Chaque année le milliardaire nigérian Tony Elumelu offre dix millions de dollars pour aider mille jeunes à démarrer leur projet d’entreprise et ainsi favoriser l’emploi sur le continent. Parmi les lauréats 2015 se trouvaient trois Gabonais, dont Jauvy-Sylviane Mengue Ovono, une étudiante en finance et comptabilité de 24 ans qui souhaite se lancer dans l’agro-alimentaire. Libération l'a rencontrée en marge de l'intervention de l'homme d'affaires philanthrope au forum citoyen.

En quoi consiste votre projet ? 
Je suis en train de créer une marque de frites surgelées bio qui seront produites, transformées et conditionnées localement, ici, au Gabon. C’est un défi de taille car l’Afrique centrale est très consommatrice de frites, mais il n’existe pas de filière de production dans la région. L’agriculture est peu développée dans notre pays, car nous avons basé la quasi-totalité de notre économie sur nos ressources pétrolières. Chaque année nous importons pour 300 milliards de francs CFA de produits agro-alimentaires. C'est dommage car le climat chaud et humide du Gabon est propice à l’agriculture. 
Pourquoi selon vous votre projet a-t-il été sélectionné, parmi les 20.000 candidatures reçues par la fondation Tony Elumelu ?
Parce qu’il y a de réelles opportunités de développement dans le secteur agroalimentaire gabonais. La fondation a pensé par conséquent que ce projet pouvait beaucoup apporter à mon pays, en terme d’emplois comme de développement de sa filière agricole.
La suite, c’est quoi ? 
J’ai terminé en juin la formation de douze semaines proposée aux mille entrepreneurs sélectionnés par la fondation. Un bootcamp permettant aux lauréats de rencontrer des entrepreneurs de le secteur a ensuite été organisé en juillet pour nous mettre le pied à l’étrier. Ensuite, c’était à nous de jouer. Grâce aux 5 000 dollars offerts par la formation j’ai pu terminer mon business plan, acquérir quelques hectares de terre et démarrer la mise au point de mon prototype. Un second investissement de la fondation de 5 000 dollars devrait me permettre de créer une recette et de continuer le développement de mon produit. Mais surtout, la «marque» de la fondation Tony Elumelu me rendra plus persuasive lorsque j’irai démarcher les banques pour obtenir des emprunts. 
Que représente Tony Elumelu pour vous ? 
Il est un mentor, car il a cru en moi et m’a accompagné dans mon projet. C'est un modèle car il m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas tout attendre de l’Etat. Nous avons, nous, citoyens africains, un rôle à jouer dans le développement de l’Afrique. En créant mon entreprise, je souhaite créer de l’emploi et ainsi m’impliquer à mon niveau. 
Partir de l’Afrique, vous y avez déjà pensé ? 
Non pas vraiment. J’ai eu envie, il y a quelques années, d’aller faire mes études dans un pays de l’Afrique anglophone comme le Ghana et, qui sait, j’irai peut-être un jour. Mais l’Europe et les Etats-Unis ne me font pas plus rêver que ça. Les opportunités sont ici, en Afrique.

Claire Lefebvre, Libération
 
 Tribune de Tony Elumelu, président de la fondation Tony Elumelu
 
 Tony Elumelu échangera avec le public de 14h30 à 15h vendredi 9 octobre à la salle de conférence du stade de l'Amitié de Libreville. Il prendra ensuite part à la table ronde 'France-Europe-Afrique' de 15h à 16h30.

L’«africapitalisme», des solutions africaines aux enjeux africains

J’ai eu l’honneur il y a quelques jours de participer au siège des Nations Unies, à New York, à la ratification des nouveaux objectifs mondiaux qui succèdent aux objectifs du millénaire pour le développement, lancés en 2000. Ces nouveaux objectifs prioritaires sont aussi connus sous le nom d’objectifs pour le développement durable. Le but des Nations Unies, en définissant ceux-ci, est de pallier aux difficultés du continent africain, surtout en ce qui concerne le chômage des jeunes.

L’un des facteurs clés du changement positif au niveau social et politique est l’émancipation économique. Celle-ci est différente de la croissance économique. Ainsi, si l’Afrique compte six des dix pays qui connaissent la plus forte croissance au monde, ces pays à forte croissance n’arrivent pas à tirer le reste de l’économie du continent vers le haut. Selon des études menées par le FMI sur 173 pays au cours des 50 dernières années, les pays avec une forte inégalité sociale ont tendance à avoir une croissance économique faible et non durable. Aussi, en tant qu’Africain, si nous voulons faire face aux défis de notre continent et poser les bases d’un développement durable, nous devons être plus solidaires.

