mercredi 24 août 2016

La chasse aux femmes en Burkini en France, un racisme libéré au nom de la laïcité...

 Verbalisées pour un simple voile : la dérive des arrêtés "anti-burkinis"

Messieurs, continuez donc avec ces humiliations publiques et ne soyez surtout plus étonnés de voir des millions d'étrangers éviter de se rendre en France, y compris pour de simples séjours touristiques.

J'ose encore espérer que nous saurons susciter leur émoi et solidarité lorsqu'une autre tragédie (que je ne nous souhaite évidemment pas) s'abattra sur nous.

Parce qu'on ne peut pas de la sorte se montrer ouvertement peu soucieux de la dignité des autres, en raison de leurs différences, et attendre d'eux qu'ils s'attachent à nous: à nos valeurs, à notre civilisation dite universelle, et à notre territoire ...uniquement bien-sur lorsqu'il faut leur soutirer des devises.

Le monde n'a jamais fonctionné ainsi, du moins il fonctionne de moins en moins ainsi. Sauf si certains le conçoivent notamment au sein de la classe politique française comme insignifiant et donc acquis, parce que nous y serions son centre de gravité, indispensable, incontournable, et j'en passe.

Il n'empêche que cette intolérance aux relents racistes et xénophobes (clairement anti-arabes tous assimilés à des musulmans) est entrain de prendre des proportions incontrôlables. Y aura-t-il un seul Homme d'État en France qui saura la maîtriser?

J'en doute de plus en plus.

L'exclusion aux ressorts identitaires confiée à des polices municipales des bonnes mœurs n'a jamais concouru à l’évolution d'une société qui se prétend plus civilisée que toutes les autres. Bien au contraire...

Joël Didier Engo, Président du CL2P

Médiapart

Derrière les arrêtés anti-Burkini, l'«humiliation» des musulmanes

24 août 2016 | Par Carine Fouteau
 Des femmes sommées par des policiers de retirer leur vêtement sur des plages françaises… Le tour que prend la controverse anti-burkini n'est pas seulement grotesque, il est inquiétant en ce qu'il ouvre la voie à de nouvelles interdictions. De nombreuses personnalités, notamment des femmes racisées, protestent contre un régime « discriminatoire » réservé aux musulmanes.
 « Arrêtez de nous humilier, de nous régenter, d’exécuter la violence sur nos corps » : ce tweet de Sana Saeed, écrivaine et productrice nord-américaine, engagée dans la lutte contre l’islamophobie et en faveur du mouvement Black Lives Matter, résume à lui-seul l’état d’exaspération de nombreuses femmes, en particulier racisées, provoqué dans le monde entier par l’interdiction du « burkini » sur plusieurs plages françaises.
La colère a été démultipliée avec la mise en œuvre de l’interdiction, inscrite dans des arrêtés municipaux, à Palavas, Cannes et Nice où, à quelques heures d’intervalle, des femmes ont été sommées de quitter les lieux ou de se dévêtir et de payer une amende – certaines d’entre elles n’étant recouvertes que d’un foulard. « Arrêtez d’être tellement en insécurité que vous voyez notre simple existence comme une menace pour vous », ajoute cette activiste sur Twitter, après avoir rappelé que « forcer les femmes à s’habiller d’une manière ou d’une autre est une valeur française de base : une longue histoire de la coercition contre les corps de femmes ».
L'une des images publiées dans le Daily Mail, à Nice le 23 août.  
L'une des images publiées dans le Daily Mail, à Nice le 23 août.
 
« Est-ce qu’humilier les femmes publiquement fait partie du plan pour les libérer ? », écrit Rav Danya Ruttenberg, femme rabbin américaine. Résidant à Nice, Feiza Ben Mohamed, porte-parole et secrétaire générale de la Fédération des musulmans du Sud, diffuse sur son compte les vidéos de « chasse aux femmes voilées » et commente : « Une honte absolue pour le pays. Les policiers font se déshabiller une femme voilée. J’ai envie de vomir. »

« Comment accepter l’humiliation publique infligée à cette femme voilée que la police oblige à se déshabiller ? », s’interroge Widad Ketfi, journaliste au Bondy Blog. Dans une tribune publiée sur le site Middle East Eye, elle décortique le paradoxe de ces politiciens français qui « veulent que les musulmanes cachent leurs opinions politiques mais découvrent leur corps ». Le burkini, qu’elle définit comme un « maillot de bain qui ressemble à une combinaison de plongée portée par des femmes conservatrices », passerait selon elle inaperçu « si les femmes (qui le portent) n’étaient pas musulmanes ». Les tenants de l’interdiction, poursuit-elle, « ne veulent pas libérer les femmes musulmanes. Ils veulent les déshabiller parce qu’en réalité, le but n’est pas, n’a jamais été, et ne sera jamais d’émanciper les femmes, mais seulement de contrôler leur corps ».

