDH estime que cela «aboutit en pratique à interdire aux migrants de quitter [l’Hexagone]» et constitue une «atteinte à la substance même du droit d’asile». Pour Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile, «l’idéal» serait sûrement de «faire annuler l’accord du Touquet» : «La situation à Calais est le résultat d’un impensé européen, de l’égoïsme britannique et de l’abandon de la souveraineté française.»
Ouvrir un corridor humanitaire
vers l’Angleterre
Mais dénoncer cet accord prendrait du temps. «A défaut», Pierre Henry suggère donc d’ouvrir à Calais un «bureau d’asile commun» à la France et au Royaume-Uni. «Les Britanniques sont signataires de la convention de Genève [qui prévoit la protection pour les victimes de persécutions, ndlr], détaille-t-il. A eux de prendre leur part des migrants et de respecter leurs engagements.» L’idée est partagée par Christian Salomé, président de l’Auberge des migrants, une association qui intervient dans la «jungle» : «Il faut un corridor humanitaire pour les gens qui viennent de pays en guerre et qui ont de la famille ou des amis là-bas. Le but, c’est d’effectuer un traitement rapide des dossiers pour que les gens ne restent pas deux ans dans de telles conditions.»
Améliorer l’existant à Calais
La proposition ne fait pas consensus : faut-il rouvrir à Calais un centre d’accueil permanent pour les migrants, offrant gîte et couvert ? Treize ans après le démantèlement de Sangatte, la peur de «l’appel d’air» est toujours là. Un rapport remis un juin à Bernard Cazeneuve tranchait : «L’accès à un toit, même très sommaire, est un point fondamental», mais il ne saurait être un «préalable». Pierre Henry ne partage pas ces conclusions : «La "jungle" est un sous-camp. Il faut mettre en place une structure aux normes internationales.»
Fluidifier l’asile
Yasire a 22 ans. Soudanais du Darfour, il a demandé l’asile en France il y a trois mois. Pourtant, l’homme, qui vit dans la «jungle», essaie tous les soirs de rejoindre le Royaume-Uni. Il sait que l’examen de son dossier risque de traîner et qu’en attendant une réponse définitive, ce qui peut prendre deux ans, il devra peut-être dormir dehors. En Angleterre, imagine-t-il, «ça a l’air plus facile, on a un toit immédiatement». Ce raisonnement, ils sont nombreux à l’avoir. Le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), Pascal Brice, le reconnaît : il faut instituer une «culture de l’asile» dans le Pas-de-Calais. Autrement dit, faciliter les démarches en préfecture pour les migrants et traiter plus rapidement leurs dossiers. C’est un des objectifs de la nouvelle loi asile votée début juillet à l’Assemblée nationale. Elle vise à réduire le délai d’instruction maximal à neuf mois. Car si les points de tension se multiplient partout en Europe, c’est aussi parce que les Etats membres ne se sont pas encore adaptés à la nouvelle donne migratoire. Les procédures, touffues et loin d’être harmonisées, contribuent aussi à la création de points de fixation des étrangers et, par conséquent, à des situations humanitaires difficiles à gérer. L’affaire n’est pourtant pas insurmontable : les migrants arrivés illégalement dans l’UE en 2014 ne représentaient que 0,05 % de sa population.
commun en Europe
C’est un premier pas, timide, vers ce qui pourrait constituer une politique migratoire européenne commune ne se résumant pas uniquement à dresser des murs de plus en plus élevés aux portes de l’Union, et dont le coût, selon le collectif Migrants Files, a représenté 13 milliards d’euros depuis 2000.
Après plusieurs semaines de négociations acharnées, le 20 juillet, les 28 membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur un mécanisme de «relocalisation» et de «réinstallation» des migrants. Objectif : soulager l’Italie et la Grèce qui, du fait de leur situation géographique, sont les principales portes d’accès maritimes pour les exilés. Et qui, selon le règlement de Dublin, sont obligés, en tant que pays de «première entrée», d’examiner en priorité les demandes d’asile. Une situation ingérable pour eux. Les dirigeants européens ont donc décidé d’ouvrir 32 256 places au titre de la relocalisation. Parmi elles, 12 000 seront fournies par l’Allemagne et 9 000 par la France. Ces pays, volontaires pour l’opération, s’engagent à étudier un certain nombre de dossiers de demande d’asile qui devaient en théorie échoir à la Grèce ou l’Italie. L’effort reste toutefois minime. De nombreux Etats, comme l’Autriche, la Hongrie ou encore l’Espagne, ont offert peu, voire aucune place.
Avant même la signature du compromis, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, se montrait dépité : «Vu l’ampleur du phénomène, donner une perspective de vie à 60 000 personnes [un chiffre qui n’a même pas été atteint, ndlr] est un effort modeste. Cela prouve que l’Europe n’est pas à la hauteur des principes qu’elle déclame.»
