jeudi 26 novembre 2015

Attentats : pourquoi ils pensent que l'état d'urgence est dangereux pour la démocratie?

Associations, syndicats ou politiques : plusieurs voix s'élèvent pour dénoncer les abus de l’état d’urgence décrété à la suite des attentats du 13 novembre.

Par  Amandine Schmitt Amandine Schmitt, l'OBS

Annoncé par François Hollande dès le vendredi 13 novembre, juste après les attentats terroristes de Paris ayant fait 130 morts, l'état d'urgence a été déclaré officiellement le lendemain lors du Conseil des ministres "sur le territoire métropolitain et en Corse". Un décret a été publié au journal officiel et est immédiatement entré en application. Moins d'une semaine après, l'Assemblée nationale a adopté à la quasi-unanimité un projet de loi renforçant et prolongeant pour trois mois l'état d'urgence.

La loi du 3 avril 1955 qui définit l’état d’urgence donne aux autorités des pouvoirs élargis sur la circulation et le séjour des personnes ainsi que sur la fermeture des lieux ouverts au public. Cet état d'exception permet également au ministre de l'Intérieur et au préfet de procéder à des perquisitions administratives de jour comme de nuit sans passer par un juge, mais aussi d'assigner à résidence des individus en dehors de toute procédure judiciaire.

Alors que la Commission des lois du Sénat a créé mercredi 25 novembre un comité de suivi de l'état d'urgence, certaines voix s’élèvent déjà pour dénoncer les abus causés par la situation, comme cette avocate qui raconte que le père de son client a été blessé lors d’une perquisition administrative. De son côté, le site du "Monde" a mis en place un observatoire de l’état d’urgence, tout comme l’association La Quadrature du Net qui tient un "recensement des joies (ou pas) de l'état d'urgence en France". Quels sont les arguments des anti-état d’urgence ? Tour d’horizon.

# Le risque de tomber dans un État policier

  • Selon la Quadrature du net, "depuis le début de l'état d'urgence samedi dernier, nombre de perquisitions administratives conduites le sont pour des affaires relevant du droit commun, sans aucun lien avec la lutte antiterroriste, et préfigurent un État policier que la prorogation de trois mois risque de banaliser". 
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  • "Les lois successives sur la sécurité, le renseignement et l’anti-terrorisme qui n’ont [...] pas permis d’éviter ces attaques ainsi que les propositions actuelles du Chef de l’Etat d’accroître dans l’urgence les pouvoirs de l’exécutif (Etat d’urgence et révision constitutionnelle) sont inquiétantes en ce qu’elles accentuent encore la dérive vers la constitution d’un Etat policier, sans contre-pouvoir effectif. Elles sont une menace pour les libertés fondamentales", renchérit le syndicat des avocats de France. 

# Une décision prise dans la précipitation 

  • Dans une tribune publiée dans "Le Monde", Pouria Amirshahi, député PS des Français établis hors de France, estime que la prolongation se fait "dans la précipitation". Il y explique que "les actions de justice de police ont montré que le besoin prioritaire de moyens et de coordination entre services était plus important sans doute que les dispositifs exorbitants de droits communs accordés aux services de sécurité que constituent par exemple la dernière loi renseignement ou une durée anormalement longue d'un état d'urgence". 

# Tout est déjà dans la loi 

  • "Perquisitions de nuit, assignations à résidence, enquêtes, filatures, surveillance électronique, dissolution d’associations, expulsion d’imams appelant à la violence, tout est déjà prévu dans nos lois. Tout est déjà réalisable par les policiers, gendarmes et agents de renseignement sans prolonger l’état d’urgence", détaille Isabelle Attard, députée Nouvelle Donne du Calvados, sur son blog.

# L'histoire ne donne pas raison à l’état d’urgence 

  • "Je suis d’abord une historienne avant d’être un politique", explique la sénatrice EELV Esther Benbassa. "Je n’ai pas oublié l’état d’urgence de 1961 qui a duré quand même trois ans et qui a donné lieu aux tueries du 17 octobre 1961 et celle du 8 février du métro Charonne. Je comprends qu’il y ait une obligation de la part de l’Etat de donner un signal de sécurité à la population, que l’état d’urgence soit mis en avant pour dire qu’on est à l’écoute des peurs et des craintes des gens mais je ne crois pas que le tout sécurité soit la seule réponse. C’est l’une des réponses. Le phénomène est multi-facettes", souligne-t-elle.

# Le risque de voir des dérapages 

  • "L’état d’urgence il faut le manier avec une extrême prudence”, dit Julien Dray, ancien député PS e l’Essonne. "Si j’avais été parlementaire, j’aurais voté "avec une main tremblante" comme le disait [l’ancien président du Conseil constitutionnel] Pierre Mazeaud". "Car on sait qu’à chaque fois qu’il y a des états d’exception, et l’état d’urgence est un état d’exception, il y a forcément après des dérapages", déclare-t-il encore.

# L'interdiction des mouvements sociaux

Certains s'en prennent plus spécifiquement à l'interdiction de manifester qui court jusqu'au 30 novembre
  • "Le cortège venant de Notre Dame des Landes et qui doit rejoindre Saclay pour un rassemblement contre les grands projets inutiles imposés est menacé de poursuites judiciaires", raconte Le parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. Il demande donc au gouvernement "d’arrêter d’interdire systématiquement tout rassemblement et de se rapprocher des organisateurs pour permettre une expression citoyenne dans des conditions de sécurité discutées en partenariat". 
  • "Ni le deuil suite aux effroyables attentats, que nous partageons toutes et tous, ni les menaces réelles qui pèsent encore, ne peuvent justifier l’interdiction de toutes les manifestations", assène pour sa part Attac. "La pire des politiques est bien de mettre la démocratie en veilleuse et de basculer dans un régime d’exception permanent", s’inquiète dans l’un de ses derniers communiqués l’association altermondialiste.

# "Open bar" dans notre vie numérique

  • "En dehors de tout contrôle strict par l'autorité judiciaire, c'est [...] open bar pour aller chercher de façon extrêmement large n'importe quelle information sur n'importe quel appareil électronique ou informatique de résidents français, et notamment toute information accessible via des identifiants, mots de passe collectés lors d'une perquisition, tout contenu stocké sur Internet, etc.", prévient la Quadrature du net.

# Un message de résignation envoyé à l’État islamique

  • Noël Mamère, député écologiste de Gironde, a développé d’autres arguments lors d’un discours prononcé dans à l'Assemblée nationale : "Les messages de la place de la République, de la rue de Charonne, du Bataclan, de la rue Bichat, tous disent une seule et même chose : 'Nous n’avons pas peur' [...]. Ce message de résilience et d’espoir, nous ne l’entendrons pas si nous prorogeons trop longtemps de telles mesures d’exception. Pire, nous envoyons un message de résignation à l’Etat islamique, qui veut apporter la preuve que notre Etat de droit est faible. Nous devons lui opposer notre détermination commune à défendre une société ouverte, sûre d’elle-même et de ses libertés. Ne lui donnons pas raison."

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