REPORTAGE VIDÉO - Le Figaro.fr le 06/01/2016
Après avoir été salué dans
le monde entier, le jeune franco-malien de 25 ans a retrouvé une vie
plus paisible. Il travaille désormais à la mairie de Paris, vient de
publier un livre pour raconter son parcours et nous explique comment il a
vécu les attentats du 13 novembre.
C'est chez son éditeur que Lassana Bathily
nous reçoit. Chemise et pantalon en jean. Casquette vissée sur la tête,
il revient de quatre heures de reportage avec une chaîne allemande. Il
semble épuisé. Ses nuits sont courtes, il a du mal à dormir et il est en
pleine promotion de son livre à paraître le 6 janvier prochain. Je ne suis pas un héros,
c'est le titre de son ouvrage édité chez Flammarion. «On me connaît
pour ce que j'ai fait le 9 janvier 2015, mais pas d'où je viens, ni qui
je suis vraiment. J'avais envie de raconter mon parcours. De mon enfance
au Mali jusqu'à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes en passant par
mes galères à mon arrivée à Paris».
Il y a tout juste un an, la France découvrait son visage, celui d'un «héros national». Le 9 janvier 2015, le jeune Malien de 25 ans dit avoir caché des otages d'Amedy Coulibaly dans une chambre froide du magasin
avant de parvenir à s'enfuir et aider la police à préparer
l'intervention du Raid. Sans papiers, vivant en France depuis 2006, le
jeune homme s'est retrouvé, sans le vouloir, entraîné dans un tourbillon politico-médiatique.
De Washington à Cleveland
En l'espace de quelques mois, il a obtenu la nationalité française,
rencontré François Hollande, Barack Obama et beaucoup voyagé.
Interviews, cérémonies d'hommage, invitations officielles à l'étranger…
Il est plusieurs fois invité aux États-Unis (Washington, New York,
Cleveland…) et célébré au Mali, où il retrouve sa famille durant
quelques semaines. À chaque fois, les questions sont les mêmes: «Comment
vous, musulman, avez-vous pu sauver des juifs?», «qu'est-ce que ça fait
d'être un héros?».
Pour le jeune homme, son geste n'avait rien
d'héroïque. Il n'a cessé de le répéter au fil des mois. «Ce que j'ai
fait, c'est naturellement que je l'ai fait. Je ne me suis pas demandé si
c'étaient des chrétiens ou des juifs. Pour moi, c'étaient juste des
clients et des otages en danger. Je regrette seulement de ne pas les
avoir tous sauvés», déclare-t-il lors d'une cérémonie organisée en mars
dernier à Los Angeles par le centre Simon Wisenthal, organisation
internationale juive qui lutte contre le racisme et le terrorisme à
travers le monde. Il y recevra la médaille du courage.
Difficile d'être un «héros»
Tout n'a pas été facile durant ces mois de
gloire. «Certes, j'ai connu des moments très agréables (…) Mais très
durs aussi. Je n'étais pas préparé à telles situations. Être ovationné à
Paris, Bamako, Washington, New York… n'est en rien aisé. Et subitement,
j'étais amené à me poser de nombreuses questions. Est-ce que je mérite
toutes ces louanges?», s'interroge-t-il dans son livre. Il se souvient
aussi des critiques. Dans un article publié dans
Libération
en juin dernier, des otages qui se trouvaient au sous-sol de l'Hyper Cacher remettent en question le rôle joué par Lassana Bathily.
«Effectivement», il «nous a proposé de nous
sauver», raconte alors Jean-Luc. «Mais il n'a pas pu nous sauver,
puisque nous avons tous refusé. Dehors, il a aidé la police. Les médias
et les officiels ont voulu enjoliver le tableau, ajoutant qu'il nous
aurait fait descendre, cachés, etc. Ce n'est pas vrai, mais ce n'est pas
de la faute de Lassana. À ce moment-là, la France avait besoin d'un
héros». Interrogé à ce sujet, le jeune Franco-malien répond que ces
propos lui ont «fait mal au cœur». Il en parle aussi dans son livre:
«Certains ont prétendu que mon rôle à l'Hyper Cacher s'est limité à
sauver ma peau. Des paroles qui m'ont dérangé et attristé. Les personnes
présentes au cours de l'attaque et les policiers que j'avais renseignés
une fois sorti, eux, peuvent témoigner», rétorque-t-il.