Honteuse, encore une fois, le mot s’impose pour qualifier cette polémique qui occupe l’espace public français depuis le début du mois d’août, et qui donne une idée des débats qui risquent d’avoir lieu lors de la campagne présidentielle. Honteuse parce qu’elle apparaît comme une réaction aux attentats qui ont ensanglanté la France depuis plus d’un an et demi – comme si un quelconque lien pouvait être tracé entre les tueries des djihadistes et le port de ce vêtement ; et parce qu’elle signale, une fois de plus, l’obsession française, voire de l’État français, à l’encontre des femmes musulmanes.


Tout semble avoir été dit par ces éditorialistes en colère, sur les réseaux sociaux et dans les tribunes des journaux, notamment anglo-saxons, plus soucieux de relayer leurs analyses que les médias français. La contradiction inhérente à l’interdiction née dans la tête de quelques hommes blancs de plus de 50 ans exerçant le pouvoir est évidente. « Il y a quelque chose qui donne le vertige, développe en substance Amanda Taub, dans le New York Times, dans le fait d’interdire un vêtement au motif que les femmes ne doivent pas se laisser imposer leur vêtement. »

Cette interdiction, qui s’inscrit dans l’histoire coloniale de la France, ne vise pas à protéger les femmes contre le patriarcat, affirme-t-elle, contrairement à ce que ses défenseurs déclarent – Manuel Valls a lui-même fustigé une tenue qui serait la « traduction d’un projet politique, de contre-société, fondé notamment sur l’asservissement de la femme » et qui, à ce titre, ne serait « pas compatible avec les valeurs de la France et de la République ». L'objectif est tout autre : il est de donner le sentiment à la majorité non musulmane vivant en France qu’elle peut être « protégée » dans un pays « en mutation » qui refuse de se voir tel qu’il est, c’est-à-dire divers culturellement, racialement et religieusement.


Cette peur fabriquée d’une mise en péril de l’« identité française » fait l’objet dans l’Hexagone de déchirements récurrents, qui, autre spécificité nationale, se fixent quasiment systématiquement sur les femmes musulmanes. Alors même que cette population est reléguée aux places subalternes de la société, elle serait porteuse d’un danger en elle-même. Alors même que ces femmes sont cantonnées aux emplois de ménage, la nuit, ou d’aide à la personne, dans les maisons, quand elles ne sont pas contraintes de rester au foyer en raison des discriminations dont elles sont victimes, elles seraient une entorse à la définition de ce qu’est être français. Il est frappant de constater qu’elles sont appelées à plus de « discrétion » (selon le terme employé par Jean-Pierre Chevènement, nommé à la tête de la Fondation pour l’islam de France), au moment même où cette invisibilité commence à être remise en cause par de jeunes femmes issues de l’immigration, nées en France, qui revendiquent de multiples manières leur pratique de l’islam et, parfois, le port du voile comme un symbole de leur héritage.

Le burkini n’est en effet que l’ultime facette de cette stigmatisation qui s’est déjà portée, entre autres exemples, dans l’histoire récente, sur le foulard dans toutes ses versions : à l’école, où il est interdit depuis 2004 pour les jeunes filles ; à l’université, où Nicolas Sarkozy et Manuel Valls à l'unisson estiment son éviction urgente ; dans l’entreprise, où chaque affaire devant les prud’hommes est l’occasion d’une polémique ; lors les sorties scolaires, dont des mères risquent d’être exclues au motif qu’elles portent le foulard. La « jupe longue noire » est aussi dans le collimateur de certains chefs d’établissement, tandis que le voile intégral est banni de l’espace public depuis 2010.

