Un jeune rappeur français d'origine guinéenne dont le grand-père a
combattu durant la seconde guerre mondiale parmi les tirailleurs
sénégalais, se voit ainsi empêché de chanter à Verdun.
Là où
précisément des camarades tirailleurs de son grand-père venus de la
lointaine Afrique y ont laissé la vie, quand certains proches de celles et ceux qui le chassent aujourd'hui étaient planqués.
Allez donc comprendre!
Joël Didier Engo
Bonjour à tous,
Je m'appelle Alpha Diallo, je suis français, né en France, à Paris, et j'ai 31 ans.
Eduqué par la France, terre d'accueil de mes parents, terre
qui m'a vu grandir et permis de vivre de ma passion. Une terre pour
laquelle mon grand-père Alpha Mamoudou Diallo, d'origine guinéenne, a
combattu lors de la guerre 39-45 au sein des Tirailleurs Sénégalais -
ces mêmes
Tirailleurs Sénégalais qui étaient également présents lors de la Bataille de Verdun.
J'ai ressenti une immense fierté lorsque l'on a fait appel à moi pour
participer à un concert en marge de la commémoration de la Bataille de
Verdun pour l'ensemble des jeunes français et allemands réunis ce
jour-là.
Une polémique incompréhensible et inquiétante a malheureusement entraîné l'annulation de ma participation à cette manifestation.
Je ne peux rester sans réponse face aux propos d'une extrême violence, tenus à mon égard, ces derniers jours. Je suis d'autant plus attristé par cette situation qui peut aujourd'hui toucher des milliers d'autres français.
Moi, Alpha Diallo, enfant de la République et fier de l'être, souhaite, par ce communiqué, faire barrière à ces propos haineux.
Merci à tous ceux qui me soutiennent depuis le début, je ne ferai pas d'autres commentaires.
Peace.
#ALPHADIALLO
#BLACKM
Suite à l'annulation de son concert à Verdun, un très beau texte de Black M où il évoque la France et son aïeul, tirailleur sénégalais. La polémique venue de l'extrême-droite et qui a mené à cette annulation n'est pas seulement pathétique. Elle est grave, très grave. Que des fachos demandent qu'un noir ne chante pas en commémoration de Verdun, rien que de très logique. Mais que se lèvent les chœurs imbéciles et haineux composés de celles et ceux qui, depuis plusieurs années et au nom de la République, traquent chez les Noirs, les Arabes et les jeunes de quartier populaire la trace de leur barbarie, voilà qui met la nausée.
Une polémique incompréhensible et inquiétante a malheureusement entraîné l'annulation de ma participation à cette manifestation.
Je ne peux rester sans réponse face aux propos d'une extrême violence, tenus à mon égard, ces derniers jours. Je suis d'autant plus attristé par cette situation qui peut aujourd'hui toucher des milliers d'autres français.
Moi, Alpha Diallo, enfant de la République et fier de l'être, souhaite, par ce communiqué, faire barrière à ces propos haineux.
Merci à tous ceux qui me soutiennent depuis le début, je ne ferai pas d'autres commentaires.
Peace.
#ALPHADIALLO
#BLACKM
Suite à l'annulation de son concert à Verdun, un très beau texte de Black M où il évoque la France et son aïeul, tirailleur sénégalais. La polémique venue de l'extrême-droite et qui a mené à cette annulation n'est pas seulement pathétique. Elle est grave, très grave. Que des fachos demandent qu'un noir ne chante pas en commémoration de Verdun, rien que de très logique. Mais que se lèvent les chœurs imbéciles et haineux composés de celles et ceux qui, depuis plusieurs années et au nom de la République, traquent chez les Noirs, les Arabes et les jeunes de quartier populaire la trace de leur barbarie, voilà qui met la nausée.