Déçu par l'Hyper Cacher
Une
fois passés les polémiques et les honneurs, ses proches finissent par
lui conseiller de se mettre en retrait. «D'après eux, je me mettais en
danger en m'exposant de la sorte (…) j'ai suivi leurs conseils». Lassana
Bathily reprend alors sa place «d'homme ordinaire» et repart
travailler. Au lendemain de la prise d'otages, plusieurs entreprises lui
ont proposé un emploi, dont Air France et la mairie de Paris. «Mais je
ne me voyais pas changer d'employeur», explique-t-il. L'Hyper Cacher lui
propose de reprendre le même poste qu'il occupait. Une déception.
«Selon les membres [de la direction], il n'y avait aucune raison de me
faire une offre plus intéressante dans un autre point de vente de la
chaîne par exemple. Je me suis senti insulté», témoigne le jeune homme
titulaire de deux CAP peinture et carrelage. «N'avoir pour toute
perspective qu'un poste de manutentionnaire, comme avant, m'a paru
inacceptable (…) Certains ont raconté que j'étais effrayé de
retravailler à l'Hyper Cacher. Mais ce n'est pas une question de peur.
Dans la vie, il faut progresser».
Aujourd'hui, Lassana Bathily a retrouvé une vie
plus paisible. Il vit dans le XIe arrondissement et travaille pour la
mairie de Paris en tant que technicien «dans l'évènementiel»: il monte
les «sonos» les jours de match ou installe «les lumières» lors de
conférences de presse. Ces six derniers mois, il a également suivi des
cours de français. «Mon entourage me dit que j'ai progressé. Je suis
content car c'est important pour moi de bien parler». Mi-décembre, il a
obtenu sa carte d'identité, une «grande fierté» pour lui. «Je l'ai
toujours sur moi et en plus, elle est valable jusqu'en 2030», fait-il
remarquer en la sortant de son sac.
«Ça m'a fait revivre l'attaque de janvier»
Que va-t-il faire maintenant? «On ne peut pas dire
qu'on est Français et ne rien faire après», s'amuse le jeune homme.
«Maintenant que mon livre est terminé, je vais m'occuper de mon
association». Le jeune homme compte développer des projets d'aide au
développement pour son village au Mali et aider les jeunes des quartiers
défavorisés en France. «Je trouve qu'on parle beaucoup trop de religion
et qu'on fait beaucoup de polémiques. Pour moi, la religion est une
question de vie privée. On ferait mieux de trouver des solutions pour
mieux vivre ensemble». Pour l'heure, l'association a déjà un site Internet mais n'est pas encore active. Elle devrait être sur pied dans les mois à venir.
Le vendredi 13 novembre au soir, Lassana Bathily se
trouvait à quelques mètres du Bataclan. «J'étais vers la place de la
République avec des amis. Quand j'ai entendu les premiers tirs, j'ai cru
que c'étaient des pétards et puis j'ai compris». Rapidement, il trouve
refuge dans un bar où il restera «coincé» jusqu'à 5h du matin. «Cette
nuit était dramatique. Ça m'a fait revivre l'attaque de janvier». Il
pense alors aux victimes. «Je veux leur dire qu'il faut savoir rester
debout, être solidaire et ne pas rester seul. C'est important de sortir,
d'être entouré et de continuer comme avant. Moi aussi j'avais peur au
début, et puis je suis sorti de chez moi et j'ai continué à vivre. C'est
ça qui m'a aidé». Mardi, il s'est rendu devant le magasin Hyper Cacher
où une plaque commémorative a été apposée en présence du président François Hollande, du premier ministre Manuel Valls et de la maire de Paris, Anne Hidalgo.
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