«Le colonialisme a pratiqué une politique d’humiliation afin de montrer sa suprématie»

Cette fois-ci, comme les précédentes, les principales concernées – les femmes musulmanes portant le burkini – n’ont pas accès à la parole. Quelles ont été leurs motivations pour revêtir cette tenue ? Quelles conséquences cette décision a-t-elle eues dans leur vie ? Leur voix est restée jusqu’à présent inaudible, et les appels à témoin que viennent de lancer quelques journaux apparaissent comme l’aveu tardif d’un silence devenu assourdissant. La question des usages de ce vêtement est de même passée en arrière-plan : quelles en sont les trajectoires historiques et les réappropriations présentes collectives ou individuelles ? Pourtant nombreux, les travaux sociologiques et anthropologiques sur la diversité des significations n'ont guère été convoqués pour éclairer les débats. La linguiste Marie-Anne Paveau voit dans cet « oubli » le symptôme d’une « énonciation ventriloque ». « C’est un mécanisme tout à fait analogue d’invisibilisation et de réduction au silence qui préside à un autre procédé d’ordre énonciatif qui fait florès en ce moment dans la vie politique et médiatique française et qu’on peut appeler, en termes communs, “parler à la place des autres”, indique-t-elle. Cette forme énonciative cible particulièrement les individus habituellement minorisés, voire stigmatisés, et parfois vulnérables : les femmes, les individus racisés, les musulman.e.s. Et elle est, sans surprise, plutôt adoptée par des dominant.e.s, non racisé.e.s, non stigmatisé.e.s, et n’appartenant pas à des minorités, visibles ou invisibles. »

Cette fois-ci encore, les femmes musulmanes sont mises à l’index non pas en raison de leur pensée ou de leur attitude (l’une d’entre elles semblait assoupie quand elle a été verbalisée), mais de leur corps. Le choix vestimentaire pourtant généralement considéré comme relevant de l’ordre de l’intime s’est transformé pour elles en une question de politique nationale, discutée comme un problème mettant en cause soit les « valeurs de la République », soit l’« ordre public ». Cela n’est pas nouveau. Dès l’époque coloniale, l’État français n’a eu de cesse de chercher à dévoiler les « femmes indigènes ». Dans un article publié (avant la controverse estivale) sur le site Contre-attaque(s), Zhor Firar, militante associative, retrace cette « longue histoire française ». Elle évoque ainsi le rôle d’une association créée par les épouses des généraux Salan et Massu dans l’organisation d’un « dévoilement » public en mai 1958 de femmes d’Alger. « Dévoiler pour mieux régner et surtout pour contrôler ces consciences, cette arme colonisatrice s’est vue déployée lors de la guerre d’Algérie pour imposer le modèle civilisateur », indique l’auteure, qui explique que plusieurs « cérémonies » suivront lors de manifestations initiées par l’armée.

L’historienne Jennifer Boittin en a raconté le déroulement (« Feminist mediations of the exotic : french Algeria, Morocco and Tunisia, 1921-1939 », Gender & History, vol. 22, no 1, avril 2010, p. 133, citée dans Les Féministes blanches et l’empire, Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem, La Fabrique, octobre 2012, p. 30) : « À chaque occasion, on pouvait assister à une quasi identique, et théâtrale, mise en scène : des groupes de femmes voilées marchaient en parade jusqu’aux lieux traditionnellement dédiés aux cérémonies officielles (places centrales, hôtels de villes, monuments aux morts). À l’arrivée, une délégation de jeunes femmes, habillées à l’européenne ou portant le haïk (voile traditionnel algérien), partageaient l’estrade ou le balcon avec les généraux et les dignitaires présents, bouquets à la main, et délivraient de longs discours en faveur de l’émancipation des femmes avant de lancer leurs voiles à la foule. » « Par ces dévoilements, le colonialisme a pratiqué une politique d’humiliation afin de montrer sa suprématie face à l’Orient désigné comme barbare », conclut Zhor Firar, après avoir rappelé que les campagnes de « dévoilement » s’accompagnèrent d’un mouvement de « revoilement » décrit par Franz Fanon comme un signe de résistance.