Que reproche-t-on à Black M? D'avoir eu dans le passé des paroles que l'on trouve choquantes? L'émotion serait plus crédible si les mêmes s'émouvaient des propos de Zemmour and co, dont les paroles appartiennent elles au présent. Mais non, émotion sélective car finalement Zemmour exprime tout haut ce qu'ils pensent tout haut: la barbarie est à nos portes (c'est-à-dire dans nos banlieues) et la civilisation est en péril. Dans cette polémique du jour, le péril était noir. Dans celle de demain, il sera arabe. Dans celle d'après-demain, il sera musulman. Et dans celle du jour suivant, il sera Rom.
Quelle tristesse que de vivre dans un pays où les vieux cons viennent saturer l'air de leurs peurs et de leurs rancœurs.
A ces vieux cons, un conseil: arrêtez de confondre la fin de la civilisation avec la fin de votre vie. La civilisation, belle et inattendue, continuera. Et elle sera en France faite de noirs, d'arabes, de blancs, d'asiatiques, d'athées, de juifs, de musulmans, de jeunes, de chrétiens, de vieux, de loulous et de bobos. Enjoy!
Comment la « fachosphère » a fait annuler le concert de Black M à Verdun
Le Monde
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Par Adrien Sénécat
La
blogosphère d’extrême droite exulte : le concert gratuit du rappeur
Black M prévu à l’occasion du centenaire de la bataille de Verdun, le
29 mai, n’aura pas lieu. La Mairie l’a annoncé dans un communiqué,
vendredi 13 mai, arguant de « risques forts de trouble à l’ordre public ». Retour sur une campagne qui, en l’espace de trois jours, a fait plier la mairie socialiste.
La charge ne se fait pas attendre. Dès le lendemain matin, le site fdesouche.com écrit que Black M « n’a pas sa place » dans l’événement. En cause, plusieurs extraits de textes du rappeur, et notamment :
La plupart des cadres frontistes apportent leur pierre à l’édifice dans la foulée, de Marion Maréchal Le Pen à Florian Philippot. Un militant proche de l’extrême droite lance dans la soirée du 10 mai un hashtag sur Twitter, #VerdunSansBlackM, pour demander l’annulation de l’événement. Marine Le Pen, elle, juge ses textes « extrêmement injurieux à l’égard des Français ».
Mais au lendemain de la publication de l’article de fdesouche.com, dont l’exposition a été décuplée par les élus FN, la polémique se diffuse au-delà de ces sphères. Dès la matinée du 11 mai, Le Figaro y consacre deux articles. Le maire (PS) de Verdun, Samuel Hazard, y dit notamment être « harcelé par des mails et des appels à connotation raciste. “Si ça avait été White M, ça n’aurait pas posé problème”, a dit par exemple une dame ». Et de dénoncer « les racistes qui instrumentalisent cette polémique à des fins politiciennes. »
Comme le relève l’élu, de nombreux messages racistes circulent à l’encontre du rappeur, évoquant un « négro de souche », un « étranger » ou le comparant aux djihadistes de Daech.
Les nombreux articles de médias généralistes qui suivent (Les Inrocks, L’Obs, BFM-TV, une première dépêche de l’AFP dans l’après-midi du 11 mai, etc.) vont élargir le cercle des mécontents. Des personnalités de droite comme Nadine Morano ou Hervé Mariton demandent à leur tour l’annulation du concert.
Nouvelle pierre dans le jardin de Samuel Hazard, un recours en justice est déposé dans l’après-midi contre la venue du rappeur par le petit-fils d’un poilu. L’avocat de ce dernier, Antoine Beauquier, affirme qu’on peut « légitimement craindre que [le chanteur] use de termes outrageants pour la mémoire des soldats de Verdun ».
La Mission du centenaire, l’opérateur de l’Etat pour ces commémorations, décide dans la foulée de ne pas accorder la subvention de 67 000 euros demandée par la mairie pour financer le concert, sur un budget total de 150 000 euros.
Ironie de l’histoire, Pierre Sautarel, coanimateur de fdesouche.com s’agace désormais d’entendre Florian Philippot clamer que « c’est le Front national, seul, qui a levé ce lièvre » sur France 2, refusant de se faire « voler les lauriers » de la polémique.
