Les étrangers ont de plus en plus de mal à accéder aux préfectures
Le Monde
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Par Maryline Baumard
Qui pouvait imaginer que les étrangers en quête d’un titre de séjour ou de son renouvellement regretteraient leurs nuits passées devant les préfectures ? Qu’ils pleureraient la disparition de ces longues files d’attente, harassantes, mais au bout desquelles ils décrochaient un rendez-vous les autorisant à déposer leur demande ? Prévue pour éviter ces désagréments, la dématérialisation des procédures administratives a l’effet plus radical d’empêcher une partie des 2,8 millions de personnes concernées de faire valoir leurs droits. Depuis 2012, les préfectures demandent aux personnes étrangères de prendre rendez-vous par Internet afin d’accomplir leurs démarches de demande ou de renouvellement de titre de séjour.
Dans un rapport rendu public mercredi 16 mars, la Cimade, l’association d’aide aux étrangers, analyse comment, sous couvert de la mise en place d’une simplification pour les usagers, on peut éloigner des milliers de personnes des guichets. Les 131 représentations de cette association qui a aidé 100 000 étrangers en 2015, ont pu observer comment ces populations fragiles se retrouvent de plus en plus souvent dans une impasse. Pour étayer ces remontées du terrain de constatations plus systématiques, la Cimade a développé un logiciel qui appelle toutes les heures les préfectures pour prendre des rendez-vous. En vain le plus souvent.
« Cet automate nous permet d’observer de façon objective qu’une catégorie d’étrangers ne parvient quasiment jamais à décrocher un rendez-vous de dépôt de dossier dans un grand nombre de préfectures, qui pourtant ne leur proposent que ce mode d’accès », souligne Lise Faron, la responsable de la commission migrants de la Cimade.C’est le cas à Créteil, à Sarcelles, à Versailles, au Havre, à Nîmes, mais aussi dans des préfectures comme celle du Tarn-et-Garonne… Dans tous ces lieux, la multiplication des connections n’aboutit quasiment jamais. Et l’argument du manque de personnel est démenti par le même logiciel qui montre que, dans un grand nombre de départements, l’attribution de rendez-vous pour obtenir une carte grise ou refaire un permis de conduire se déroule, elle, parfaitement.
Si dans certaines villes toutes les demandes émanant d’étrangers sont indistinctement bloquées, une autre partie des territoires français joue le tri, n’autorisant la venue que de certains « profils ». Ainsi, la Cimade montre que, dans la Somme, seuls les étrangers déjà titulaires d’un visa long séjour valant titre de séjour obtiennent des rendez-vous. Dans les Bouches-du-Rhône, ce sont les étudiants qui ne peuvent pas s’inscrire. Et en Haute-Garonne, la procédure de naturalisation est impossible pour les ressortissants du département.
Empêchés par les vigiles
Face à cette impasse qui condamne une partie des 2,8 millions de personnes vivant sous autorisation de séjour à rester dans l’illégalité, certains tentent l’envoi postal de leur dossier, qui se solde par un retour à l’envoyeur. D’autres tentent de se présenter mais sont presque systématiquement refoulés par les « vigiles des préfectures qui bloquent de plus en plus fréquemment tout accès aux personnes ne détenant pas un passeport », déplore Lise Faron. Il ne reste donc que le droit d’opposition, procédure prévue par l’arrêté du 4 juillet 2013 pour obliger la préfecture à accorder un rendez-vous. « Mais même cela fonctionne mal puisque sur les cinq départements dans lesquels nous en sommes arrivés là, elle n’a abouti que dans un seul cas », rappelle l’association.Et ce parcours du combattant ne permet d’accéder qu’à la première étape : celle du dépôt de la demande. Cela ne préjuge évidemment pas de la réponse, ni de la suite. Car rien n’empêche les services de requérir ensuite des justificatifs autres que ceux stipulés dans la liste nationale, comme à Toulouse, où il faut par exemple produire un certificat de travail pour demander un titre de séjour pour soins.
Ce rapport, qui fait suite à l’étude sur l’accès au guichet réalisée en 2008 par la même association, montre qu’il est plus difficile pour un étranger de faire valoir ses droits sous le quinquennat de François Hollande qu’avant 2012. Le 2 janvier 2014, le ministre de l’intérieur d’alors, Manuel Valls, avait pourtant demandé à ses préfets que le service public « accueille dignement ses étrangers ». Deux ans après, les files d’attente ont disparu des préfectures, certes, mais beaucoup d’étrangers aussi.
Les étrangers pris au piège des préfectures virtuelles
La Cimade publie ce mercredi un rapport révélant que la dématérialisation des services de demande de titre de séjour a encore allongé les délais de traitement des dossiers.
- File d'attente devant la préfecture à Lyon, en février 2015. Photo AFP
L’intention était certainement louable. Afin de réduire
les très longues files d’attente des étrangers venus demander ou
renouveler un titre de séjour à la préfecture, l’administration a
privilégié depuis plusieurs années les démarches en ligne. Mais la
dématérialisation n’a pas eu l’effet magique escompté. D’abord, les
files nocturnes -des centaines de personnes qui patientent en espérant décrocher un ticket à l’ouverture de la préfecture-
sont moins nombreuses mais n’ont pas disparu. Elles concernaient 14
sites en décembre 2014, contre 21 en 2012. Mais surtout, les services en
ligne ne suppriment pas l’attente. Ils la rendent invisible.
L’obtention d’un premier rendez-vous avec un fonctionnaire reste plus
que jamais un «défi», rappelle la Cimade, qui rend public ce mercredi un rapport, «A guichets fermés», consacré à cette question.