Cette obsession française est saluée par les communicants de l’État islamique. Dans sa revue francophone Dar-al-Islam #10, l’organisation djihadiste se réjouit du fait que la France ne serait plus une « zone grise », c’est-à-dire qu’elle serait devenue un pays où l’islam et la laïcité seraient désormais incompatibles. Interrogé sur France Info à propos des cas de verbalisation sur les plages de la Côte d’Azur, le reporter spécialiste du djihadisme David Thomson explique que « les sympathisants djihadistes semblent eux-mêmes surpris que la police municipale de Nice fasse leur travail de propagande à leur place. Pour eux, c'est du pain bénit. Le récit djihadiste martèle depuis des années qu'il serait impossible pour un musulman de vivre sa religion dignement en France ». « Pourtant, souligne-t-il, au début de la polémique sur le burkini, djihadistes et salafistes s'étonnaient de “tout le vacarme fait par des mécréants” au sujet d'un usage vestimentaire qu'eux-mêmes jugent contraire à leur dogme. » 

Au regard de l’ampleur que prend la controverse, il semble que ses instigateurs aient, eux aussi, intérêt à l’alimenter. Aucun des défenseurs de l’interdiction n’avance d’ailleurs à visage découvert : loin d’envisager les effets discriminatoires et attentatoires aux libertés individuelles de leur geste, les maires-censeurs affirment agir pour le bien des femmes voilées elles-mêmes. Et donnent des arguments juridiques relatifs aux « valeurs de la République » et à l’« ordre public » pour se justifier, comme l’explique la professeure de droit public Stéphanie Hennette-Vauchez, directrice de Credof (Centre de recherches et études sur les droits fondamentaux à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense) dans un billet de blog sur Libération publié le 23 août.

Or, selon la juriste, ces arguments, bien que validés en première instance par la justice administrative, ne tiennent pas. Le fait de lier des risques de troubles au contexte généré par les attentats est « dangereux », affirme-t-elle, non seulement au plan théorique, en raison des amalgames risquant de porter atteinte indûment aux libertés fondamentales, mais aussi au plan technique puisqu’en principe, pour être reconnu, le trouble à la sécurité est censé être documenté, ce qui n’est pas le cas dans les situations répertoriées. Le recours aux « valeurs » est, d’après elle, tout aussi injustifié : le principe de laïcité, rappelle-t-elle, « ne saurait être lu comme générant une obligation de neutralité religieuse pesant sur les personnes privées dans l’espace public ». En déclarant que « les plages ne constituent pas un lieu adéquat pour exprimer de façon ostentatoire ses convictions religieuses » et que « dans un État laïc, elles n’ont pas vocation à être érigées en lieu de culte et doivent rester au contraire un lieu de neutralité religieuse », le juge administratif semble redéfinir en toute liberté « le statut de l’ensemble des plages françaises, ainsi que de la manière dont la liberté religieuse peut, ou non, s’y déployer ».

Cette histoire serait grotesque, si elle n’était pas grave. Car, ce faisant, des maires, qui n'ont pourtant pas de pouvoir législatif, préparent le terrain à de nouvelles interdictions nationales. Les policiers municipaux ne sont pas des sociologues, susceptibles de distinguer entre tel et tel usage. Les verbalisations de femmes simplement voilées en témoignent. Le rôle de police des mœurs qui leur est confié les place dans une situation juridiquement, politiquement et humainement intenable. Le Conseil d’État, appelé à se prononcer ce jeudi 25 août, saura-t-il rappeler les va-t-en guerre à la raison ?


«Burkini»: ordre public contre liberté de conscience devant le conseil d’État

Médiapart 25 août 2016 | Par Carine Fouteau
Le conseil d'État, qui doit rendre sa décision le 26 août à propos de l'arrêté anti-burkini pris par le maire de Villeneuve-Loubet, a auditionné ce jeudi les parties prenantes. La LDH et le CCIF ont dénoncé des atteintes à la liberté de conscience, de se vêtir et d’aller et venir, tandis que l'avocat de la ville s'est réfugié derrière la notion d'ordre public, tout en cherchant à minimiser l'affaire.

Il y avait foule au conseil d’État ce jeudi après-midi pour l’audition des parties en présence dans le cadre de l’affaire qui oppose la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), à la ville de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes). En cause : l’arrêté municipal du 5 août 2016, validé en première instance par le tribunal administratif de Nice, le 19 août, exigeant sur les plages de la commune le port de « tenues respectueuses des bonnes mœurs et de la laïcité », et que les requérants considèrent comme contraire à la liberté de conscience, à la liberté de se vêtir et à la liberté d’aller et venir.