Le site fdesouche.com allume la mèche
Lundi 9 mai, L’Est républicain publie une interview du rappeur à l’approche de l’événement, « un rendez-vous populaire et tourné vers la jeunesse », voulu par l’Elysée, écrit le journal. « C’est de la scène, et c’est quelque chose que j’aime énormément, alors je réponds présent. Tout simplement », y confie Black M. Et d’ajouter, à l’encontre de ceux qui s’étonnent de sa présence à un tel événement : « Je les invite à venir me voir, qu’ils aiment ou pas ma musique, on va s’amuser. »La charge ne se fait pas attendre. Dès le lendemain matin, le site fdesouche.com écrit que Black M « n’a pas sa place » dans l’événement. En cause, plusieurs extraits de textes du rappeur, et notamment :
- Des propos jugés « anti-France » : cette « conne de France » (Le ghetto s’exprime, avec Sexion d’Assaut, 2004), « ce pays de kouffars », c’est-à-dire de mécréants (Désolé, avec Sexion d’Assaut, 2010).
- Des propos « homophobes » comme « je crois qu’il est grand temps que les pédés périssent » (On t’a humilié, avec Sexion d’Assaut, 2010). Il s’agit en fait d’une strophe de Maître Gims, qui, ajoutée à d’autres propos, avait valu de nombreuses critiques au groupe à l’époque. Sexion d’Assaut a fini par faire amende honorable en travaillant avec des associations de lutte contre l’homophobie, et la fédération LGBT avait considéré la polémique « éteinte » en 2011.
- Une supposée « dent contre l’école » à cause de la phrase : « A une époque, j’voulais me procurer un Smith et Wesson. Une petite voix me chuchotait : “Vas-y, tire sur l’école.” » (Madame Pavoshko, Black M, 2014).
- D’autres l’accuseront par la suite d’être l’auteur d’une chanson « antisémite » pour la phrase « les youpins s’éclatent et font des magasins ». Il s’agit en fait de la chanson Dans ma rue, de Doc Gyneco, reprise par Black M en 2015, ce qui lui a valu un boycott des radios belges.
La plupart des cadres frontistes apportent leur pierre à l’édifice dans la foulée, de Marion Maréchal Le Pen à Florian Philippot. Un militant proche de l’extrême droite lance dans la soirée du 10 mai un hashtag sur Twitter, #VerdunSansBlackM, pour demander l’annulation de l’événement. Marine Le Pen, elle, juge ses textes « extrêmement injurieux à l’égard des Français ».
La polémique dépasse la « fachosphère »
A ce moment précis, la polémique est surtout restreinte à la « fachosphère ». Et pour cause : mis à part les propos homophobes de Sexion d’Assaut en 2010, Black M n’est pas un rappeur particulièrement polémique. Loractu.fr s’était interrogé le 9 mai sur « un choix étonnant pour un événement politique majeur ».Mais au lendemain de la publication de l’article de fdesouche.com, dont l’exposition a été décuplée par les élus FN, la polémique se diffuse au-delà de ces sphères. Dès la matinée du 11 mai, Le Figaro y consacre deux articles. Le maire (PS) de Verdun, Samuel Hazard, y dit notamment être « harcelé par des mails et des appels à connotation raciste. “Si ça avait été White M, ça n’aurait pas posé problème”, a dit par exemple une dame ». Et de dénoncer « les racistes qui instrumentalisent cette polémique à des fins politiciennes. »
Comme le relève l’élu, de nombreux messages racistes circulent à l’encontre du rappeur, évoquant un « négro de souche », un « étranger » ou le comparant aux djihadistes de Daech.
Les nombreux articles de médias généralistes qui suivent (Les Inrocks, L’Obs, BFM-TV, une première dépêche de l’AFP dans l’après-midi du 11 mai, etc.) vont élargir le cercle des mécontents. Des personnalités de droite comme Nadine Morano ou Hervé Mariton demandent à leur tour l’annulation du concert.