Favoriser l’immigration légale
en vendant des visas
L’idée est toute simple : plutôt que de voir des milliers de personnes dépenser des fortunes pour tenter de rejoindre l’Europe, qui elle-même se barricade, pourquoi ne pas ouvrir des voies d’immigration légale, sous la forme de visas payants. C’est ce que propose Emmanuelle Auriol, chercheuse à l’Ecole d’économie de Toulouse : «Plusieurs pays ont déjà mis en place ce genre de système, à l’image d’Israël ou de la Jordanie. Ils accordent des permis de travail temporaires sur des emplois peu qualifiés. Et passent par des agences de placement dans les pays d’origine des migrants, où on leur fournit des billets d’avion. Pour la France, on pourrait imaginer le même dispositif dans les pays d’Afrique francophone.» L’étude préconise en parallèle d’accentuer la répression contre les réseaux de passeurs et les entreprises qui ont recours au travail au noir.
Nigel Farage, le leader de la formation d’extrême droite Ukip (12,8 % des voix aux dernières élections générales au Royaume-Uni), suggère d’envoyer les soldats britanniques pour sécuriser le site d’Eurotunnel. Outre qu’ils ne sont pas formés pour le maintien de l’ordre, cette démarche constituerait une perte de souveraineté impensable pour la France.
Renvoyer les migrants chez eux
«Des frontières et des charters : la solution pour Calais et le reste.» Voici, d’un tweet signé Florian Philippot, la position du Front national pour régler la crise migratoire. Inepte : aucune démocratie ne s’est encore hasardée à expulser un Syrien vers Damas. Quant aux Afghans, Soudanais ou Erythréens, les tribunaux administratifs cassent souvent les rares demandes d’expulsion à leur encontre. Soit parce que les pays d’origine ne délivrent pas de laisser-passer, soit parce que la situation sécuritaire y est jugée trop dangereuse.
Les solutions possibles
Dénoncer les accords franco-britanniquesSigné en 2003, quelques mois après la fermeture du centre de Sangatte, le traité du Touquet prévoit des contrôles communs menés par les autorités françaises et britanniques dans les ports maritimes des deux pays. Censé juguler l’immigration clandestine vers la Grande-Bretagne, ce texte est accusé d’avoir alimenté la crise à Calais. Début juillet, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommandait même de dénoncer ces accords bilatéraux qui ont conduit «à faire de la France le "bras policier" de la politique migratoire britannique». La CNCDH estime que cela «aboutit en pratique à interdire aux migrants de quitter [l’Hexagone]» et constitue une «atteinte à la substance même du droit d’asile». Pour Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile, «l’idéal» serait sûrement de «faire annuler l’accord du Touquet» : «La situation à Calais est le résultat d’un impensé européen, de l’égoïsme britannique et de l’abandon de la souveraineté française.»
Ouvrir un corridor humanitaire
vers l’Angleterre
Mais dénoncer cet accord prendrait du temps. «A défaut», Pierre Henry suggère donc d’ouvrir à Calais un «bureau d’asile commun» à la France et au Royaume-Uni. «Les Britanniques sont signataires de la convention de Genève [qui prévoit la protection pour les victimes de persécutions, ndlr], détaille-t-il. A eux de prendre leur part des migrants et de respecter leurs engagements.» L’idée est partagée par Christian Salomé, président de l’Auberge des migrants, une association qui intervient dans la «jungle» : «Il faut un corridor humanitaire pour les gens qui viennent de pays en guerre et qui ont de la famille ou des amis là-bas. Le but, c’est d’effectuer un traitement rapide des dossiers pour que les gens ne restent pas deux ans dans de telles conditions.»
Améliorer l’existant à Calais
La proposition ne fait pas consensus : faut-il rouvrir à Calais un centre d’accueil permanent pour les migrants, offrant gîte et couvert ? Treize ans après le démantèlement de Sangatte, la peur de «l’appel d’air» est toujours là. Un rapport remis un juin à Bernard Cazeneuve tranchait : «L’accès à un toit, même très sommaire, est un point fondamental», mais il ne saurait être un «préalable». Pierre Henry ne partage pas ces conclusions : «La "jungle" est un sous-camp. Il faut mettre en place une structure aux normes internationales.»