Réunis en formation collégiale, les juges des référés de la plus haute juridiction administrative sont appelés à répondre à la question ainsi formulée par le président de séance : ce maire de la Côte d’Azur a-t-il abusé de ses prérogatives en matière de pouvoir de police ? L’enjeu fondamental est toutefois d’une autre nature, sachant qu’une trentaine de villes ont déjà pris des arrêtés du même type et que les décisions du conseil font jurisprudence. Il se résume ainsi : les maires vont-ils être autorisés à interdire dans l’espace public le port de vêtements manifestant un attachement à une religion, alors que la loi ne le prévoit pas, jusqu’à présent tout du moins ? Et, si oui, dans quelles limites ? Après le burkini, le foulard, qui a fait l’objet de verbalisations au cours de ces derniers jours, serait-il concerné ? Ainsi que les soutanes et l’ensemble des tenues supposées avoir une connotation religieuse ? La « baignade » est visée par l’arrêté, mais quid des plages? Et de la voie publique?

En cette fin d’été, au cours duquel la polémique sur le port du burkini n’a cessé de prendre de l’ampleur, la chaleur caniculaire n’a pas empêché le spectacle d’être au rendez-vous dans cette vaste salle d’audience ouverte au public. À l’issue d’un échange d’arguments d’une heure et demie, le conseil d'État a annoncé que la décision serait rendue le vendredi 26 août à 15 h.

Alors que les requérants n’ont pas manqué de souligner l’importance de l’ordonnance à propos d’une mesure attentatoire, selon eux, aux libertés fondamentales, l’avocat de la ville s’est efforcé de minimiser la portée de l’arrêté en le réduisant à une « mesure préventive visant à garantir l’ordre public ». Quant aux quelques interventions des juges amenés à se prononcer dans les toutes prochaines heures, elles ont principalement contribué à souligner les aspects grotesques de l’interdiction.

Le débat s’est centré sur l’article 4.3 du volumineux arrêté contesté, selon lequel « l’accès à la baignade est interdit à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité et respectant les règles d’hygiène et de sécurité ». Ces termes, malgré leur flou, ciblent, comme l’a reconnu l’avocat de la ville, le port du « burkini », tenue que portent certaines femmes musulmanes, qui recouvre le corps mais laisse apparaître le visage, les mains et les pieds. Ils ont été interprétés de manière extensive dans les communes ayant pris des arrêtés similaires, puisque des personnes revêtues d’un voile ont également été verbalisées.

Pour la Ligue des droits de l’homme, Me Patrice Spinosi a d’abord rappelé que le vêtement incriminé ne présente « aucune différence réelle avec le voile », à la différence du niqab, interdit dans l’espace public depuis six ans, qui recouvre le visage. Et qu’en validant l’arrêté, le conseil d’État autoriserait de facto les maires à interdire de l’espace public l’ensemble des tenues signalant une quelconque religion.
Démontant un à un les fondements de l’article, il a commencé par la laïcité. Soulignant que le principe de neutralité ne s’applique qu’aux institutions et aux agents publics, il a précisé qu'il ne concerne donc ni les usagers des services publics, ni, d’une manière générale, l’espace public, en se référant à l’arrêt Abbé Olivier du 19 février 1909, venu censurer la décision d’un maire interdisant à un curé de porter la soutane lors d’un cortège funéraire sur la voie publique. La seule dérogation à ce principe historique de liberté religieuse est la loi du 11 octobre 2010, prohibant le port du niqab dans les rues, au motif que ce dernier serait vecteur d'insécurité dans la mesure où il dissimule le visage.

Le tribunal administratif de Nice, a continué Patrice Spinosi, ne peut être suivi dans son raisonnement quand il fait de la plage un « lieu de neutralité religieuse », duquel le burkini peut être exclu parce qu’il risque d’« être perçu comme étant l’expression d’une revendication identitaire » en lien avec les attentats perpétrés en France. Cette logique n’est pas « juridique », martèle-t-il, mais « politique ». « La plage, c’est l’espace public ; et ce signe religieux, quoi qu’on en pense, est l’expression d’une liberté de conscience et non d’une revendication identitaire », insiste-t-il.

Les notions d’hygiène et de sécurité des baigneurs, l’avocat les a balayées d’un revers de manche. À propos des « bonnes mœurs », il a fait remarquer que ce principe était plus souvent convoqué pour se plaindre de personnes se dénudant que l’inverse.
L’ordre public a davantage retenu son attention. « Y compris dans le contexte des attentats, de menace constante, le seul port d’un signe religieux est-il susceptible de briser le tissu social ? », s’est-il interrogé, avant de répondre par la négative. Évoquant cette fois-ci l’arrêt Benjamin du 19 mai 1933, il a rappelé que les cas de troubles à l’ordre public devaient être documentés pour être considérés comme justifiés. « On est devant un juge, il faut prouver », a-t-il insisté en direction du représentant de la commune. À cette occasion, un des juges est intervenu pour demander si des incidents avaient été recensés à Villeneuve-Loubet. « Non », a concédé la défense, affirmant qu’il n’y en avait eu ni avant, ni après l’arrêté, ce qui a provoqué des rires dans la salle. « Les rappels à la loi ont-ils eu lieu dans l’eau ? », a demandé un autre magistrat, s’intéressant à la portée géographique de l’arrêt centré techniquement sur la « baignade » (et non la plage), question, qui, là encore, a amusé le public.