L’association historique d’aide aux étrangers a notamment réalisé un test de prise de rendez-vous en ligne dans les préfectures françaises. Grâce à un programme informatique, la Cimade a effectué une requête automatique toutes les heures, dans chaque service. «Le robot regarde si des rendez-vous sont disponibles et note, le cas échéant, les deux premières dates disponibles. Il réalise au passage les captures d’écran des pages consultées permettant, par la suite, de vérifier ses résultats», explique l’association.
Le résultat du test est alarmant. Dans une quinzaine de préfectures, il est tout bonnement impossible d’obtenir un rendez-vous. Dans les autres, l’attente est souvent supérieure à trois mois (dix mois, par exemple, pour la sous-préfecture d’Antony, dans les Hauts-de-Seine). Et dans beaucoup de cas, le service en ligne a entièrement remplacé l’accueil humain ou téléphonique. Les guichets ont fermé. «On critique la dématérialisation quand elle est exclusive, précise Lise Faron, rédactrice du rapport. Il y a là une rupture de l’égalité d’accès au service public. La Cimade est désormais contactée par des personnes qui ne savent même pas comment prendre rendez-vous.»
En théorie, en France, la procédure de demande de titre de séjour doit durer moins de quatre mois. En réalité, elle prend souvent des années. Et les délais continuent de s’allonger, selon la Cimade. Ce qui place les demandeurs dans une situation de précarité administrative, notamment quand la préfecture ne délivre pas de preuve attestant d’une démarche en cours. Ce récépissé est pourtant censé être obligatoire. Sans lui, les étrangers se trouvent privés de leurs droits -de travailler, de percevoir des aides sociales- pendant toute la durée de l’instruction.
Face à ce qui apparaît comme un «sous-dimensionnement organisé» des services d’accueil aux étrangers, la Cimade ose quelques conseils: «Maintenir un guichet de pré-accueil dans les préfectures avec une amplitude horaire et des moyens adaptés»; «prévoir des traducteurs»; «supprimer les tickets et les numerus clausus»; «octroyer des rendez-vous dans un délai n’excédant pas un mois» ou «créer un site permettant de connaître l’état d’avancement des dossiers». Des recommandations finalement modestes pour redonner un peu de dignité à ces démarches.
L’association historique d’aide aux étrangers a notamment réalisé un test de prise de rendez-vous en ligne dans les préfectures françaises. Grâce à un programme informatique, la Cimade a effectué une requête automatique toutes les heures, dans chaque service. «Le robot regarde si des rendez-vous sont disponibles et note, le cas échéant, les deux premières dates disponibles. Il réalise au passage les captures d’écran des pages consultées permettant, par la suite, de vérifier ses résultats», explique l’association.
Le résultat du test est alarmant. Dans une quinzaine de préfectures, il est tout bonnement impossible d’obtenir un rendez-vous. Dans les autres, l’attente est souvent supérieure à trois mois (dix mois, par exemple, pour la sous-préfecture d’Antony, dans les Hauts-de-Seine). Et dans beaucoup de cas, le service en ligne a entièrement remplacé l’accueil humain ou téléphonique. Les guichets ont fermé. «On critique la dématérialisation quand elle est exclusive, précise Lise Faron, rédactrice du rapport. Il y a là une rupture de l’égalité d’accès au service public. La Cimade est désormais contactée par des personnes qui ne savent même pas comment prendre rendez-vous.»
Privés de récépissé
Selon l’association, il est «clairement devenu plus difficile» d’obtenir ce premier entretien qui déclenche l’instruction d’une demande (ou d’un renouvellement) de titre de séjour. La dématérialisation a été contre-productive. Pour Lisa Faron, il ne s’agit pas forcément d’une erreur: «Il y a une volonté, à une certaine échelle de l’administration, de fermer la porte, dénonce-t-elle. On remarque d’ailleurs que les catégories de population qui ne correspondent pas à l’immigration "choisie" -les étrangers malades, les conjoints de Français, les régularisations exceptionnelles- sont ceux pour qui il est le plus difficile d’aboutir dans leurs démarches.»En théorie, en France, la procédure de demande de titre de séjour doit durer moins de quatre mois. En réalité, elle prend souvent des années. Et les délais continuent de s’allonger, selon la Cimade. Ce qui place les demandeurs dans une situation de précarité administrative, notamment quand la préfecture ne délivre pas de preuve attestant d’une démarche en cours. Ce récépissé est pourtant censé être obligatoire. Sans lui, les étrangers se trouvent privés de leurs droits -de travailler, de percevoir des aides sociales- pendant toute la durée de l’instruction.
Quelques conseils
Le comble réside peut-être dans le coût officiel de la procédure. «Le titre de séjour est sans doute le document plastifié le plus cher de France», écrit la Cimade. Selon l’association, «le prix à payer atteint dans de nombreux cas la somme de 600 euros pour une validité de douze mois» auxquels s’ajouteront chaque année «106 euros lors de chaque renouvellement».Face à ce qui apparaît comme un «sous-dimensionnement organisé» des services d’accueil aux étrangers, la Cimade ose quelques conseils: «Maintenir un guichet de pré-accueil dans les préfectures avec une amplitude horaire et des moyens adaptés»; «prévoir des traducteurs»; «supprimer les tickets et les numerus clausus»; «octroyer des rendez-vous dans un délai n’excédant pas un mois» ou «créer un site permettant de connaître l’état d’avancement des dossiers». Des recommandations finalement modestes pour redonner un peu de dignité à ces démarches.
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