Fluidifier l’asile
Yasire a 22 ans. Soudanais du Darfour, il a demandé l’asile en France il y a trois mois. Pourtant, l’homme, qui vit dans la «jungle», essaie tous les soirs de rejoindre le Royaume-Uni. Il sait que l’examen de son dossier risque de traîner et qu’en attendant une réponse définitive, ce qui peut prendre deux ans, il devra peut-être dormir dehors. En Angleterre, imagine-t-il, «ça a l’air plus facile, on a un toit immédiatement». Ce raisonnement, ils sont nombreux à l’avoir. Le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), Pascal Brice, le reconnaît : il faut instituer une «culture de l’asile» dans le Pas-de-Calais. Autrement dit, faciliter les démarches en préfecture pour les migrants et traiter plus rapidement leurs dossiers. C’est un des objectifs de la nouvelle loi asile votée début juillet à l’Assemblée nationale. Elle vise à réduire le délai d’instruction maximal à neuf mois. Car si les points de tension se multiplient partout en Europe, c’est aussi parce que les Etats membres ne se sont pas encore adaptés à la nouvelle donne migratoire. Les procédures, touffues et loin d’être harmonisées, contribuent aussi à la création de points de fixation des étrangers et, par conséquent, à des situations humanitaires difficiles à gérer. L’affaire n’est pourtant pas insurmontable : les migrants arrivés illégalement dans l’UE en 2014 ne représentaient que 0,05 % de sa population.
Les solutions audacieuses
Organiser un véritable accueilcommun en Europe
C’est un premier pas, timide, vers ce qui pourrait constituer une politique migratoire européenne commune ne se résumant pas uniquement à dresser des murs de plus en plus élevés aux portes de l’Union, et dont le coût, selon le collectif Migrants Files, a représenté 13 milliards d’euros depuis 2000.
Après plusieurs semaines de négociations acharnées, le 20 juillet, les 28 membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur un mécanisme de «relocalisation» et de «réinstallation» des migrants. Objectif : soulager l’Italie et la Grèce qui, du fait de leur situation géographique, sont les principales portes d’accès maritimes pour les exilés. Et qui, selon le règlement de Dublin, sont obligés, en tant que pays de «première entrée», d’examiner en priorité les demandes d’asile. Une situation ingérable pour eux. Les dirigeants européens ont donc décidé d’ouvrir 32 256 places au titre de la relocalisation. Parmi elles, 12 000 seront fournies par l’Allemagne et 9 000 par la France. Ces pays, volontaires pour l’opération, s’engagent à étudier un certain nombre de dossiers de demande d’asile qui devaient en théorie échoir à la Grèce ou l’Italie. L’effort reste toutefois minime. De nombreux Etats, comme l’Autriche, la Hongrie ou encore l’Espagne, ont offert peu, voire aucune place.
Avant même la signature du compromis, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, se montrait dépité : «Vu l’ampleur du phénomène, donner une perspective de vie à 60 000 personnes [un chiffre qui n’a même pas été atteint, ndlr] est un effort modeste. Cela prouve que l’Europe n’est pas à la hauteur des principes qu’elle déclame.»
Favoriser l’immigration légale
en vendant des visas
L’idée est toute simple : plutôt que de voir des milliers de personnes dépenser des fortunes pour tenter de rejoindre l’Europe, qui elle-même se barricade, pourquoi ne pas ouvrir des voies d’immigration légale, sous la forme de visas payants. C’est ce que propose Emmanuelle Auriol, chercheuse à l’Ecole d’économie de Toulouse : «Plusieurs pays ont déjà mis en place ce genre de système, à l’image d’Israël ou de la Jordanie. Ils accordent des permis de travail temporaires sur des emplois peu qualifiés. Et passent par des agences de placement dans les pays d’origine des migrants, où on leur fournit des billets d’avion. Pour la France, on pourrait imaginer le même dispositif dans les pays d’Afrique francophone.» L’étude préconise en parallèle d’accentuer la répression contre les réseaux de passeurs et les entreprises qui ont recours au travail au noir.
Les solutions délirantes
Envoyer l’arméeNigel Farage, le leader de la formation d’extrême droite Ukip (12,8 % des voix aux dernières élections générales au Royaume-Uni), suggère d’envoyer les soldats britanniques pour sécuriser le site d’Eurotunnel. Outre qu’ils ne sont pas formés pour le maintien de l’ordre, cette démarche constituerait une perte de souveraineté impensable pour la France.
Renvoyer les migrants chez eux
«Des frontières et des charters : la solution pour Calais et le reste.» Voici, d’un tweet signé Florian Philippot, la position du Front national pour régler la crise migratoire. Inepte : aucune démocratie ne s’est encore hasardée à expulser un Syrien vers Damas. Quant aux Afghans, Soudanais ou Erythréens, les tribunaux administratifs cassent souvent les rares demandes d’expulsion à leur encontre. Soit parce que les pays d’origine ne délivrent pas de laisser-passer, soit parce que la situation sécuritaire y est jugée trop dangereuse.
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