Pour le CCIF, Me Sefen Guez Guez a insisté sur les notions d’égalité devant la loi et de non-discrimination inscrites dans la législation française. « Dans l’arrêté, l’ensemble des signes religieux est apparemment visé. Mais, en réalité, lors des verbalisations, une seule catégorie de personnes est discriminée : les femmes musulmanes. » Soulignant que l’arrêté courrait jusqu’au 15 septembre, il a conclu que les actuelles « victimes » ne seraient autorisées à se baigner « qu’une fois que l’eau sera froide ». Il s’est étonné de l'adjectif « communautariste » utilisé par le tribunal administratif pour qualifier des femmes qui, a-t-il affirmé, « font justement le geste d’aller se baigner avec tout le monde, de se mêler aux autres ». Quant au principe d’égalité entre les hommes et les femmes mis en avant pour justifier l’interdiction, l’avocat a rappelé qu’il n’avait, en droit français, pas vocation à être opposé aux personnes elles-mêmes, au nom de la liberté à disposer de son corps.

« La France a perdu le sens de la mesure » avec ces interdictions, a conclu Patrice Spinosi, appelant le conseil d’État à la rescousse. « Vous devez être la boussole, a-t-il lancé. La France a peur, elle est menacée (…), le droit ne peut céder aux exigences de la peur (…). Il a vocation à rassurer et à pacifier », a-t-il insisté, demandant aux juges de suspendre l’arrêté.


« Il est difficile d’assumer le rôle de l’individu liberticide »

La défense de la ville a été particulièrement expédiée, comme si l’objectif était de dégonfler autant que possible la polémique. Une question de forme a été soulevée. « Quand on voit les débats que cela suscite, on ne peut pas, quand on est juge des référés, trancher une question si sensible », a tenté l’avocat. « Il est difficile d’assumer le rôle de l’individu liberticide », a-t-il même reconnu, tout en rappelant que « les mesures prises par le pouvoir administratif sont en elles-mêmes de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales ».

L’argument sur la laïcité, il l’a aussitôt abandonné : « Le principe de laïcité ne s’applique pas sur les plages, j’en conviens. L’arrêté a été écrit maladroitement. » Le seul raisonnement qu'il ait in fine retenu est celui sur l’ordre public. La géographie, selon lui, serait d’importance compte tenu de la localisation de l'attentat du 14-Juillet, Villeneuve-Loubet étant situé à quelques kilomètres de Nice. « Les élections montrent qu’il y a dans cette région un climat de tension absolue (…). Les maires essaient d’apaiser en prenant des mesures préventives pour éviter que la situation ne dégénère », a-t-il affirmé, ce à quoi le représentant du CCIF a rappelé que les troubles risquaient de venir non des burkinis, mais des arrêtés eux-mêmes. Cette mesure ne mériterait pas sa visibilité, a sous-entendu la défense de la commune, appelant les juges « à éviter de donner une portée trop importante à cette affaire », même s'il semble que le mal soit fait, au regard des réactions indignées provoquées partout dans le monde par les images de policiers en arme encadrant des femmes contraintes de se dévêtir devant eux.

