jeudi 1 septembre 2016

La «nouvelle jungle» de Calais est au bord de l'asphyxie



Depuis le démantèlement de la zone sud en mars, la « nouvelle jungle de Calais » est un immense bidonville surpeuplé. Cet été, deux mille personnes de plus sont arrivées dans les campements de la Lande. La préfecture concède un « record d'affluence », tandis que les ONG comptabilisaient plus de 9 100 personnes début août. Le seuil des 10 000 personnes devrait être rapidement franchi. En juillet, quatre migrants sont morts. Bertrand Gaudillère et Catherine Monnet se sont rendus dans la région de Calais cet été pour la France VUE D’ICI.

  1. La dernière fois que nous étions venus, elle n’était pas là. Aujourd’hui, on ne voit plus qu’elle, cette bande de terre défrichée qui tient un peu plus les migrants à l’écart de la ville de Calais et de la rocade qui mène au port. En janvier, un arrêté préfectoral en a prévu la largeur : 100 mètres. Et la hauteur : 3 mètres pour « la construction de merlons ». Tout ça pour officiellement « faciliter le repérage des tentatives d'intrusion sur les voies publiques, ou tout abri permettant aux assaillants de se cacher ». Ces derniers mois, le prix des passeurs a tellement augmenté que les migrants tentent régulièrement de bloquer l’accès au port en espérant pouvoir se glisser dans, sous ou sur un camion.

  2. Le no man’s land a réduit de facto encore un peu plus l’espace de vie disponible dans la « nouvelle jungle » de Calais, aussi dénommée « la Lande ». Prendre un peu de hauteur, quand c’est possible, offre surtout une vue plongeante sur une rangée de conteneurs numérotés. Le campement légal mis en place par l’État, et géré par l’association La Vie Active, est au milieu des tentes dépareillées et d'abris de fortune. Il est aussi depuis longtemps arrivé au maximum de sa capacité d’accueil.

  3. Entre la jungle « officielle » et la jungle « officieuse », il y a maintenant une « rue ». Ça n’a l’air de rien, mais ça change la vie des migrants, ce bout de chemin gravillonné. Ce sont quelques centaines de mètres gagnés sur la boue omniprésente, qui envahit même l’intérieur des tentes quand il pleut. Cette route a été construite par Acted. Il est probable que le couple de Français qui a créé cette ONG en Afghanistan, pour venir en aide aux populations affectées par la guerre civile, n’avait pas imaginé devoir intervenir près de 25 ans plus tard sur le sol national pour aider une autre génération de réfugiés afghans à vivre dans des conditions plus dignes…

  4. En moins d’un an, une soixantaine d’échoppes abritant des épiceries, des boutiques, des restaurants, des barbiers ou un réparateur de vélos ont poussé le long de l’axe principal de la « nouvelle jungle ». Ces lieux de vie, qui ont contribué à faire du camp de la Lande le plus grand bidonville de France, ont été fin juillet la cible d’une vaste opération policière. La préfecture du Pas-de-Calais estime en effet que « la multiplication des lieux de vente à la sauvette génère des troubles à l’ordre public et entretient une économie souterraine » et demande leur fermeture et destruction.

  5. Pour les associations, ces échoppes, ces cuisines, ces restaurants sont au contraire indispensables. D’abord parce qu’ils apportent des services à cette population tenue à l’écart du centre-ville. Ensuite, parce que les migrants ont besoin de ces espaces et moments de socialisation. « Ils ne veulent pas seulement recevoir de l’aide, ils veulent aussi partager ce qu’ils peuvent donner », précise Christian Salomé, le responsable de l’association Auberge des Migrants. Juste avant leur fermeture, il invitait d'ailleurs ses équipes à simplement venir dans ces endroits pour « créer du lien et éviter de créer un ghetto ».

  6. Entre deux tentatives de passage vers l’Angleterre, les « cafés et restaurants » du bidonville étaient parfois les seules échappatoires d’une vie passée à attendre et à survivre dans une habitation faite de bric et de broc et de petits trésors. Un vieux drap, un bout de porte, une chute de moquette, le moindre don des particuliers continue d’améliorer sensiblement les conditions de logement des migrants dans un camp qui est aujourd’hui complètement saturé.

  7. Vue de loin, la mosquée de « la nouvelle jungle » disparaît au milieu du colza sauvage qui a poussé après le passage des bulldozers au printemps. Devant ce paysage bucolique, les nouveaux arrivants, qu’ils soient migrants ou bénévoles, ont du mal à imaginer la violence qui a accompagné l’évacuation et le démantèlement de la zone sud du bidonville en mars 2016.

  8. Seuls les lieux de vie communautaire, comme l’école, le centre juridique, la mosquée et l’église, ont été épargnés. Les lieux de prière sont très fréquentés par les migrants. « Ils ont besoin de croire en quelque chose pour supporter les épreuves du voyage et cette vie-là », remarque Christian Salomé, le responsable de l’Auberge des migrants.

  9. Le terrain de foot a également été laissé en état. Le match qui se joue en ce jour de finale de l’Euro oppose deux groupes de mineurs. D’après le dernier recensement effectué début août 2016 par les associations Help Refugees et l’Auberge des migrants, au moins 865 enfants vivent actuellement dans la jungle. 80 % sont seuls. Le plus jeune mineur isolé de Calais n’a que huit ans.

  10. Sur les 9 106 migrants recensés au moment de l’enquête, seuls 1 750 étaient logés dans les structures mises en place par l’État, c’est-à-dire dans le camp de conteneurs ou dans la partie réservée aux femmes et aux enfants dans le centre Jules-Ferry. Depuis début juillet, deux mille personnes de plus, principalement originaires du Soudan et d’Afghanistan, sont venues s’entasser tant bien que mal dans le bidonville surpeuplé.