Le gouvernement lâche la Mairie de Verdun
Jeudi 12 mai, le secrétaire d’Etat chargé des anciens combattants et de la mémoire, Jean-Marc Todeschini, se désolidarise de la Mairie de Verdun dans un communiqué :« Le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire, dément formellement l’information qui circule dans certains médias et sur les réseaux sociaux selon laquelle le chanteur Black M se produirait dans le cadre de la cérémonie officielle de la bataille de Verdun. »Selon lui, le rappeur doit en fait se produire en marge des cérémonies et regrette que cette polémique fasse « oublier le sens de la cérémonie officielle du centenaire de la bataille de Verdun voulue par le président de la République ». Contacté par l’AFP, le secrétaire d’Etat ajoute que l’Elysée et François Hollande n’ont rien à voir avec le choix de Black M. « Le nom a été proposé par l’Etat ! », a rétorqué le maire de Verdun.
Nouvelle pierre dans le jardin de Samuel Hazard, un recours en justice est déposé dans l’après-midi contre la venue du rappeur par le petit-fils d’un poilu. L’avocat de ce dernier, Antoine Beauquier, affirme qu’on peut « légitimement craindre que [le chanteur] use de termes outrageants pour la mémoire des soldats de Verdun ».
La Mission du centenaire, l’opérateur de l’Etat pour ces commémorations, décide dans la foulée de ne pas accorder la subvention de 67 000 euros demandée par la mairie pour financer le concert, sur un budget total de 150 000 euros.
La Mairie de Verdun annule le concert
Vendredi 13 mai, la mairie décide finalement d’annuler le concert. Contacté par Le Monde, le cabinet du maire dit ne plus vouloir s’exprimer sur le sujet après avoir été inondé de messages pendant trois jours de polémique. Les élus d’extrême droite s’en félicitent :Ironie de l’histoire, Pierre Sautarel, coanimateur de fdesouche.com s’agace désormais d’entendre Florian Philippot clamer que « c’est le Front national, seul, qui a levé ce lièvre » sur France 2, refusant de se faire « voler les lauriers » de la polémique.
Adrien Sénécat
Tribune
La meute contre Black M : ah, les braves gens !
Après la charge lancée par l'extrême droite contre la venue du rappeur pour commémorer le centenaire de la bataille de Verdun, le président de SOS Racisme exprime colère et stupeur face à ceux qui se cantonnent à leurs peurs.
L’air empeste. Saturé des effluves de peurs indicibles et
de défiances sinon de haines inavouables, il porte en lui
l’insupportable. Dans le clair-obscur que dessinent la crise politique,
morale et économique du pays d’un côté, les tâtonnements des nouvelles
générations et des nouveaux paradigmes de l’autre, un fait
extraordinaire a surgi voici quelques jours. Une fièvre hystérique tout
autant que sidérante s’est déclenchée du côté des cérémonies de
commémoration du centenaire de la bataille de Verdun.
Fulgurante, l’affection est partie de l’extrême droite. A l’annonce d’un concert du rappeur Black M en marge desdites cérémonies, les fascistes et les réactionnaires patentés se sont respectivement dressés comme une seule croix gammée et comme un seul maurassien pour dénoncer l’affront fait aux morts. Ces gens aiment tellement les morts.
Mais, réalité inquiétante, la haine endémique se mua en rejet épidémique selon les axes discursifs des leaders de l’extrême droite. En quête de respectabilité, ces derniers ne pouvaient se permettre la grossièreté raciste. Ils choisirent alors d’exhumer les propos passés de Black M.
Lorsqu’il avait 20 ans, il qualifia la France de «conne». Héritière d’une Collaboration qui consista à être allemand au moment où il fallait le plus être français, l’extrême droite feignit de s’en émouvoir, tout à sa fibre patriotique autoproclamée.