Les remous touchent jusqu'au gouvernement. Avant la tenue de l’audience, plusieurs ministres ont fait connaître leur position sur le sujet. Alors que Manuel Valls a réaffirmé son soutien aux maires prenant des arrêtés (« Ces arrêtés ne sont pas une dérive. C’est une mauvaise interprétation des choses. Ces arrêtés ont été pris au nom même de l’ordre public », a-t-il dit sur RMC), trois de ses ministres ont en revanche tenu à faire connaître un sentiment divergent, à plus ou moins haute voix. Après le tweet tout en distanciation ironique de la secrétaire d’État au numérique, Axelle Lemaire (citant le premier ministre Justin Trudeau défendant la possibilité de porter le burkini, elle ajoute juste : « Ce d’autant plus que les lacs au Canada sont froids »), la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine, y est allée de son billet de blog. « Faire comme si, en se baignant voilée ou en restant habillée sur une plage, on menaçait en soi l’ordre public et les valeurs de la République, c’est oublier que ces valeurs doivent précisément permettre à chacun de ne pas renier son identité, écrit-elle. C’est oublier que la laïcité n’est pas le refus de la religion : c’est une garantie de liberté individuelle et collective. Elle ne peut pas et ne doit pas devenir le fer de lance d’une stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays. » Ce jeudi matin, la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, ne s’est pas non plus défilée au micro d’Europe 1 : « Les arrêtés anti-burkini libèrent la parole raciste, il y a là une dérive politique grave. »


Quant au président de la République, il a fait montre de son audace et de sa capacité désormais légendaire à trancher, déclarant à l’issue d’un rassemblement de leaders sociaux-démocrates européens en région parisienne : « En France aussi, c'est le grand enjeu, la vie en commun. Ce qui suppose des règles et le respect des règles. Ce qui suppose aussi que chacun se conforme aux règles et qu'il n'y ait ni provocation, ni stigmatisation. »

Ce jeudi, la ville de Londres s’est démarquée de la France à cran sur le sujet du burkini. La capitale britannique a ainsi été le théâtre d’une manifestation contre « l’islamophobie » en France (comme on peut le lire dans le Guardian). Des militants ont installé une plage artificielle devant l’ambassade française à Londres et organisé un « sit-in » en maillot de bain et burkini. « L’islamophobie n’est pas une liberté », pouvait-on notamment lire sur les pancartes. De son côté, en visite à Paris, le maire de Londres, Sadiq Khan, a critiqué les arrêtés anti-burkini, ainsi que le rapporte le Telegraph. « Je suis tout à fait ferme sur ce point. Je ne pense pas que quiconque puisse dire aux femmes ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas porter. Point final. C’est aussi simple que cela », a déclaré Sadiq Khan, lui-même de confession musulmane. « Je ne pense pas que ce soit bien », a-t-il ajouté avant de comparer la situation française avec sa ville. « Je ne dis pas que nous sommes totalement parfaits, mais l’une des joies de Londres est que nous ne tolérons pas seulement la différence, nous la respectons, nous l'embrassons. »

France: le maintien de l'interdiction du burkini menace les droits des femmes

Une personne habillée d'un Burkini - cc - Giorgio Montersino

AMNESTY INTERNATIONAL [25/08/2016]

Le maintien de l'interdiction du burkini risque de donner le feu vert pour des violences contre les femmes et les filles. 

Le fait de ne pas annuler l'interdiction du burkini représenterait une occasion manquée de mettre un terme aux atteintes aux libertés d'expression et de religion des femmes et à leur droit de ne pas subir une discrimination alors que la plus haute juridiction administrative en France examine une requête contre cette interdiction.

Cette requête examinée le 25 août offre à la justice française l'occasion d'annuler une interdiction discriminatoire qui se fonde sur, et qui nourrit, des préjugés et l'intolérance.

Les autorités françaises doivent cesser de prétexter que ces mesures sont destinées à protéger les droits de femmes. En réalité, ce type de mesures discriminatoires et invasives restreint les choix des femmes, viole leurs droits et conduit à des violences.
des arguments basés sur des stéréotypes

Ces dernières semaines, en France, plusieurs maires ont pris des arrêtés réglementant le port des tenues de bain. Certains de ces décrets se réfèrent à des préoccupations manifestement spécieuses relatives à la sécurité, à l'hygiène et à l'ordre public pour justifier de telles mesures, et d'autres sont même censés avoir été pris pour protéger les droits des femmes. Or, les arguments avancés pour justifier leur adoption sont tous basés sur des stéréotypes négatifs attachés à une minorité déjà stigmatisée.

Ces interdictions ne contribuent en rien à renforcer la sécurité publique, mais font beaucoup pour favoriser une humiliation publique. Elles sont non seulement en soi discriminatoires mais, comme nous l'avons vu, leur application entraîne aussi des violences et un traitement dégradant pour les femmes et les filles musulmanes.

Si les autorités françaises étaient réellement déterminées à protéger la liberté d'expression et les droits des femmes, ces interdictions abusives seraient immédiatement et inconditionnellement suspendues.

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