  11. Le démantèlement de la zone sud n’a pas fait diminuer le nombre d’arrivants. Il y a actuellement entre 50 et 100 nouveaux arrivants chaque jour, alors que la surface du camp a été réduite de moitié par rapport à l’an passé. La promiscuité aggrave les tensions, les conditions de vie et d’hygiène qu’essaye d’améliorer Étienne, un des volontaires de l’association bretonne Utopia 56, en s’occupant du nettoyage du camp.

  12. Un jour, une semaine, un mois. Quelles que soient leur disponibilité et leurs compétences, les bénévoles sont accueillis par des associations comme l’Auberge des migrants, Utopia 56, Help refugees, Care4Calais. « Je ne m’attendais pas à voir autant de volontaires », confie Arnaud, qui vient d’arriver de Besançon pour dix jours, « mais ce qui m’attriste, c’est de constater que la plupart sont britanniques et que nous sommes très peu de Français ».

  13. Entre 70 et 200 volontaires se retrouvent chaque matin devant l’immense entrepôt de l’Auberge des migrants pour réceptionner, trier, distribuer les dons et préparer des centaines de repas par jour. Malgré l’ampleur de la mobilisation bénévole, les files d’attente devant les points de distribution se sont considérablement allongées ces dernières semaines et les associations signalent des pénuries de chaussures, de vêtements, de tentes.

  14. Il a bien fallu « institutionnaliser » le volontariat depuis que les Anglais, touchés par la photo du cadavre du petit Aylan Kurdi en septembre 2015 sur une plage turque, ont soudainement débarqué en masse à Calais. Mais les premiers gestes solidaires continuent de venir des Calaisiens eux-mêmes, à l’image de « Dom Dom et Nana », comme ils aiment se surnommer. Si le couple explique son engagement simplement « parce que c’est le cœur qui parle », de nombreux autres bénévoles calaisiens refusent aujourd’hui de témoigner ouvertement par peur « des réactions violentes des milieux fascistes, voire des menaces de mort » qu’eux-mêmes ou d’autres personnes aidant les migrants ont déjà reçues.

  15. Même à Grande-Synthe, dans le camp de la Linière mis en place par le maire de la ville avec le concours des ONG et qui fait en principe figure de modèle, la tension est montée. Fin juin, la municipalité a lancé la construction d’un mur de 600 mètres pour séparer le camp de l’autoroute. L’AFEJI, l’organisme chargé par l’État d’assurer la gestion du camp de la Linière, a décidé de filtrer et refouler des migrants alors qu’il reste des places disponibles.

  16. Désormais, seules les familles sont acceptées à Grande-Synthe. Or « 80 % des gens qui composent ce camp sont des hommes voyageant seuls », s’indigne MSF qui cogère le seul campement humanitaire de la région. Refusant de « participer à une politique d’accueil restreint », l’association Utopia 56 a d’ailleurs décidé de se désengager progressivement du camp qu’elle avait fièrement contribué à construire.

  17. La pression de l’État ne s’exerce pas seulement à Grande-Synthe. Mi-juillet, le camp de Steenvoorde a été évacué au petit matin. Parallèlement, une procédure d’expulsion a été engagée contre les réfugiés du campement de Norrent-Fontes. Quant au bidonville de Calais, les organisations humanitaires n’ont plus le droit depuis le mois de mai d’apporter des matériaux de construction. Tous les véhicules sont fouillés. Seul le bois d’allumage et de chauffage est toléré et peut encore être distribué.


  18. Parfois, il suffit d’un tweet pour confirmer les mauvaises nouvelles. Et d’un grain de folie pour essayer de les faire oublier. C’est sur les réseaux sociaux que la maire de Calais déclare le 11 juillet que « le démantèlement de la zone nord sera prochainement annoncé ». C’est dans un des restaurants de cette zone nord, avant sa fermeture forcée, que l’artiste italien Alessandro Bulgani montre une de ses idées d’happening, censée apporter un peu de lumière, « une idée phare » dans un climat bien sombre.

  19. Là où Alessandro Bulgani rencontre le plus de succès, c’est lorsqu’il arrive sur le camp avec des baguettes, des feuilles de plastique et de la ficelle.
    Symboliquement, l’artiste italien veut permettre aux migrants de dépasser les frontières par les airs et rapprocher la jungle de la Grande-Bretagne à la force du vent, en confectionnant une multitude de cerfs-volants. Pragmatique, un Afghan remarque que le vent souffle à l’opposé de l’Angleterre. Mais il le dit avec le sourire heureux d’un homme qui vient de retrouver le jeu de son enfance.

  20. « Avant, Calais était la capitale de la dentelle, aujourd’hui c’est la capitale du barbelé », regrette un responsable d’association. Un nouveau mur est en train d’être érigé le long de l’autoroute. Il va mesurer 4 mètres de haut et coûter 2,7 millions d’euros. À chacun de nos passages, nous retrouvons le port un peu plus barricadé, des CRS de plus en plus nombreux et une police de plus en plus intrusive vis-à-vis de notre travail journalistique. Nous constatons également que le nombre de migrants morts à Calais augmente : quatre en quinze jours pour le seul mois de juillet. Dans cette réalité instable et précaire, seuls deux paramètres restent inchangés : l’humanité des volontaires qui redonnent un peu de dignité aux migrants et la détermination de ces derniers à vouloir rejoindre l’Angleterre.

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