En 2010, il scanda avec son groupe Sexion d’Assaut d’intolérables propos homophobes. Lui et les membres du groupe s’en excusèrent et l’affaire fut considérée comme close par les associations LGBT. L’extrême droite, avec à sa tête Marion Maréchal-Le Pen naguère soutien enthousiaste à la très homophobe Manif pour tous, ne manqua pas sur le mode du scandale de remettre lesdits propos en lumière.
Ce sont pourtant ces contenus qu’allèrent puiser dans l’égout frontiste des cercles bien plus larges, a priori formellement éloignés des rivages bruns de notre vie politique. Se levèrent ainsi les chœurs imbéciles et haineux composés notamment de celles et ceux qui, depuis plusieurs années et au nom de la République, traquent chez les noirs, les arabes et les jeunes de quartier populaire la trace de leur barbarie. Je ne parle pas ici de celles et ceux qui critiquèrent le choix d’un concert de rap en parallèle de la commémoration de la bataille de Verdun.
Après tout, Black M ne pouvait pas ne pas être indigne de cette commémoration. Il fallait bien qu’il fût coupable de quelque méfait, peu importait lequel. Pour se défaire du désagréable soupçon d’un racisme ou d’une peur larvés et en général inavoués à leur propre conscience, ils présentèrent des invocations désincarnées à leur dégoût du racisme, qu’ils condamnent (pensez donc, ce sont de braves gens !) mais sans jamais pour nombre d’entre eux le voir nulle part, sauf à la rigueur en référence à des temps révolus, voire immémoriaux.
Black M a tenu des propos répréhensibles dans le passé et s’en est excusé ? Pas grave, marqué à vie ! Comme si l’on avait jusqu’à aujourd’hui enfermé Jacques Chirac dans la figure du raciste pour avoir évoqué «le bruit et les odeurs» en 1991. Ou comme si l’on s’émouvait de la présence de Michel Sardou à une commémoration pour avoir chanté en 1976 le très rafraichissant et inoubliable titre Au temps béni des colonies. Arrêtons-là l’énumération. Elle pourrait s’étendre ad nauseam.
Que dire à nos braves gens? Ceci : ayez honte de cette pente à laquelle vous vous êtes abandonnés. Avez-vous ressenti le ridicule consistant à vous lancer dans la chasse frénétique aux textes d’un rappeur pour nourrir, avec un brevet de «rapologie» forgé à partir de quelques recherches sur Google, une position grotesque, sinon malveillante ? Ce que vous ne supportez pas, au fond, c’est la France qui change. Je n’ignore d’ailleurs pas les craintes que peut susciter le changement dont une part irréductible relève de l’inconnu. Après tout, ces craintes nous traversent tous, à des degrés divers et selon des modalités qui renvoient à nos trajectoires individuelles, familiales, sociales ou culturelles. Mais ce qui distingue celui qui fait progresser la société de celui qui la leste de ses refus et de ses peurs, c’est le rapport à l’Autre et le degré d’optimisme.
Car faut-il être fermé pour ne même pas avoir retenu les mots, beaux dans leur simplicité, de Black M sur la France à la suite de la sinistre polémique dont vous fûtes. Faut-il être fermé pour ne pas avoir lu ce qu’était sa fierté – que vous vous emploierez sans doute à nier – d’avoir été sollicité pour participer à un petit moment du roman national. Cette fierté, c’est celle après laquelle courent des centaines de milliers, des millions de gamins. Et c’est celle que vous contribuez à nouveau à leur soustraire, tout à votre ivresse de l’écrasement et du maniement d’une chicote qu’en toute hypocrisie vous appelez «République».
Vous prétendez renforcer la République, vous approfondissez la déréliction. Vous pouvez certes continuer à vous inventer des périls chaque semaine, à croire qu’il n’y en a pas suffisamment de réels. La semaine dernière, avec Black M, rappeur pour jeunes adolescents, le péril était noir. Quel sera le trait du prochain péril menaçant la civilisation ? Musulman ? Arabe ? Rom ?