De nos jours, le symptôme le plus visible de l’inégalité économique en Afrique est le problème de l’immigration des réfugiés du continent vers l’Europe.

Pourtant, selon une étude réalisée en juillet par le Réseau International des Réfugiés, une ONG internationale, il y a au Maroc 40 000 immigrés clandestins venant du Nigéria, Cameroun, Ghana et des pays francophones du continent. Bien que les médias aient montré les tragédies des migrants syriens, ils manquent de mettre en exergue les problèmes et le manque d’opportunités auxquels ces migrants font face dans leurs pays respectifs. Pour trouver une solution définitive à ce problème, la communauté internationale se doit d’aider les Etats africains à la mise en place de structures qui pourraient empêcher par leur action cette envie d’aller chercher une meilleure vie ailleurs. Je pense que la philosophie d’ «africapitalisme» pourrait énormément aider à la réalisation de cet objectif.

L’«africapitalisme» repose sur la prémisse selon laquelle le secteur privé africain a un rôle clé à jouer dans la transformation de l’économie du continent.

Ainsi seul un investissement à long terme dans les secteurs stratégiques, permettra aux Africains de finalement profiter de leurs ressources naturelles et de leur capital humain. En réalité, la majorité des récents succès économiques du continent a été enclenché par des multinationales étrangères. Nous pouvons remédier à cela en développant la capacité des entreprises à maîtriser et assumer les éléments complexes de la chaîne de distribution, ce qui nous permettrait de bénéficier des retombées de l’exploitation de nos propres ressources. Je ne prône pas la nationalisation, mais je propose que le secteur privé africain soit plus audacieux en protégeant et en promouvant ses propres intérêts.

Le Gabon est l’exemple typique du pays africain avec d’importantes ressources naturelles qui a enregistré des performances économiques avec une croissance de 5,1% ces dernières années, au-dessus de la croissance économique du continent à 4,5% sur la même période. Cependant, comme la majorité des économies africaines, le Gabon est dépendant du pétrole qui représente environ 50% du PIB, 60% des revenus de l’Etat et 80% des exportations. Ce déséquilibre joue un rôle important dans le problème du chômage qui touche le pays, et atteint près de 20% des actifs et 30% des jeunes. Ce problème va au-delà du simple fait de mettre en place de nouvelles politiques d’emplois. Une solution définitive passe par une restructuration de l’économie gabonaise qui permettrait aux entreprises et talents du pays d’exercer de plus en plus de contrôle sur les éléments à valeur ajoutée de la chaine de production de pétrole et favoriser un impact important du secteur pétrolier sur l’économie nationale. Conscient de ce fait, je comprends l’importante démarche innovatrice du Gabon et son effort à actualiser le plan de développement stratégique du pays.

L’une de mes principales certitudes repose sur l’ingéniosité inhérente et la capacité de mes compagnons africains à trouver des solutions aux enjeux majeurs du continent. 

 C’est avec cette certitude que, plus tôt cette année, j’ai utilisé mes propres fonds pour le lancement du Tony Elumelu Entrepreneurship Programme – une initiative de 100 millions de dollars déclinée sur 10 ans qui compte parrainer, former et mettre à la disposition de 10 000 entrepreneurs africains le capital dont ils ont besoin pour donner vie à leurs idées. Dès la première année du programme, 1000 entrepreneurs venant de 52 pays africains ont été sélectionnés, et 30% des entrepreneurs choisis ont commencé un business dans l’agriculture.

L’adoption de l’«africapitalisme» par les entreprises et les gouvernements faciliterait l’utilisation de business model plus inclusifs, le développement d’un environnement des affaires plus amical et encouragerait aussi tout un chacun à entreprendre. Par ailleurs, l’«africapitalisme» définit le futur du continent en redonnant les clés de développement à l’Africain tout en mettant fin aux problèmes migratoires.

L’Europe, qui a su renaître après ses nombreuses guerres et crises, est en soit un modèle pour l’Afrique, dans le sens où il est bénéfique aux pays comme aux régions de se débarrasser des barrières commerciales régionales tout en préservant les droits sociaux. Il relève de la responsabilité de tout un chacun, Européens aussi bien qu’Africains, de travailler ensemble pour atteindre nos objectifs communs.

Tony Elumelu, président de la fondation Tony Elumelu