La civilisation est belle et inattendue. Et elle sera en France faite de blancs, de loulous, d’arabes, de chrétiens, de noirs, d'asiatiques, de vieux, d'athées, de juifs, de musulmans, de jeunes, de roms et de bobos. Tous citoyens, pleinement. Aurez-vous l’honneur et le bonheur de participer à l’épanouissement de cette France-là?
Fulgurante, l’affection est partie de l’extrême droite. A l’annonce d’un concert du rappeur Black M en marge desdites cérémonies, les fascistes et les réactionnaires patentés se sont respectivement dressés comme une seule croix gammée et comme un seul maurassien pour dénoncer l’affront fait aux morts. Ces gens aiment tellement les morts.
Haïr et condamner
Routine habituelle dira-t-on. Car enfin, que l’extrême droite s’émeuve puis s’époumone face à la présence de Black M en un lieu et à une date symboliques de notre roman national, voilà qui n’a rien de très surprenant. Rappeur, noir et musulman : dans ce cloaque politique, trois illégitimités à opposer et trois bonnes raisons de haïr et de condamner.Mais, réalité inquiétante, la haine endémique se mua en rejet épidémique selon les axes discursifs des leaders de l’extrême droite. En quête de respectabilité, ces derniers ne pouvaient se permettre la grossièreté raciste. Ils choisirent alors d’exhumer les propos passés de Black M.
Lorsqu’il avait 20 ans, il qualifia la France de «conne». Héritière d’une Collaboration qui consista à être allemand au moment où il fallait le plus être français, l’extrême droite feignit de s’en émouvoir, tout à sa fibre patriotique autoproclamée.
En 2010, il scanda avec son groupe Sexion d’Assaut d’intolérables propos homophobes. Lui et les membres du groupe s’en excusèrent et l’affaire fut considérée comme close par les associations LGBT. L’extrême droite, avec à sa tête Marion Maréchal-Le Pen naguère soutien enthousiaste à la très homophobe Manif pour tous, ne manqua pas sur le mode du scandale de remettre lesdits propos en lumière.
Ce sont pourtant ces contenus qu’allèrent puiser dans l’égout frontiste des cercles bien plus larges, a priori formellement éloignés des rivages bruns de notre vie politique. Se levèrent ainsi les chœurs imbéciles et haineux composés notamment de celles et ceux qui, depuis plusieurs années et au nom de la République, traquent chez les noirs, les arabes et les jeunes de quartier populaire la trace de leur barbarie. Je ne parle pas ici de celles et ceux qui critiquèrent le choix d’un concert de rap en parallèle de la commémoration de la bataille de Verdun.
Amplifier et déformer
Cette critique-là, je ne la partage pas mais elle s’entend et ne manque pas d’arguments. Je parle de celles et ceux qui s’engouffrèrent et finalement s’abîmèrent dans l’abject, contribuant au passage à offrir une victoire à l’extrême droite. Car en quelques heures et avec une frénésie donnant la nausée, tous ces braves gens, qui n’avaient pour la plupart manifesté jusque-là aucun intérêt pour la commémoration à venir de la bataille de Verdun, s’emparèrent d’un sujet qu’ils amplifièrent sans en atténuer aucune des déformations initiales. Mais le plus stupéfiant fut la mauvaise foi carabinée. Aussi glissants que des savonnettes, toute invalidation d’une critique contre Black M valut chez eux l’émergence d’une nouvelle critique.Après tout, Black M ne pouvait pas ne pas être indigne de cette commémoration. Il fallait bien qu’il fût coupable de quelque méfait, peu importait lequel. Pour se défaire du désagréable soupçon d’un racisme ou d’une peur larvés et en général inavoués à leur propre conscience, ils présentèrent des invocations désincarnées à leur dégoût du racisme, qu’ils condamnent (pensez donc, ce sont de braves gens !) mais sans jamais pour nombre d’entre eux le voir nulle part, sauf à la rigueur en référence à des temps révolus, voire immémoriaux.
Black M a tenu des propos répréhensibles dans le passé et s’en est excusé ? Pas grave, marqué à vie ! Comme si l’on avait jusqu’à aujourd’hui enfermé Jacques Chirac dans la figure du raciste pour avoir évoqué «le bruit et les odeurs» en 1991. Ou comme si l’on s’émouvait de la présence de Michel Sardou à une commémoration pour avoir chanté en 1976 le très rafraichissant et inoubliable titre Au temps béni des colonies. Arrêtons-là l’énumération. Elle pourrait s’étendre ad nauseam.
Au secours, Daech arrive !
Mais Black M a une triple particularité : il est noir, musulman et chez nos braves gens symbolise les quartiers populaires. Ce qui est vu, parfois à juste titre, comme un simple dérapage chez ceux que l’on estime faire partie du cercle des siens se mue en trait inné d’une barbarie enfin révélée chez l’Autre, moteur à angoisse. Il a dit «koufar» dans une chanson ? Au secours, Daech arrive ! La chanson étant un des plus gros tubes français de ces dernières années, il était enfin temps de découvrir que le terme entendu par plusieurs millions de Français relevait du scandale. Que dis-je ? Du péril ! Il a chanté que la France était «conne» ? Tremblez ! L’ennemi n’est même plus à nos portes, il est déjà dans nos banlieues. La rumeur dit qu’il roderait déjà à proximité du périph extérieur.Que dire à nos braves gens? Ceci : ayez honte de cette pente à laquelle vous vous êtes abandonnés. Avez-vous ressenti le ridicule consistant à vous lancer dans la chasse frénétique aux textes d’un rappeur pour nourrir, avec un brevet de «rapologie» forgé à partir de quelques recherches sur Google, une position grotesque, sinon malveillante ? Ce que vous ne supportez pas, au fond, c’est la France qui change. Je n’ignore d’ailleurs pas les craintes que peut susciter le changement dont une part irréductible relève de l’inconnu. Après tout, ces craintes nous traversent tous, à des degrés divers et selon des modalités qui renvoient à nos trajectoires individuelles, familiales, sociales ou culturelles. Mais ce qui distingue celui qui fait progresser la société de celui qui la leste de ses refus et de ses peurs, c’est le rapport à l’Autre et le degré d’optimisme.
Oui avec la tête, non avec le cœur
Ce que vous ne supportez pas non plus, c’est cette partie de la France que vous refusez d’entendre lorsqu’elle essaie de verbaliser son mal-être du racisme, de la suspicion ou de la pauvreté. Cette France-là vous parle mais vous ne l’entendez même pas. Quand elle énonce sa soif d’égalité et de dignité, pensez-vous qu’il suffise de dire oui avec la tête pour que nul ne s’aperçoive que vous dites non avec le cœur ?Car faut-il être fermé pour ne même pas avoir retenu les mots, beaux dans leur simplicité, de Black M sur la France à la suite de la sinistre polémique dont vous fûtes. Faut-il être fermé pour ne pas avoir lu ce qu’était sa fierté – que vous vous emploierez sans doute à nier – d’avoir été sollicité pour participer à un petit moment du roman national. Cette fierté, c’est celle après laquelle courent des centaines de milliers, des millions de gamins. Et c’est celle que vous contribuez à nouveau à leur soustraire, tout à votre ivresse de l’écrasement et du maniement d’une chicote qu’en toute hypocrisie vous appelez «République».
Vous prétendez renforcer la République, vous approfondissez la déréliction. Vous pouvez certes continuer à vous inventer des périls chaque semaine, à croire qu’il n’y en a pas suffisamment de réels. La semaine dernière, avec Black M, rappeur pour jeunes adolescents, le péril était noir. Quel sera le trait du prochain péril menaçant la civilisation ? Musulman ? Arabe ? Rom ?
La civilisation est belle et inattendue. Et elle sera en France faite de blancs, de loulous, d’arabes, de chrétiens, de noirs, d'asiatiques, de vieux, d'athées, de juifs, de musulmans, de jeunes, de roms et de bobos. Tous citoyens, pleinement. Aurez-vous l’honneur et le bonheur de participer à l’épanouissement de cette France-là?
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